Qui peut sonder les profondeurs de la conscience humaine ? Avec une approche totalement opposée, deux films récents abordent la question. Le Britannique Ken Loach opte pour l’humour et le style bon enfant dans LA PART DES ANGES alors que l’Allemande Margarethe von Trotta le fait de façon académique et rigoureuse dans une tranche de vie intitulée HANNAH ARENDT. Dans les deux cas, le résultat est concluant et les cinéphiles ravis.
HANNAH ARENDT
Après ROSA LUXEMBOURG, Margarethe von Trotta (LES ANNÉES DE PLOMB) se penche sur une autre grande figure féminine allemande, avec à nouveau Barbara Sukowa dans le rôle-titre. Évitant la biographie classique avec escales obligées, la cinéaste se concentre sur un épisode-clé de la vie de la philosophe, déclencheur de la théorie qui l’a immortalisée et qui, cinquante ans plus tard, suscite encore la controverse.
En 1961, la philosophe juive allemande Hannah Arendt est dépêchée à Jérusalem par le magazine américain The New Yorker pour couvrir le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann. Les articles qu’elle fait paraître, dans lesquels elle échafaude son audacieuse théorie sur «La banalité du mal», entraînent une vive polémique.
De fait, son obstination et l’exigence de sa pensée se heurtent à l’incompréhension de ses proches, à l’exception de son mari Heinrich Blücher, et provoquent son isolement auprès des milieux intellectuels et universitaires new-yorkais, au sein desquels elle évolue. On reproche à cette femme engagée et pétrie de contradictions – elle n’a jamais coupé les ponts avec son ancien amant Martin Heidegger, philosophe nazi convaincu – de vouloir déresponsabiliser Eichmann.
Alors que la justice internationale veut faire de son procès un exemple, Arendt brosse de lui le portrait d’un subalterne zélé et médiocre, maillon d’une chaîne de commande bureaucratique qui lui a permis de poser des gestes terribles sans avoir à en endosser les conséquences.
Le travail du philosophe est une activité peu cinématographique et les scènes qui montrent le personnage en réflexion (l’éternelle cigarette étant ici l’indice de cette activité) peuvent finir par lasser. Il en est de même pour les images d’archives d’Adolf Eichman durant son procès, diffusées sur une panoplie de moniteurs. Si ce parti-pris s’avère ingénieux pour éviter de faire jouer à un acteur le rôle de l’infâme officier nazi, tout en respectant le verbatim des séances au tribunal, il alourdit parfois la mise en scène. Heureusement, ces agacements sont transcendés par la force du propos, toujours d’actualité, et par l’intensité du jeu de Sukowa.
LA PART DES ANGES
Cette comédie sociale teintée d’ironie du vétéran Ken Loach (RAINING STONES, LAND AND FREEDOM) exploite avec ingéniosité un amusant paradoxe sur la justice et la réhabilitation, par lequel des délinquants rentrent dans le droit chemin grâce à une magouille.
Accusé de voie de fait grave, Robbie doit sa liberté à son avocate qui, malgré son lourd casier judiciaire, a obtenu qu’il purge sa peine dans la communauté. Le voyou sans emploi de Glasgow, dont la petite amie doit bientôt mettre au monde leur bébé, se retrouve ainsi parachuté parmi une joyeuse bande de délinquants, placés sous la tutelle de Harry, un quinquagénaire célibataire. L’agent veille sur eux comme un père et, pour fêter la naissance du fils de Robbie, initie ce dernier à sa passion: le whisky.
Constatant l’intérêt du jeune homme pour cet alcool, ainsi que la finesse de son nez et de son palais, Harry l’entraîne, ainsi que trois de ses nouveaux amis, dans une conférence sur le sujet donnée à Édimbourg. Durant une dégustation à l’aveugle où le talent de Robbie s’est fait remarquer, Leonie, la seule fille de leur groupe, dérobe les plans de l’imminente mais secrète vente aux enchères d’un tonneau de whisky rarissime. Robbie voit là l’opportunité de faire un coup d’argent, qui lui permettra de rembourser ses violents créanciers.
Ludique et critique à la fois, le récit picaresque pondu par le scénariste attitré de Loach, Paul Laverty (THE WIND THAT SHAKES THE BARLEY), avance à bon rythme, à coups de surprises, de petits événements, d’ellipses, mais aussi de retournements commodes et de développements forcés. L’attention est tout entière dédiée aux interprètes, que Loach filme avec une affection qui ne se dément pas jusqu’au dénouement jouissif et rempli d’espoir. Paul Brannigan est particulièrement crédible dans la peau d’un voyou réformé par sa passion. Les scènes qui l’opposent à son mentor, joué de façon très juste par John Henshaw, comptent parmi les plus authentiques du film.
Gilles Leblanc