65 – Mais cette distinction d’avec le monde n’est pas séparation. Bien plus, elle n’est pas indifférence, ni crainte, ni mépris. Quand l’Eglise se distingue de l’humanité, elle ne s’oppose pas à elle ; au contraire elle s’y unit. Il en est de l’Eglise comme d’un médecin : connaissant les pièges d’une maladie contagieuse, le médecin cherche à se garder lui-même et les autres de l’infection ; mais en même temps il s’emploie à guérir ceux qui en sont atteints ; de même l’Eglise ne se réserve pas comme un privilège exclusif la miséricorde à elle concédée par la bonté divine ; elle ne tire pas de son propre bonheur une raison de se désintéresser de qui ne l’a pas atteint, mais elle trouve dans son propre salut un motif d’intérêt et d’amour envers tous ceux qui lui sont proches et pour tous ceux que, dans son effort de communion universelle, il lui est possible d’approcher.
Parce que missionnaire, l’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde
66 – Si vraiment l’Eglise, comme Nous le disions, a conscience de ce que le Seigneur veut qu’elle soit, il surgit en elle une singulière plénitude et un besoin d’expansion, avec la claire conscience d’une mission qui la dépasse et d’une nouvelle à répandre. C’est l’obligation d’évangéliser. C’est le mandat missionnaire. C’est le devoir d’apostolat. Une attitude de fidèle conservation ne suffit pas. Certes, le trésor de vérité et de grâce qui nous a été transmis en héritage par la tradition chrétienne, nous devrons le garder, bien mieux nous devrons le défendre. « Garde le dépôt », c’est la consigne de saint Paul (1 Tim., 6, 20). Mais ni la sauvegarde, ni la défense n’épuisent le devoir de l’Eglise par rapport aux biens qu’elle possède. Le devoir lié par la nature au patrimoine reçu du Christ, c’est de répandre ce trésor, c’est de l’offrir, c’est de l’annoncer. Nous le savons bien : « Allez donc, enseignez toutes les nations » (Mt., 28, 19) est l’ultime commandement du Christ à ses apôtres. Ceux-ci définissent leur indéclinable mission par le nom même d’apôtres. A propos de cette impulsion intérieure de charité qui tend à se traduire en un don extérieur, Nous emploierons le nom, devenu aujourd’hui usuel, de dialogue.
Le dialogue
67 – L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation.
68 – Cet aspect capital de la vie actuelle de l’Eglise fera, on le sait, l’objet d’une large étude particulière de la part du Concile œcuménique ; et Nous ne voulons pas entrer dans l’examen concret des thèmes que cette étude se propose afin de laisser aux Pères du Concile le soin d’en traiter librement. Nous voulons seulement vous inviter, vénérables frères, à faire précéder cette étude de quelques considérations afin que soient plus clairs les motifs qui poussent l’Eglise au dialogue, plus claires les méthodes à suivre, plus clairs les buts à atteindre. Nous voulons préparer les esprits, non pas traiter les sujets.
69 – Nous ne pouvons agir autrement dans la conviction que le dialogue doit caractériser Notre charge apostolique, héritier que Nous sommes d’une manière de faire, d’une orientation pastorale qui Nous ont été transmises par Nos Prédécesseurs du siècle dernier, à commencer par le grand et sage Léon XIII, personnifiant pour ainsi dire la figure évangélique du scribe sage : «…qui, comme un père de famille, tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt. 13, 52), il reprenait magnifiquement l’exercice du magistère catholique en faisant objet de son riche enseignement les problèmes de notre temps envisagés à la lumière de la parole du Christ. De même ses successeurs, vous le savez.
70 – Nos Prédécesseurs, spécialement les Papes Pie XI et Pie XII, n’ont-ils pas laissé un magnifique et large patrimoine d’enseignement, fruit d’un effort déployé avec amour et sagesse pour unir la pensée divine à la pensée humaine, et non pas en des concepts abstraits, mais dans le langage concret de l’homme moderne ? Et qu’est-ce que cette tentative apostolique sinon un dialogue ? Jean XXIII, Notre Prédécesseur immédiat, de vénérée mémoire, n’a-t-il pas accentué encore davantage, dans son enseignement, le souci de rencontrer le plus possible l’expérience et la compréhension du monde contemporain ? N’a-t-on pas voulu, et justement, assigner au Concile lui-même un objectif pastoral qui revient à insérer le message chrétien dans la circulation de pensée, d’expression, de culture, d’usages, de tendances de l’humanité telle qu’elle vit et s’agite aujourd’hui sur la face de la terre ? Avant même de convertir le monde, bien mieux, pour le convertir, il faut l’approcher et lui parler.
71 – En ce qui concerne Notre humble personne, bien que Nous soyons peu disposé à parler et désireux de ne pas attirer sur elle l’attention d’autrui, Nous ne pouvons, dans cette présentation de Nos intentions au collège épiscopal et au peuple chrétien, taire Notre résolution de persévérer, pour autant que que Nos faibles forces Nous le permettront, et surtout que la grâce divine Nous donnera les moyens de le faire, dans la même ligne, dans le même effort, de Nous rapprocher du monde dans lequel la Providence Nous a destiné à vivre, avec tous les égards, tout l’empressement, tout l’amour possible, pour le comprendre, pour lui offrir les dons de vérité et de grâce dont le Christ Nous a fait dépositaire pour lui faire partager notre richesse merveilleuse de rédemption et d’espérance. Dans Notre esprit sont profondément gravées les paroles du Christ que, humblement, mais sans démission, Nous voudrions Nous approprier : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn, 3, 17.)
La religion, dialogue entre Dieu et l’homme
72 – Voilà, vénérables frères, l’origine transcendante du dialogue. Elle se trouve dans l’intention même de Dieu. La religion est de sa nature un rapport entre Dieu et l’homme. La prière exprime en dialogue ce rapport. La Révélation, qui est la relation surnaturelle que Dieu lui-même a pris l’initiative d’instaurer avec l’humanité, peut être représenté comme un dialogue dans lequel le Verbe de Dieu s’exprime par l’Incarnation, et ensuite par l’Evangile. Le colloque paternel et saint, interrompu entre Dieu et l’homme à cause du péché originel, est merveilleusement repris dans le cours de l’histoire. L’histoire du salut raconte précisément ce dialogue long et divers qui part de Dieu et noue avec l’homme une conversation variée et étonnante. C’est dans cette conversation du Christ avec les hommes (cf. Bar., 3, 38) que Dieu laisse comprendre quelque chose de lui-même, le mystère de sa vie, strictement une dans son essence, trine dans les Personnes ; c’est là qu’il dit finalement comment il veut être connu : il est Amour ; et comment il veut être honoré de nous et servi : notre commandement suprême est amour. Le dialogue se fait plein et confiant ; l’enfant y est invité, le mystique s’y épuise.
Les caractéristiques du dialogue du salut
73 – Il faut que nous ayons toujours présent cet ineffable et réel rapport de dialogue offert et établi avec nous par Dieu le Père, par la médiation du Christ dans l’Esprit-Saint, pour comprendre quel rapport nous, c’est-à-dire l’Eglise, nous devons chercher à instaurer et à promouvoir avec l’humanité.
74 – Le dialogue du salut fut inauguré spontanément par l’initiative divine : « C’est lui (Dieu) qui nous a aimés le premier » (1 Jn, 4, 19) ; il nous appartiendra de prendre à notre tour l’initiative pour étendre aux hommes ce dialogue, sans attendre d’y être appelés.
75 – Le dialogue du salut est parti de la charité, de la bonté divine : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » (Jn, 3, 16) ; seul un amour fervent et désintéressé devra susciter le nôtre.
76 – Le dialogue du salut ne se mesura pas aux mérites de ceux à qui il était adressé, ni même aux résultats qu’il aurait obtenus ou qui auraient fait défaut ; « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin » (Lc, 5, 31) ; le nôtre aussi doit être sans limites et sans calcul.
77 – Le dialogue du salut ne contraignit physiquement personne à l’accueillir ; il fut une formidable demande d’amour, qui, s’il constitua une redoutable responsabilité pour ceux à qui il était adressé (cf. Mc, 11, 21), les laissa toutefois libres d’y correspondre ou de le refuser ; il adapta même aux exigences et aux dispositions spirituelles de ses auditeurs la quantité (cf. Mt., 12, 28 et suiv.) et la force démonstrative des signes (cf. Mt. 13, 13 et suiv.), afin de leur faciliter le libre consentement à la révélation divine, sans toutefois leur ôter le mérite de ce consentement. De même si notre mission est annonce de vérités indiscutables et d’un salut nécessaire, elle ne se présentera pas armée de coercition extérieure, mais par les seules voies légitimes de l’éducation humaine, de la persuasion intérieure, de la conversation ordinaire, elle offrira son don de salut, toujours dans le respect de la liberté personnelle des hommes civilisés.
78 – Le dialogue du salut fut rendu possible à tous ; adressé à tous sans discrimination aucune (cf. Col., 3, 11) ; le nôtre également doit être en principe universel, c’est-à-dire catholique et capable de se nouer avec chacun, sauf si l’homme le refuse absolument ou feint seulement de l’accueillir.
79 – Le dialogue du salut a connu normalement une marche progressive, des développements successifs, d’humbles débuts avant le plein succès (cf. Mt., 13, 31) ; le nôtre aussi aura égard aux lenteurs de la maturation psychologique et historique et saura attendre l’heure où Dieu le rendra efficace. Ce n’est pas à dire que notre dialogue remettra à demain ce qu’il peut faire aujourd’hui ; il doit avoir l’anxiété de l’heure opportune et le sens de la valeur du temps (cf. Eph., 5, 16). Aujourd’hui, c’est-à-dire chaque jour, il doit recommencer ; et de notre part, sans attendre nos interlocuteurs.
Le rapport de l’Eglise avec le monde s’exprime le mieux sous forme de dialogue
80 – Il est clair que les rapports entre l’Eglise et le monde peuvent prendre de multiples aspects, différents les uns des autres. Théoriquement parlant, l’Eglise pourrait se proposer de réduire ces rapports au minimum, en cherchant à se retrancher du commerce avec la société profane ; comme elle pourrait se proposer de relever les maux qui peuvent s’y rencontrer, prononcer contre eux des anathèmes et susciter contre eux des croisades ; elle pourrait, au contraire, se rapprocher de la société profane au point de chercher à prendre sur elle une influence prépondérante, ou même à y exercer un pouvoir théocratique, et ainsi de suite. Il Nous semble, au contraire, que le rapport de l’Eglise avec le monde, sans se fermer à d’autres formes légitimes, peut mieux s’exprimer sous la forme d’un dialogue, et d’un dialogue non pas toujours le même, mais adapté au caractère de l’interlocuteur et aux circonstances de fait (autre est en effet le dialogue avec un enfant et autre avec un adulte ; autre avec un croyant et autre avec un non-croyant). Ceci est suggéré par l’habitude désormais répandue de concevoir ainsi les relations entre le sacré et le profane, par le dynamisme qui transforme la société moderne, par le pluralisme de ses manifestations, ainsi que par la maturité de l’homme, religieux ou non, rendu apte par l’éducation et la culture à penser, à parler, à soutenir dignement un dialogue.
81 – Cette forme de rapport indique une volonté de courtoisie, d’estime, de sympathie, de bonté de la part de celui qui l’entreprend ; elle exclut la condamnation a priori, la polémique offensante et tournée en habitude, l’inutilité de vaines conversations. Si elle ne vise pas à obtenir immédiatement la conversion de l’interlocuteur parce qu’elle respecte sa dignité et sa liberté, elle vise cependant à procurer son avantage et voudrait le disposer à une communion plus pleine de sentiments et de convictions.
82 – Par conséquent, le dialogue suppose un état d’esprit en nous qui avons l’intention de l’introduire et de l’alimenter avec tous ceux qui nous entourent : l’état d’esprit de celui qui sent au-dedans de lui le poids du mandat apostolique, de celui qui sait ne plus pouvoir séparer son salut de la recherche de celui des autres, de celui qui s’emploie continuellement à mettre ce message dont il est dépositaire en circulation dans les échanges des hommes entre eux.
Clarté, douceur, confiance, prudence
83 – Le dialogue est donc un moyen d’exercer la mission apostolique ; c’est un art de communication spirituelle. Ses caractères sont les suivants :
1. – La clarté avant tout : le dialogue suppose et exige qu’on se comprenne ; il est une transmission de pensée et une invitation à l’exercice des facultés supérieures de l’homme ; ce titre suffirait pour le classer parmi les plus nobles manifestations de l’activité et de la culture humaine. Cette exigence initiale suffit aussi à éveiller notre zèle apostolique pour revoir toutes les formes de notre langage : celui-ci est-il compréhensible, est-il populaire, est-il, choisi ?
2. – Un autre caractère est la douceur, celle que le Christ nous propose d’apprendre de lui-même : « Mettez. vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt., 11, 29) ; le dialogue n’est pas orgueilleux ; il n’est pas piquant ; il n’est pas offensant. Son autorité lui vient de l’intérieur, de la vérité qu’il expose, de la charité qu’il répand, de l’exemple qu’il propose ; il n’est pas commandement et ne procède pas de façon impérieuse. Il est pacifique ; il évite les manières violentes ; il est patient, il est généreux.
3. – La confiance, tant dans la vertu de sa propre parole que dans la capacité d’accueil de l’interlocuteur. Cette confiance provoque les confidences et l’amitié ; elle lie entre eux les esprits dans une mutuelle adhésion à un bien qui exclut toute fin égoïste.
84 – 4. – La prudence pédagogique enfin, qui tient grand compte des conditions psychologiques et morales de l’auditeur (cf. Mt., 7, 6) : selon qu’il s’agit d’un enfant, d’un homme sans culture ou sans préparation, ou défiant, ou hostile. Elle cherche aussi à connaître la sensibilité de l’autre et à se modifier, raisonnablement, soi-même, et à changer sa présentation pour ne pas lui être déplaisant et incompréhensible.
85 – Dans le dialogue ainsi conduit se réalise l’union de la vérité et de la charité, de l’intelligence et de l’amour.
Dialectique de la pensée authentique
86 – Dans le dialogue on découvre combien sont divers les chemins qui conduisent à la lumière de la foi et comment il est possible de les faire converger à cette fin. Même s’ils sont divergents, ils peuvent devenir complémentaires si nous poussons notre entretien hors des sentiers battus et si nous lui imposons d’approfondir ses recherches et de renouveler ses expressions. La dialectique de cet exercice de pensée et de patience nous fera découvrir des éléments de vérité également dans les opinions des autres ; elle nous obligera à exprimer avec grande loyauté notre enseignement et nous récompensera de la peine que nous aurons prise de l’exposer aux objections et à la lente assimilation des autres. Elle fera de nous des sages ; elle fera de nous des maîtres.
87 – Et quelle est sa forme d’exposition ?
88 – Oh ! le dialogue du salut revêt bien des formes, il obéit aux exigences qu’on rencontre, il choisit les moyens favorables, il ne se lie pas à des vains apriorismes, il ne se fixe pas en des expressions invariables lorsque celles-ci ont cessé d’être parlantes et d’émouvoir les hommes.
89 – Ici se pose une grande question, celle de l’adaptation de la mission de l’Eglise à la vie des hommes en un temps donné, en un lieu donné, dans une culture donnée, dans une situation sociale donnée.
Comment approcher nos frères dans l’intérêt de la vérité
90 – Jusqu’à quel point l’Eglise doit-elle se conformer aux circonstances historiques et locales dans lesquelles elle déploie sa mission ? Comment doit-elle se prémunir contre le danger d’un relativisme qui entamerait sa fidélité au dogme et à la morale ? Mais comment en même temps se rendre capable d’approcher tous les hommes pour les sauver tous, selon l’exemple de l’Apôtre : « Je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous » ? (1 Cor., 9, 22.)
On ne sauve pas le monde du dehors ; il faut, comme le Verbe de Dieu qui s’est fait homme, assimiler, en une certaine mesure, les formes de vie de ceux à qui on veut porter le message du Christ ; sans revendiquer de privilèges qui éloignent, sans maintenir la barrière d’un langage incompréhensible, il faut partager les usages communs, pourvu qu’ils soient humains et honnêtes, spécialement ceux des plus petits, si on veut être écouté et compris. Il faut, avant même de parler, écouter la voix et plus encore le cœur de l’homme ; le comprendre et, autant que possible, le respecter et, là où il le mérite, aller dans son sens. Il faut se faire les frères des hommes du fait même qu’on veut être leurs pasteurs, leurs pères et leurs maîtres. Le climat du dialogue, c’est l’amitié. Bien mieux, le service. Tout cela, nous devrons nous le rappeler et nous efforcer de le pratiquer selon l’exemple et le précepte que le Christ nous a laissés (cf, Jn, 13, 14-17).
91 – Mais le danger demeure. L’art de l’apôtre est plein de risques. La préoccupation d’approcher nos frères ne doit pas se traduire par une atténuation, par une diminution de la vérité. Notre dialogue ne peut être une faiblesse vis-à-vis des engagements de notre foi. L’apostolat ne peut transiger et se transformer en compromis ambigu au sujet des principes de pensée et d’action qui doivent distinguer notre profession chrétienne. L’irénisme et le syncrétisme sont, au fond, des formes de scepticisme envers la force et le contenu de la Parole de Dieu que nous voulons prêcher.
92 – Seul celui qui est pleinement fidèle à la doctrine du Christ peut être efficacement apôtre. Et seul celui qui vit en plénitude la vocation chrétienne peut être immunisé contre la contagion des erreurs avec lesquelles il entre en contact.
La prédication est irremplaçable
93 – Nous pensons que le Concile, quand il traitera les questions relatives à l’Eglise au travail dans le monde moderne, indiquera quelques principes théoriques et pratiques de nature à guider notre dialogue avec les hommes de notre temps. Nous pensons également que sur les points qui regardent, d’une part, la mission proprement apostolique de l’Eglise, et, d’autre part, les circonstances diverses et changeantes où s’exerce cette mission, ce sera l’affaire du gouvernement de l’Eglise elle-même d’intervenir de temps en temps avec sagesse pour marquer certaines limites, signaler des pistes et proposer diverses formes en vue de l’animation continuelle d’un dialogue vivant et bienfaisant.
94 – Nous laisserons donc ce sujet, Nous bornant à rappeler encore une fois l’extrême importance que la prédication chrétienne conserve et qu’elle revêt encore plus aujourd’hui, dans le cadre de l’apostolat catholique et de ce qui nous intéresse pour l’instant, du dialogue. Aucune forme de diffusion de la pensée, même si elle est portée par la technique à une extraordinaire puissance, à travers la presse et par les moyens audiovisuels, ne remplace la prédication. Apostolat et prédication sont en un certain sens, équivalents. La prédication est le premier apostolat. Notre apostolat, vénérables frères, est avant tout ministère de la Parole. Nous le savons parfaitement, mais il Nous semble qu’il convient de nous le rappeler à nous-mêmes en ce moment, pour imprimer à notre action pastorale sa juste orientation. Nous devons reprendre l’étude, non pas de l’éloquence humaine ou d’une vaine rhétorique, mais de l’art authentique de la Parole sacrée.
95 – Nous devons chercher les lois de sa simplicité, de sa clarté, de sa force et de son autorité, afin de surmonter notre maladresse naturelle dans l’emploi d’un instrument spirituel aussi noble et mystérieux que la parole, et pour rivaliser dignement avec les hommes dont la parole possède aujourd’hui une large influence, une fois qu’ils ont accès aux tribunes de l’opinion publique. Nous devons en demander au Seigneur lui-même le précieux et enivrant charisme (cf. Jér., 1, 6), pour être dignes de donner à la foi son point de départ, riche d’efficacité pour la pratique (cf. Rom., 10, 17) et de faire arriver notre Message jusqu’aux confins de la terre (cf. Ps. 18, 5 et Rom., 10, 18). Que les prescriptions de la Constitution conciliaire De Sacra Liturgia sur le ministère de la Parole nous trouvent zélés et habiles dans leur mise en application. Et que la catéchèse s’adressant au peuple chrétien et à tous les autres à qui elle peut s’offrir se fasse toujours experte en son langage, sage dans sa méthode, assidue dans son exercice. Qu’elle soit corroborée par le témoignage de vertus réelles et préoccupée de progresser et d’amener ses auditeurs à la sûreté de la foi, à l’intuition de l’accord entre la Parole de Dieu et la vie, et aux clartés du Dieu vivant.
96 – nous faudrait enfin dire quelque chose de ceux à qui s’adresse notre dialogue.
Mais Nous ne voulons pas prévenir, même sous cet aspect, la voix du Concile. Sous peu, s’il plaît à Dieu, elle se fera entendre.
97 – Parlant en général de cette attitude d’interlocutrice que l’Eglise catholique doit prendre aujourd’hui avec un renouveau d’ardeur, contentons-Nous d’indiquer que l’Église doit être prête à soutenir le dialogue avec tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient au-dedans ou au-dehors de son enceinte.
Avec qui dialoguer?
98 – Personne n’est étranger au cœur de l’Eglise. Personne n’est indifférent pour son ministère. Pour elle, personne n’est un ennemi, à moins de vouloir l’être de son côté. Ce n’est pas en vain qu’elle se dit catholique ; ce n’est pas en vain qu’elle est chargée de promouvoir dans le monde l’unité, l’amour et la paix.
99 – L’Eglise n’ignore pas les dimensions formidables d’une telle mission : elle sait la disproportion des statistiques entre ce qu’elle est et ce qu’est la population de la terre ; elle sait les limites de ses forces ; elle sait même ses humaines faiblesses et ses propres fautes ; elle sait aussi que l’accueil fait à l’Evangile ne dépend, en fin de compte, d’aucun effort apostolique ni d’aucune circonstance favorable d’ordre temporel : la foi est un don de Dieu ; et Dieu seul marque dans le monde les lignes et les heures de son salut. Mais l’Eglise sait qu’elle est semence, qu’elle est ferment, qu’elle est le sel et la lumière du monde. L’Eglise connaît la nouveauté étourdissante de l’ère moderne ; mais avec une candide assurance, elle se dresse sur les routes de l’histoire, et elle dit aux hommes : « J’ai ce que vous cherchez, ce qui vous manque. » Elle ne promet pas le bonheur sur terre, mais elle offre quelque chose – sa lumière, sa grâce – pour pouvoir l’atteindre le mieux possible ; et puis, elle parle aux hommes de leur destinée transcendante. Ainsi, elle leur parle de vérité, de justice, de liberté, de progrès, de concorde, de paix, de civilisation. Ce sont là des mots dont l’Eglise possède le secret ; le Christ le lui a confié. Et alors, l’Eglise a un message pour toutes les catégories de l’humanité ; pour les enfants, pour les jeunes gens, pour les hommes de science et de pensée, pour le monde du travail et pour les classes sociales, pour les artistes, pour les hommes politiques et pour les gouvernants. Pour les pauvres particulièrement, pour les déshérités, pour les souffrants et même pour les mourants : vraiment, pour tous.
100 – Il pourra sembler, qu’en parlant de la sorte, Nous Nous laissons emporter par l’enthousiasme de notre mission et fermons les yeux sur le point où l’humanité en est réellement par rapport à l’Eglise catholique. Ce n’est pas le cas ; Nous voyons très bien la situation concrète, et pour donner une idée sommaire des différentes positions, Nous croyons pouvoir les distribuer comme en autant de cercles concentriques autour du centre où la main de Dieu Nous a placé.
Premier cercle: l’humanité comme telle
101 – Il y a un premier, un immense cercle ; nous n’arrivons pas à en voir les bords qui se confondent avec l’horizon ; son aire couvre l’humanité comme telle, le monde. Nous mesurons la distance qui le tient loin de nous, mais nous ne le sentons pas étranger. Tout ce qui est humain nous regarde. Nous avons en commun avec toute l’humanité la nature, c’est-à-dire la vie, avec tous ses dons, avec tous ses problèmes. Nous acceptons de partager cette première universalité ; nous sommes tout disposés à accueillir les requêtes profondes de ses besoins fondamentaux, à applaudir aux affirmations nouvelles et parfois sublimes de son génie. Et nous avons des vérités morales, vitales, à mettre en évidence et à consolider dans la conscience humaine, car elles sont bienfaisantes pour tous. Partout où l’homme se met en devoir de se comprendre lui-même et de comprendre le monde, nous pouvons communiquer avec lui ; partout où les assemblées des peuples se réunissent pour établir les droits et les devoirs de l’homme, nous sommes honorés quand ils nous permettent de nous asseoir au milieu d’eux. S’il existe dans l’homme une « âme naturellement chrétienne », nous voulons lui rendre l’hommage de notre estime et de notre conversation.
102 – Nous pourrions nous rappeler à nous-mêmes, et à tous comment notre attitude est, d’un côté, totalement désintéressée : Nous n’avons aucune visée politique ou temporelle ; de l’autre, comment elle vise à assumer, c’est-à-dire à élever au niveau surnaturel et chrétien, toute saine valeur humaine et terrestre. Nous ne sommes pas la civilisation, mais nous en sommes promoteurs.
La négation de Dieu: obstacle au dialogue
103 – Nous savons cependant que dans ce cercle sans confins, il se trouve beaucoup d’hommes, beaucoup trop, malheureusement, qui ne professent aucune religion, et même nous le savons, sous des formes très diverses, un grand nombre se déclarent athées. Et nous le savons encore : quelques-uns font profession ouverte d’impiété et s’en font les protagonistes comme d’un programme d’éducation humaine et de conduite politique, dans la persuasion ingénue, mais fatale, de libérer l’homme d’idées fausses et dépassées touchant la vie et le monde, pour y substituer, disent-ils, une conception scientifique, conforme aux exigences du progrès moderne.
104 – Ce phénomène est le plus grave de notre époque. Notre ferme conviction est que la théorie sur laquelle s’établit la négation de Dieu comporte une erreur fondamentale, qu’elle ne répond pas aux requêtes dernières et inéluctables de l’esprit, qu’elle prive l’ordre rationnel du monde de ses bases authentiques et fécondes, qu’elle introduit dans la vie humaine, non pas une formule de solution, mais un dogme aveugle qui la dégrade et la rend triste et qu’elle ruine à la racine tout système social qui prétend reposer sur elle. Ce n’est pas une libération, mais une tentative dramatique en vue d’éteindre la lumière du Dieu vivant. C’est pourquoi nous résisterons de toutes nos forces à cette négation envahissante, dans l’intérêt suprême de la vérité, en vertu du devoir sacro-saint de confesser fidèlement le Christ et son Evangile comme de l’amour passionné qui nous attache au sort de l’humanité et que rien ne saurait nous arracher. Nous résisterons avec cet espoir invincible : l’homme moderne saura encore découvrir dans la conception religieuse à lui offerte par le catholicisme, sa propre vocation à une civilisation qui ne meurt pas, mais qui avance sans cesse vers la perfection naturelle et surnaturelle de l’esprit humain, que la grâce de Dieu, rend capable de la possession honnête et pacifique des biens temporels, tout en l’ouvrant à l’espérance des biens éternels.
105 – Ce sont ces raisons qui Nous contraignent, comme elles y ont obligé Nos prédécesseurs, et avec eux quiconque prend à cœur les valeurs religieuses, de condamner les systèmes de pensée négateurs de Dieu et persécuteurs de l’Église, systèmes souvent identifiés à des régimes économiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, tout spécialement le communisme athée. En un sens, ce n’est pas tant nous qui les condamnons qu’eux-mêmes, les systèmes et les régimes qui les personnifient, qui s’opposent à nous radicalement par leurs idées et nous oppriment par leurs actes. Notre plainte est, en réalité, plutôt gémissement de victimes que sentence de juges.
L’Eglise du silence
106 – Dans ces conditions, l’hypothèse d’un dialogue devient très difficile à réaliser, pour ne pas dire impossible, bien qu’il n’y ait aujourd’hui encore dans Notre esprit, aucune exclusion a priori à l’égard des personnes qui professent ces systèmes et adhèrent à ces régimes. Pour qui aime la vérité, la discussion est toujours possible. Mais des obstacles de caractère moral accroissent énormément les difficultés, par défaut d’une liberté suffisante de jugement et d’action et par suite de l’abus dialectique de la parole, qui ne vise plus à la recherche et à l’expression de la vérité objective, mais se trouve mise au service de fins utilitaires préétablies.
107 – C’est pour cette raison que le dialogue fait place au silence. L’Eglise du silence, par exemple, se tait, ne parlant plus que par sa souffrance ; son mutisme est partagé par toute une société opprimée et privée de son honneur, où les droits de l’esprit sont submergés par la puissance qui dispose de son sort. Dans cet état de choses, même si notre parole se donnait à entendre, comment pourrait-elle offrir le dialogue, réduite qu’elle serait à une « voix qui crie dans le désert » ? (Mc, 1, 3.) Silence, cri, patience, et toujours amour deviennent, en ce cas, le témoignage que l’Eglise peut encore donner et que la mort même ne peut étouffer.
108 – Mais si l’affirmation et la défense de la religion et des valeurs humaines qu’elle proclame et qu’elle soutient doit être ferme et franche, nous consacrons un effort pastoral de réflexion à tâcher de saisir chez l’athée moderne, au plus intime de sa pensée, les motifs de son trouble et de sa négation. Nous les trouvons complexes et multiples, ce qui nous rend prudents dans la façon de les apprécier et nous met mieux à même de les réfuter. Nous les voyons naître parfois de l’exigence même concernant la présentation du monde divin : on la voudrait plus élevée et plus pure par rapport à celle que mettent peut-être en œuvre certaines formes imparfaites de langage et de culte ; formes que nous devrions nous ingénier à rendre le plus possible pures et transparentes pour mieux traduire le sacré dont elles sont le signe. Les raisons de l’athéisme, imprégnées d’anxiété, colorées de passion et d’utopie, mais souvent aussi généreuses, inspirées d’un rêve de justice et de progrès, tendit vers des finalités d’ordre social divinisées : autant de succédanés de l’absolu et du nécessaire et qui dénoncent le besoin inéluctable du principe divin et de la fin divine dont il appartiendra à notre magistère de révéler avec patience et sagesse la transcendance et l’immanence. Les positions de l’athéisme, nous les voyons se prévaloir, parfois avec un enthousiasme ingénu, d’une soumission rigoureuse à l’exigence rationnelle de l’esprit humain dans leur effort d’explication scientifique de l’univers. Recours à la rationalité d’autant moins contestable qu’il est fondé davantage sur les voies logiques de la pensée, lesquelles, bien souvent, rejoignent les itinéraires de notre école classique. Contre la volonté de ceux-là mêmes qui pensaient forger par là une arme invincible pour leur athéisme, cette démarche, par sa force intrinsèque, se voit entraînée finalement à une affirmation nouvelle du Dieu suprême, au plan métaphysique comme dans l’ordre logique. N’y aura-t-il personne parmi nous, par l’aide duquel ce processus obligatoire de la pensée, que l’athée politico-scientifique arrête volontairement à un certain point, éteignant ainsi la lumière suprême de la compréhension de l’univers, puisse déboucher dans la conception de la réalité objective de l’univers cosmique, qui ramène à l’esprit le sens de la présence divine et sur les lèvres les syllabes humbles et balbutiantes d’une prière heureuse ? Les athées, nous les voyons aussi parfois mus par de nobles sentiments, dégoûtés de la médiocrité et de l’égoïsme de tant de milieux sociaux contemporains, et empruntant fort à propos à notre Evangile des formes et un langage de solidarité et de compassion humaine : ne serons. nous pas un jour capables de reconduire à leurs vraies sources, qui sont chrétiennes, ces expressions de valeurs, morales ?
109 – C’est pourquoi Nous rappelant ce qu’écrivit Notre Prédécesseur de vénérée mémoire, le Pape Jean XXIII, dans l’Encyclique Pacem in terris, à savoir que les doctrines de ces mouvements, une fois élaborées et définies, demeurent toujours les mêmes, mais que les mouvements eux-mêmes ne peuvent pas ne pas évoluer et subir des changements, même profonds (A.A.S., LV, 1963, p. 300.) Nous ne désespérons pas de les voir un jour ouvrir avec l’Eglise un autre dialogue positif, différent de l’actuel obligatoirement limité à déplorer et à nous plaindre.
Le dialogue pour la paix
110 – Mais Nous ne pouvons détacher Notre regard du panorama du monde contemporain sans exprimer un vœu flatteur : que notre dessein de cultiver et de perfectionner notre dialogue avec les répondants divers et changeants que celui-ci présente de soi, puisse servir à la cause de la paix entre les hommes ; comme méthode, en cherchant à régler les rapports humains à la noble lumière du langage raisonnable et sincère ; et comme contribution d’expérience et de sagesse, car ce dialogue peut raviver chez tous la considération des valeurs suprêmes. L’ouverture d’un dialogue tel que veut être le nôtre, désintéressé, objectif, loyal, est par elle-même une déclaration en faveur d’une paix libre et honnête ; elle exclut simulations, rivalités, tromperies et trahisons ; elle ne peut pas ne pas dénoncer comme un crime et comme une ruine la guerre d’agression, de conquête ou de domination ; elle ne peut pas ne pas s’étendre des relations au sommet des nations à celles qui existent dans le corps des nations elles-mêmes et aux bases, aussi bien sociales que familiales et individuelles, pour répandre dans toutes les institutions et dans tous les esprits le sens, le goût, le devoir de la paix.
Deuxième cercle: les croyants en Dieu
111 – Puis, autour de nous nous voyons se dessiner un autre cercle immense, lui aussi, mais moins éloigné de nous : c’est avant tout celui des hommes qui adorent le Dieu unique et souverain, celui que nous adorons nous aussi ; Nous faisons allusion aux fils, dignes de Notre affectueux respect, du peuple hébreu, fidèles à la religion que Nous nommons de l’Ancien Testament ; puis aux adorateurs de Dieu selon la conception de la religion monothéiste – musulmane en particulier – qui méritent admiration pour ce qu’il y a de vrai et de bon dans leur culte de Dieu ; et puis encore aux fidèles des grandes religions afro-asiatiques. Nous ne pouvons évidemment partager ces différentes expressions religieuses, ni ne pouvons demeurer indifférent, comme si elles s’équivalaient toutes, chacune à sa manière, et comme si elles dispensaient leurs fidèles de chercher si Dieu lui-même n’a pas révélé la forme exempte d’erreur, parfaite et définitive, sous laquelle il veut être connu, aimé et servi ; au contraire, par devoir de loyauté, nous devons manifester notre conviction que la vraie religion est unique et que c’est la religion chrétienne, et nourrir l’espoir de la voir reconnue comme telle par tous ceux qui cherchent et adorent Dieu.
112 – Mais nous ne voulons pas refuser de reconnaître avec respect les valeurs spirituelles et morales des différentes confessions religieuses non chrétiennes ; nous voulons avec elles promouvoir et défendre les idéaux que nous pouvons avoir en commun dans le domaine de la liberté religieuse, de la fraternité humaine, de la sainte culture, de la bienfaisance sociale et de l’ordre civil. Au sujet de ces idéaux communs, un dialogue de notre part est possible et nous ne manquerons pas de l’offrir là où, dans un respect réciproque et loyal, il sera accepté avec bienveillance.
Troisième cercle: les Frères Chrétiens séparés
113 Et voici le cercle du monde le plus voisin de Nous, celui qui s’appelle hrétien. Dans ce domaine, le dialogue, qui a pris le nom d’œcuménique, est déjà ouvert ; dans certains secteurs, il est déjà entré dans un développement positif. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet si complexe et si délicat. Mais Nous ne pouvons l’épuiser ici, où Nous Nous limitons à quelques traits, d’ailleurs déjà connus. Volontiers, nous faisons nôtre le principe : mettons en évidence avant tout ce que nous avons de commun, avant de noter ce qui nous divise. C’est là un thème bon et fécond pour notre dialogue. Nous sommes disposé à le poursuivre cordialement. Nous dirons plus : que sur de nombreux points qui nous différencient, en fait de tradition, de spiritualité, de lois canoniques, de culte, Nous sommes prêt à étudier comment répondre aux légitimes désirs de nos frères chrétiens, encore séparés de nous. Rien ne peut Nous être plus désirable que de les embrasser dans une parfaite union de foi et de charité. Mais Nous devons dire aussi qu’il n’est pas en Notre pouvoir de transiger sur l’intégrité de la foi et sur les exigences de la charité. Nous entrevoyons des défiances et des résistances à cet égard. Mais maintenant que l’Eglise catholique a pris l’initiative de recomposer l’unique bercail du Christ, elle ne cessera d’avancer en toute patience et avec tous les égards possibles ; elle ne cessera pas de montrer comment les prérogatives qui tiennent encore éloignés d’elle les frères séparés ne sont pas le fruit d’ambitions historiques ou d’une spéculation théologique imaginaire, mais qu’elles dérivent de la volonté du Christ et que, comprises dans leur véritable signification, elles tournent au bien de tous, servent à l’unité commune, à la liberté commune et à la commune plénitude chrétienne ; l’Eglise catholique ne cessera de se rendre capable et digne, dans la prière et dans la pénitence, de la réconciliation désirée.
Une pensée à cet égard Nous afflige, celle de voir que c’est précisément, Nous, défenseur de cette réconciliation, qui sommes considéré par beaucoup de nos frères séparés comme l’obstacle, à cause du primat d’honneur et de juridiction que le Christ a conféré à l’apôtre Pierre, et que Nous avons hérité de lui. Certains ne disent-ils pas que si la primauté du Pape était écartée, l’union des Eglises séparées avec l’Eglise catholique serait plus facile ? Nous voulons supplier les frères séparés de considérer l’inconsistance d’une telle hypothèse ; et non seulement parce que sans le Pape l’Eglise catholique ne serait plus telle, mais parce que l’office pastoral suprême, efficace et décisif de Pierre venant à manquer dans l’Eglise du Christ, l’unité se décomposerait ; et on chercherait en vain ensuite à la recomposer sur des principes qui remplaceraient le seul principe authentique, établi par le Christ lui-même : « Il y aurait dans l’Eglise autant de schismes qu’il y a de prêtres », écrit justement saint Jérôme (Dial, contra Luciferianos n° 9 ; P.L. 23, 173).
Et il faut aussi considérer que ce pivot central de la sainte Eglise ne veut pas constituer une suprématie d’orgueil spirituel et de domination humaine, mais une supériorité de service, de ministère et d’amour. Ce n’est pas vaine réthorique d’attribuer au Vicaire du Christ le titre de « Serviteur des serviteurs de Dieu ».
115 – Tel est le plan sur lequel veille Notre dialogue, qui avant même de se dérouler en conversations fraternelles s’exprime en colloque avec le Père céleste, en effusion de prière et d’espérance.
Signes de vie
116 – Nous devons noter avec joie et avec confiance, vénérables frères, que ce secteur varié et très étendu des chrétiens séparés est tout pénétré de ferments spirituels qui semblent préluder à des développements consolants pour la cause de leur remise en place dans l’unique Eglise du Christ. Nous voulons implorer le souffle de l’Esprit-Saint sur le « mouvement œcuménique » ; Nous voulons répéter Notre émotion et Notre joie pour l’entrevue pleine de charité et non moins de nouvelle espérance que Nous avons eue, à Jérusalem, avec le patriarche Athénagoras ; Nous voulons saluer avec respect et avec reconnaissance l’intervention de tant de représentants des Eglises séparées au second Concile œcuménique du Vatican ; Nous voulons assurer encore une fois que Nous considérerons avec attention et religieux intérêt les phénomènes spirituels ayant rapport au problème de l’Unité qui intéressent des personnes, des groupes et des communautés dotés d’une vie religieuse vivante et noble. Avec amour, avec respect, Nous saluons tous ces chrétiens, dans l’attente de pouvoir encore mieux, dans le dialogue de la sincérité et de l’amour, promouvoir avec eux la cause du Christ et de l’unité voulue par lui pour son Église.
Le dialogue au sein de l’Eglise catholique
117 – Et finalement notre dialogue s’offre aux fils de la Maison de Dieu, l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, dont l’Eglise de Rome est « la mère et la tête ». Comme Nous voudrions le goûter en plénitude de foi, de charité, d’œuvres, ce dialogue de famille ! Combien Nous le voudrions intense et familier ! Combien sensible à toutes les vérités, à toutes les vertus, à toutes les réalités de notre patrimoine doctrinal et spirituel ! Combien sincère et ému dans son authentique spiritualité ! Combien prompt à accueillir les voix multiples du monde contemporain ! Combien capable de rendre les catholiques des hommes vraiment bons, des hommes sages, des hommes libres, des hommes pleins de sérénité et de force !
Le sens de l’autorité et de l’obéissance dans l’Eglise
118 – Ce désir de donner aux rapports intérieurs de l’Eglise la marque d’un dialogue entre les membres d’une communauté dont la charité est le principe constitutif ne supprime pas l’exercice de la vertu d’obéissance là où l’exercice de la fonction propre de l’autorité, d’une part, de la soumission de l’autre, est réclamé, soit par l’ordre convenable à toute société bien organisée, soit surtout par la constitution hiérarchique de l’Eglise. L’autorité de l’Eglise est instituée par le Christ ; bien plus, elle le représente, elle est le véhicule autorisé de sa parole, elle est la traduction de sa charité pastorale ; si bien que l’obéissance part d’un motif de foi, devient école d’humilité évangélique, associe l’obéissant à la sagesse, à l’unité, à l’édification, à la charité qui soutiennent le corps ecclésiastique et confère à qui l’impose et à qui s’y conforme le mérite de l’imitation du Christ « qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort » (Phil., 2, 8).
119 – Par obéissance sous forme de dialogue Nous entendons l’exercice de l’autorité tout pénétré de la conscience d’être service et ministère de vérité et de charité ; et Nous entendons l’observation des normes canoniques et la soumission respectueuse au gouvernement du supérieur légitime, double forme d’obéissance qui distingue les fils libres et aimants à leur promptitude et à leur sérénité. L’esprit d’indépendance, de critique, de rébellion, s’accorde mal avec la charité qui inspire la solidarité, la concorde et la paix dans l’Église ; il transforme facilement le dialogue en contestation, en dispute, en dissension ; phénomène très fâcheux, encore qu’il naisse, hélas ! si aisément et contre lequel la voix de l’apôtre Paul nous prémunit : « Qu’il n’y ait pas parmi vous de divisions. » (1 Cor., 1, 10.)
La vitalité de l’Eglise
120 – C’est dire que Nous désirons ardemment que le dialogue intérieur au sein de la communauté ecclésiale gagne en ferveur, s’enrichisse de nouveaux sujets, de nouveaux interlocuteurs, si bien que croissent la vitalité et la sanctification du Corps mystique terrestre du Christ. Tout ce qui met en circulation les enseignements dont l’eglise est dépositaire et dispensatrice, Nous le désirons. Nous avons déjà parlé de la vie liturgique et intérieure et de la prédication ; Nous pourrions ajouter ; l’école, la presse, l’apostolat social, les Missions, l’exercice de la charité ; autant de sujets que le Concile nous fera considérer. Et que tous ceux qui, sous la direction des autorités compétentes, participent au dialogue vitalisant de l’eglise soient encouragés et bénis par Nous, les prêtres, d’une, manière spéciale, les religieux, les très chers laïcs qui militent pour le Christ dans l’Action catholique et dans tant d’autres formes d’association et d’action.
L’Eglise vivante aujourd’hui
121 – C’est pour Nous source de joie et de réconfort d’observer qu’un tel dialogue à l’intérieur de l’Église et pour l’extérieur le plus proche est déjà existant : l’Eglise est vivante aujourd’hui plus que jamais ! Mais à bien considérer les choses, il semble que tout reste encore à faire ; le travail commence aujourd’hui et ne finit jamais. Telle est la loi de notre pèlerinage sur la terre et dans le temps. Tel est le devoir ordinaire de notre ministère, vénérés frères ; et aujourd’hui, tout nous invite à le remplir de manière neuve, vigilante, intense.
122 – Quant à Nous, tandis que Nous vous en avertissons, Nous aimons mettre Notre confiance en votre collaboration et Nous vous offrons la Nôtre ; cette communion de buts et d’œuvres, Nous l’avons demandée et Nous l’avons manifestée à peine monté – avec le nom de l’Apôtre des gentils, et Dieu veuille, avec quelque chose de son esprit – sur la chaire de l’apôtre Pierre ; et célébrant ainsi l’unité du Christ entre nous, Nous vous envoyons, avec cette première Encyclique, dans le nom du Seigneur, Notre fraternelle et paternelle Bénédiction apostolique, que Nous étendons volontiers à toute l’Église et à l’humanité entière.
Du Vatican, le 6 août 1964, en la fête de la Transfiguration de Notre-Seigneur Jésus-Christ.