Un retour sans détour
Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix et dirent : « Jésus, maître, aie pitié de nous! » Dès qu’il les eut vus, Jésus leur dit: « Allez vous montrer aux sacrificateurs.» Et, pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent guéris. L’un deux, se voyant guéri, revint sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Il tomba face contre terre aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C’était un Samaritain. Jésus, prenant la parole, dit: « Les dix n’ont-ils pas été guéris? Et les neuf autres, où sont-ils? Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu? » Puis il lui dit: « Lève-toi, va; ta foi t’a sauvé. »
Commentaire :
La grande montée vers Jérusalem ( 9 : 51 – 18 : 14) revient un peu comme un refrain pour donner sens aux diverses épisodes qui en marquent les étapes. Pour l’auditoire de Luc, la mention des Samaritains prouve comme une avancée du christianisme et l’avènement du Royaume de Dieu. Les Samaritains ne sont déjà plus les Juifs au sens religieux du terme, ce sont des non juifs, des païens. Le récit de cette guérison des dix lépreux est situé entre une question des apôtres sur la foi et la demande des Pharisiens sur la venue du Royaume de Dieu parmi vous. Là où se trouve Jésus, il accorde le salut grâce à la foi, et là se trouve le Royaume de Dieu.
La foi des lépreux est tout simplement admirable : quatre mots pour une prière : « Jésus, maître, aie pitié de nous ». « Jésus » , « nous », que suggérer de plus comme essentiel de la prière. Le « nous » au lieu du « je » : communion, solidarité dans l’épreuve et la souffrance. L’adresse particulière à Jésus est rare ; Luc l’utilise dans ce cas-ci ainsi que sur les lèvres du bon larron ( 23 : 42) : « Jésus, souviens-toi de moi ». Ce simple mot « Jésus », l’Église orientale en fera la « Prière de Jésus », prière toute simple de spiritualité byzantine, que le moine ou le croyant répète tout au long du jour au rythme de sa respiration. « Tu l’appelleras du nom de Jésus, avait dit l’ange Gabriel à Marie, ce qui veut dire Sauveur ». Et le terme « maître » qui suit immédiatement dans la prière des lépreux définit leur foi en celui qui est maître des éléments et commande aux puissance infernales.
« Aie pitié de nous ». Appel à ce Dieu tel que vu par Moïse : « Dieu éternel et plein de grâces, riche en tendresse et fidélité » (Ex. 34 : 6). La conception que le prophète Osée se faisait de Dieu, son expérience de Dieu à travers l’expérience de son cœur. La tendresse entre les fiancés, tendresse que nous retrouvons dans les cantiques « Benedictus » et « Magnificat ». Telle est la foi des dix lépreux et l’expression de leur prière.
Le récit de la guérison nous reporte à la guérison de Naaman, le syrien guéri par Élisée (2 R. 5). En accomplissant l’ordre de Jésus, – « Allez vous montrer au prêtre » – les lépreux prouvent leur foi et obtiennent ainsi leur guérison : « Heureux qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique » (11 : 28). « L’un d’eux » revint sur ses pas pour rendre gloire à Dieu. Mais qui était Jésus pour le Samaritain ? Un prophète ? Le messie tant attendu ? « Il tomba la face contre terre aux pieds de Jésus et lui rendit grâce ». Gardons-nous bien de croire que les neuf autres lépreux n’aient eu aucune reconnaissance envers Jésus même s’ils ne reviennent pas. Cela n’est insinué nulle part. Luc veut simplement nous rappeler que le lieu où rendre gloire à Dieu, c’est auprès de Jésus. On se croirait au puits de Jacob avec la Samaritaine (Jn. 4 : 20-26).
C’est un Samaritain, précise l’évangéliste : « Ne s’est-il trouvé pour rendre gloire à Dieu que cet étranger ? », un frère séparé, un païen. La mission aux païens fait partie intégrante de la mission de Jésus ; à l’Église de l’accomplir. Jésus a certes accompli la première partie de la mission, en commençant par Jérusalem ; l’Église est chargée de la seconde. Mais ce salut, tant chez les Juifs que chez les Samaritains ne s’accomplira que par la foi. « Relève-toi, pars ; ta foi t’a sauvé.»
« Ta foi t’a sauvé » : le miracle a donné au Samaritain l’occasion, la grâce d’une foi plus profonde, susceptible de lui obtenir un plus grand résultat : le salut. Réponse à la demande des apôtres : « Seigneur augmente-en nous la foi ».
Nous sommes sauvés par la foi qui que nous soyons : juifs ou païens. L’effort humain est louable, c’est ce dont témoignera le Pharisien dans sa prière au temple ; mais la justice qui vient de Dieu est plus que tout cela. « Tout est grâce », nul n’est sauvé parce qu’il fait quelque chose, mais parce qu’il laisse Dieu faire quelque chose en soi.
Bienheureux samaritain qui revint sur ses pas : son retour lui valut le salut en plus de sa guérison !