Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, un prêtre suisse, grand spirituel du XXe siècle, disait ceci au sujet de ce grand spirituel :
« Il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au coeur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main, que Dieu est l’accomplissement de l’homme. » *
Ceux et celles qui sont touchés par cette grâce de la foi chrétienne souhaitent naturellement la partager, comme une bonne nouvelle qu’on ne peut garder que pour soi : « Comment pourrions-nous taire la joie qui nous habite? », disait Jean-Paul II dans une homélie. Pourtant la foi ne s’impose pas, elle ne se démontre pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donneraient une preuve définitive. On ne peut ni la donner, ni la prêter. On ne peut la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait.
On peut et on doit en parler bien sûr, on peut l’enseigner ou communiquer ce qui nous habite, mais l’exigence de la foi en Dieu implique avant tout un « vivre avec ». Il s’agit alors d’insérer cette foi au plus intime de nos journées, de nos faits et gestes, car la foi en Dieu nous engage dans le combat de Dieu. Elle est témoignage. Vivre et témoigner de sa foi ce sera donc y puiser force et courage, goûter à cette joie secrète de celui qui accueille en sa vie la présence de Dieu afin de devenir un adulte dans la foi et ainsi vivre en solidarité avec toute l’humanité.
Le danger qui guette toujours le croyant est de surestimer le chemin parcouru depuis qu’il a commencé à croire. L’homme aime bien domestiquer son existence, l’enfermer dans un monde de sécurités et d’habitudes. Et parfois il agit ainsi avec Dieu. Il en fait alors son bien, sa chose, et peu à peu sa relation avec lui s’attiédit. Dieu devient une commodité qu’il range dans le grenier de ses surplus, dans la chambre à débarras.
Pourtant la foi en Dieu touche à la fibre la plus intime et la plus personnelle de notre existence, au-delà de toutes nos amitiés et de tous nos amours. Comme le dit Maurice Zundel: « Dieu est l’accomplissement de l’homme », et l’enjeu qui se profile derrière l’expérience de foi est celui de la réalisation même de notre être en tant que personne. C’est cet accueil de Dieu en nos vies qui permet véritablement à l’amour de s’épanouir pleinement et de prendre son envol.
La caractéristique la plus profonde de la foi chrétienne, comme le rappelait jadis celui qui est devenu le pape Benoît XVI, « est son ouverture sur un être personnel. La foi chrétienne est plus qu’une option pour un principe spirituel du monde. » Le chrétien ne dit pas : « Je crois en quelque chose », mais « je crois en Toi ». Cette foi est « rencontre avec l’homme Jésus, et elle découvre dans une telle rencontre que le sens du monde est une personne. » Par sa vie dans le Père, par la densité de sa relation avec lui, Jésus nous introduit dans la vie divine. L’infiniment éloigné devient tout proche et nous habite. « Ne me crois-tu donc pas Philippe lorsque je dis qui m’a vu a vu le Père ! »
Jésus devient alors la présence de l’éternel lui-même dans le monde. Dans sa vie, dans le don de lui-même pour l’humanité, il se révèle comme une présence, une présence sous la forme de l’amour et du pardon. Une présence contagieuse qui non seulement donne envie d’aimer, mais surtout rend capable d’aimer. « Ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi, » disait saint Paul. Ce n’est plus moi, c’est le Christ qui aime en moi ! Voilà ce que la foi au Christ rend possible dans nos vies.
Yves Bériault, o.p.