Frère du grand Basile le grand qu’il ne cessa jamais de louanger comme un « maître et un père », Grégoire de Nysse fut un orateur célèbre. Issu d.un monde spirituel et social, il n’étonna personne en se tournant vers les tâches spirituelles et l’état ecclésiastique. Au préalable, il avait épousé Théosobie, femme de haute culture qu’il aima passionnément. Mais cette aventure éphémère n’entrava nullement son cheminement religieux. Grégoire avait également une sœur avec laquelle il était personnellement lié. Une conversation avec elle nous valut le dialogue « Sur l’âme et la résurrection ». Solitaire de nature, peu fait pour la vie communautaire, penseur et philosophe, il savait voir et observer. Dans une Église en quête de forces vives, rien de surprenant que Grégoire devienne bientôt évêque de Nysse (371). D’une pensée originale et non-conformiste mais critique, Grégoire donne habituellement libre cours à sa pensée à l’encontre de Basile son frère, plus concentré sur la Bible. Il est l’auteur d’une « Grande Catéchèse », premier grand essai de synthèse doctrinale du christianisme, elle devait servir à la prédication apologétique. C’est de cette catéchèse qu’est tiré cet extrait sur l’Incarnation : « Pourquoi le Sauveur est-il venu si tard ? ».
(En réponse à l’immobilisme platonicien et la conception du temps fermé sur lui-même comme une prison, Grégoire écrit : )
« Si ce qui a eu lieu était bon et digne de Dieu, pourquoi a-t-il différé son bienfait ? Pourquoi, alors que le vice en était encore à ses débuts, ne pas avoir coupé court à son développement ultérieur ?
A cette objection, notre réponse sera brève : c’est la sagesse et la prévoyance de l’être bienfaisant par nature qui ont fait différé le bienfait. En effet, dans les maladies physiques, quand une humeur corrompue envahit les conduits du corps, tant que l’élément contraire ne s’est pas manifesté à la surface, ceux qui usent d’une thérapeutique savante ne traitent pas le corps à l’aide d’astringents ; ils attendent que le mal caché à l’intérieur se manifeste au-dehors, et alors, quand il est à découvert, ils lui appliquent le traitement. Ainsi, une fois que la maladie du péché se fut abattue sur la nature humaine, le médecin de l’univers attendit que ne restât dissimulée aucune forme de perversité.
Voilà pourquoi ce n’est pas aussitôt après la jalousie de Caïn et le meurtre de son frère qu’il applique le traitement. A ce moment-là, en effet, ceux qui furent détruits au temps de Noé n’avaient pas encore fait éclater leur vice ; la funeste maladie de Sodome ne s’était pas encore manifestée, ni le combat des Égyptiens contre Dieu, ni la superbe des Assyriens, ni le crime commis par les Juifs contre les saints de Dieu (Mt. 23,35), ni le massacre criminel des enfants ordonné par Hérode (Mt.2, 16-18), non plus que tous les autres méfaits dont on garde la mémoire et tous ceux qui furent commis à l’insu de l’histoire dans la suite des générations, quand la racine du mal poussait ses différents rejetons suivant les diverses inclinations de l’homme.
C’est donc lorsque le vice fut arrivé à son comble et qu’il n’y eut plus aucune perversité qui n’eût été osée par les hommes, que Dieu se mit à soigner la maladie, non plus à son début, mais dans son plein épanouissement, afin que le traitement pût s’étendre à toute l’infirmité humaine. »
Saint Grégoire de Nysse (335-395)