Amen
Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille, une vierge, accordée en mariage à un homme de la maison de David, appelé Joseph ; et le nom de la jeune fille était Marie. L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » A cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire, puisque je suis vierge ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, et il sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu’Élisabeth, ta cousine, a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait : ‘la femme stérile’. Car rien n’est impossible à Dieu. » Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »
Alors l’ange la quitta.
Commentaire:
Faut-il croire ici au souvenir que Luc ou quelqu’un d’autre aurait retenu des confidences de Marie sur la visite de l’ange Gabriel ? L’hypothèse est peu probable. Le caractère inusité de l’événement et davantage encore la pratique de la lecture de la Bible inclinent vers une autre source. Sous la conduite de l’Esprit « qui vous rappellera tout ce que je vous ai dit et vous enseignera bien autres choses encore » (Jn. 16, 13), tel qu’annoncé par Jésus au soir de la Cène, le disciple de Paul, utilisant un donné traditionnel, Luc nous donne un enseignement théologique. Un prologue ouvre le dialogue entre Marie et l’envoyé céleste.
Ce prologue situe l’Annonciation dans l’histoire du salut. Élisabeth est enceinte de cinq mois. Nous en sommes au sixième et Jésus va être conçu. Marie, hâtivement, se dirige vers Aïn Karim, demeure d’Élisabeth. Elle veut être là pour assister sa cousine. La rencontre entre l’ange et la jeune fille se déroule en un temps bien défini et dans un village peu connu de Galilée (Jn.1.46). Marie peut avoir seize ans, elle est en âge d’être mariée. Joseph, son fiancé, est de la descendance de David. Il n’y a pas lieu ici d’ajouter foi à une tradition selon laquelle Joseph était veuf avec enfants, ce qui expliciterait l’identité des frères de Jésus ; ou encore un vieillard choisi pour assurer la protection de la jeune femme. Joseph, c’est le « gars du village » auquel Joachim et Anne, père et mère de Marie, avait promis leur fille. Sans doute un bon gars sinon le plus beau de la place.
« Réjouis-toi, comblée de grâce »
Débute alors le dialogue de Marie avec l’ange ; composition de Luc et l’une des plus belles pages de son évangile. Était-il besoin de l’apparition d’un ange pour expliquer l’événement et lui donner un sens pour notre pauvre vie ? Toute humaine qu’était Marie, d’autant plus que le péché ne l’avait atteinte, les misères de ses compatriotes ne pouvaient la laisser indifférente, de même l’annonce maintes fois proclamée à la synagogue de la miséricorde promise avec la venue de l’Emmanuel. Soucieuse d’y collaborer, Marie s’offre spontanément : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ». Tel est vraisemblablement le fondement historique de cette mise en scène de l’auteur du troisième évangile, le dialogue qu’il compose sous la mouvance de l’Esprit.
L’ange Gabriel apparut à Marie. Comme salutation, Luc privilégie la formule habituelle du monde grec, utilisée par les Septante, traducteurs de la Bible avant le Christ : « Réjouis-toi ! » Il en fera usage en quelques occasions (Ac. 15,23 ; 23,26). L’expression constitue un appel tellement plus évocateur que le terme sémite : « Shalôm ! La paix soit avec toi ! ». Luc se situe ainsi dans la plus pure tradition prophétique (So. 3,15 ; Jl. 2,27 ; Za. 9,98). Marie ne peut que se réjouir parce que le « Seigneur est avec elle », l’Emmanuel. Aussi est-elle privilégiée, « comblée de grâces ». Dieu a fait de Marie l’objet privilégié de sa bienveillance. Tout un monde d’espérances et de mystères.
» À ces mots Marie fut troublée ». On peut le comprendre : après des siècles, le doute et le remise en question entourent toujours cette révélation. Alors, que penser de la réaction de Marie devant l’incroyable projet divin ? Comment l’humble servante pleinement consciente de sa bassesse pouvait-elle avoir été choisie pour donner au monde son Messie ? « Heureuse celle qui a cru » s’exclamera Élisabeth à la voix de sa jeune cousine. L’attente lointaine portée par les prophètes de générations en générations devient réalité.
« Comment cela se fera-t-il ? »
Puisque le mystère de la conception de Jésus doit se concrétiser dans l’immédiat, il était normal que Marie, encore fiancée, ait pu poser la question. La virginité ne constituait pas un idéal pour la femme israélite. Ceci nous éloigne d’autant de l’imaginaire consécration à Dieu de la vierge dès son enfance. Luc a inséré ici la question pour affirmer la virginité de Marie qui deviendra à tout jamais la « Vierge Mère ». Dans un grand geste d’amour, l’intervention de l’Esprit et la « Puissance du Très Haut couvrira de son ombre » celle qui allait devenir Mère de Dieu. Il est difficile de trouver meilleure formulation pour rendre compte de la filiation divine de Jésus dans le sein d’une femme appelée Marie. Tente du désert, tabernacle du Très Haut que la nuée recouvrait et remplissait de la Gloire de Yahvé (Ex. 40,35). « Aussi l’être saint qui va naître sera appelé Fils de Dieu ». Jean écrira : « Le Verbe s’est fait chair » (Jn 1,14).
F I A T !
« Qu’il me soit fait selon ta Parole ». La réponse de Marie, elle engage à sa suite l’humanité entière sur le chemin du salut. La mère de Jésus par son « Fiat » allait enfanter un fils en qui « toutes les promesses de Dieu auraient en effet leur oui en lui ; aussi bien est-ce par lui que nous disons l’Amen à Dieu pour sa gloire » (2 Co. 1, 20-21)