Soyons des Samaritains les uns pour les autres
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Pour mettre Jésus à l’épreuve, un docteur de la Loi lui posa cette question : « Maître, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? »
Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Que lis-tu ? »
L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. »
Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais ainsi et tu auras la vie. »
Mais lui, voulant montrer qu’il était un homme juste, dit à Jésus : « Et qui donc est mon prochain ? »
Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé, roué de coups, s’en allèrent en le laissant à moitié mort.
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de pitié.
Il s’approcha, pansa ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : ‘Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.’
Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? »
Le docteur de la Loi répond : « Celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi fais de même. »
COMMENTAIRE
Le légiste résume la Loi en unissant deux commandements qui prescrivent d’aimer. Le premier, issu du Deutéronome (Dt 6,5), concerne l’amour de Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit ». Le second, tiré du Lévitique (Lv 19,18), concerne l’amour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». L’amour de Dieu et l’amour du prochain constituent deux énoncés de l’unique commandement de l’amour qui résume toute la Loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain. Le légiste et Jésus sont d’accord pour dire que l’amour constitue l’essentiel de la Loi : il suffit d’aimer pour entrer dans la vie éternelle. « L’amour est la Loi dans sa plénitude », écrit Paul (Rm 13,10).
Le débat reste cependant ouvert sur un point essentiel : comment mettre concrètement en pratique ce commandement de l’amour ? Il est intéressant de remarquer que le dialogue entre Jésus et le légiste porte plus sur la mise en pratique du commandement de l’amour du prochain que sur la manière d’accomplir le commandement de l’amour de Dieu. Puisque les deux commandements n’en font qu’un, la manière d’aimer le prochain devient la voie royale d’aimer Dieu. Jean est très clair là-dessus dans sa 1re épître : « Si quelqu’un dit : ‘J’aime Dieu’, alors qu’il déteste son frère, c’est un menteur ! Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas ! Celui qui aime Dieu aime aussi son frère ! » (1Jn 4,20)
Jésus utilise une parabole bien enracinée dans le contexte de son temps. Le prochain n’est pas une idée, c’est quelqu’un qui est près de moi, quelqu’un qui se trouve sur ma route. Le prochain, c’est celui dont je ne me détourne pas, que je n’évite pas, dont je m’approche. Aimer ne relève pas d’abord d’un beau sentiment, mais d’une attitude d’approche, avec une bienveillance a priori ; aimer impose de sortir de soi pour aller vers l’autre : celui qui croise ma route ou, mieux, dont je croise la route ; l’amour du prochain suppose sa rencontre. Le Samaritain arriva « près de lui » et « fut saisi de pitié » ; le verbe grec, qui signifie « être bouleversé dans son ventre », est souvent employé à propos de Jésus dans les évangiles : il caractérise son attitude devant les détresses de tous ceux qui s’approchent de lui ; Jésus ne se cacherait-il pas dans le Samaritain ? Il se préoccupe de l’homme à demi mort parce qu’il est sur sa route. Il ne s’interroge pas sur sa nationalité ou sa religion. Il s’approche de lui parce qu’il a besoin d’aide. L’amour du prochain est un commandement qui vaut pour tout homme.
Comment Jésus aurait-il raconté cette parabole aujourd’hui, avec la présence du mur de séparation entre Jérusalem et les territoires palestiniens ? Ce Samaritain pourrait être un homme des territoires palestiniens qui s’approche d’un homme blessé sur le chemin, peut-être israélien. Mais le mur rend-il encore possible un tel geste ? Il faut espérer que oui, sinon notre civilisation aboutirait à l’impossibilité de pratiquer le commandement qui résume toute la Loi ! L’auberge du bon Samaritain a plus que jamais sa raison d’être à proximité des murs qui séparent les hommes ! Jésus nous invite à nous faire proches de tous ceux que nous croisons, des gens avec qui nous vivons et de ceux qui sont très différents de nous. Il nous apprend que toute personne doit être reconnue et traitée comme un frère ou une sœur.
Si les disciples de Jésus pratiquaient vraiment ce commandement depuis des siècles, le monde n’aurait-il pas sérieusement changé ? Le mur aurait-il été élevé dans cette terre « sainte » ? Est-il encore possible de rêver ? L’évangile est cette bonne nouvelle que l’amour du prochain est possible et qu’il est le seul dynamisme capable de changer le monde. Il n’est pas possible de pratiquer le commandement de l’amour de Dieu sans celui de l’amour du frère. Sur la terre où les villes de Jérusalem et de Jéricho sont toutes proches, mais séparées, puissent tous les croyants le comprendre !
Notre rapport à Dieu est communautaire plus qu’individuel. L’auberge du Samaritain est une belle image de l’Église ! C’est l’auberge dans laquelle Jésus dépose tous ceux qu’il a sauvés, tous ceux qu’il a pris sur sa propre monture. Le chemin qui conduit à Dieu est celui du Samaritain ; celui de Jésus. C’est un chemin sur lequel nous ne cessons d’être mis en face les uns des autres. Il part de Jérusalem et traverse toutes les frontières qui séparent les hommes entre eux et les séparent de Dieu. En effet, Dieu est rencontré et aimé quand nous sommes capables de franchir ces frontières pour nous rencontrer, nous accueillir, nous aimer. Dieu est unique. Il est le Dieu de tous !
Parce que Jésus est l’icône du Dieu invisible, tout homme est frère de Jésus. Tout prochain est une icône du Dieu invisible. Aimer nos frères, nos sœurs, c’est aimer Dieu. La voie chrétienne n’est pas une évasion vers un Dieu invisible et lointain ! Elle est la reconnaissance du Dieu invisible sur le visage concret de ceux qui nous entourent. Notre route vers Dieu est balisée par les petits gestes d’amour quotidiens et gratuits envers les frères et les sœurs que Dieu nous donne. L’amour que nous avons pour Dieu n’est vérifiable que dans le concret de nos relations humaines : « N’aimons pas avec des mots ou des paroles, mais en actes et en vérité » (1Jn 3,18). Sans prochain, comment pourrions-nous progresser en amour, et donc progresser vers Dieu ? Le prochain est notre chemin vers Dieu. Le chemin du Samaritain est celui de l’amour en actes ! C’est le chemin de la rencontre de Dieu, donc de la vie éternelle : « Fais ainsi, et tu auras la vie. Va, et toi aussi, fais de même. »
Cette parole est tout près de nous : elle est mise aujourd’hui dans nos cœurs pour que nous la mettions en pratique. Imitons Jésus, devenons des Samaritains les uns pour les autres ! Ayons le souci de tous ceux que nous rencontrons sur notre route. Ne passons jamais à côté de quelqu’un avec indifférence. Alors, quand nous serons en face du Bon Samaritain, il nous dira : « Ce que vous avez fait aux plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).
Fr. Dominique CHARLES, o.p.