À première vue, il existe un abîme infranchissable entre le monde de la foi et celui de l’incroyance. Ces deux univers semblent si différents, si étrangers l’un à l’autre, qu’il paraît impossible de les rapprocher, d’ouvrir une brèche pour passer de l’un à l’autre.
Je me souviens d’une femme qui n’arrivait pas à croire et qui me suppliait de l’aider à découvrir la foi. Elle considérait que les chrétiens avaient de la chance de donner à leur vie une cohérence qu’elle n’arrivait pas à trouver elle-même. J’ai rencontré un jeune chinois, fraîchement arrivé de son pays d’origine. Il m’a bombardé de questions sur l’existence de Dieu ou des divinités. Il m’avoua avec une pointe de regret: «Vous avez de la chance d’avoir trouvé une philosophie qui donne du sens à votre vie. Dans mon pays, le discours officiel n’arrive pas à faire cela.»
Par ailleurs, je connais des croyants mal à l’aise quand ils rencontrent des incroyants ou des athées. Ils craignent d’être bousculés dans leur foi. Ils ont peur même de la perdre. Souvent, ces croyants se barricadent loin des polémiques religieuses. Ils rêvent d’avoir une foi à toute épreuve, une foi assez forte pour résister à toute attaque antireligieuse.
Personnellement, l’incroyance ne me fait pas peur. Au contraire. J’éprouve du plaisir à discuter avec des gens qui ne partagent pas mes convictions religieuses. Si ma foi est trop fragile et risque de disparaître au contact des objections, elle ne mérite pas d’exister. Elle ne peut vraiment éclairer ma vie. Elle ne peut répondre aux questions fondamentales qui occupent mon esprit.
Bien plus, la fragilité de ma foi est une sorte de garantie; elle m’assure que je suis sur la voie qui mène à la rencontre de Dieu. Parce qu’il lui arrive de vaciller, ma foi me garde en éveil. Elle laisse la vie m’interpeller. Elle me fournit des questions qui me gardent en route. À cause de sa fragilité, ma foi me talonne, elle me fait chercher. Elle me rend attentif aux signes inédits qui viennent m’interpeller.
Croire, c’est refuser les certitudes ou, du moins, c’est refuser de réduire le regard au monde des certitudes. Les certitudes sont limitées. Leurs frontières sont définies. Les preuves les appuient. Bref, les certitudes appartiennent au savoir, à la connaissance.
La foi ne consiste pas à croire à des certitudes. Le mystère nous enveloppe. Une grande partie de la réalité habite l’ombre et demeure encore inexplorée. Toute réalité finie et abordable porte en elle sa part d’infini et d’inaccessible. Croire, c’est reconnaître cet invisible. Croire, c’est porter la vie comme une immense question dont la réponse demeure toujours partielle. Chaque question en fait surgir une autre.
Dieu qui est l’ultime de la foi dépasse tout ce que nous pouvons en dire et en penser. «Ô toi, l’au-delà de tout, n’est-ce pas tout ce qu’on peut chanter de toi?», dit une hymne attribuée à saint Grégoire de Naziance. Quand nous faisons appel à la foi, c’est pour tenter de dire ce qui dépasse tout entendement, l’indicible, l’innommable, l’indéfinissable, «l’au-delà de tout».
Il me semble que nous ne pouvons pas croire sans faire une place au doute dans notre quête de sens. La foi nous amène à reconnaître que la réalité se présente en creux plus qu’en plein. Une grande part d’elle-même reste à découvrir. Comme les mots portent l’indicible, la réalité enferme en elle l’invisible dans une sorte d’écrin.
En ce sens, il me semble que la foi se trouve en connivence avec l’incroyance. Comme croyant, je cherche au même titre que l’incroyant. Lui comme moi, nous avançons en quête de lumière. Et cette démarche commune nourrit ma propre démarche de croyant. Ma foi vit de cette recherche malgré que nous soyons si différents, l’incroyant et moi. En moi comme en lui, croire et ne pas croire sont proches l’un de l’autre, intimement liés l’un à l’autre.
Denis Gagnon, o.p.