Propos de table
Jésus était entré un sabbat chez l’un des notables Pharisiens pour y prendre son repas et ces derniers l’observaient. Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu’un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : « Cède-lui ta place », et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : « Mon ami, avance plus haut », et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t’inviteraient en retour et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles, et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre ; cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Commentaire :
Un repas, toile de fond de cet ensemble. Qui dit repas dans Le monde oriental, dit communion, communauté, joie. Le Fils de l’homme prend place à la table des humains pour qu’ils puissent jouir de son amitié et partager sa joie, à condition cependant que les hôtes se vêtent d’humilité et de charité pour y prendre part.
Dans cet épisode, Luc donne l’impression que Jésus parle seul ; mais ce monologue présente davantage la forme d’un discours dans lequel tous les convives sont interpellés. Discours et parabole forment la trame de ce passage bien lucanien. Les deux sentences concernant le repas sont d’inspiration et de tradition juives. Le repas accompagné de conversations de table est d’emploi fréquent chez Luc ( 7 : 36 ; 10 : 38 ; 11 : 37; 14 : 1 ; 19 : 1 ; 22 : 7-38) ; de fait, selon la tradition orientale, le repas est habituellement assaisonné et agrémenté de discours sages auquel Jésus va prendre part avec la parabole qu’il fait entendre.
Jésus est ici l’hôte d’un notable pharisien. Pareille invitation n’est pas rare ( 7 : 36 ; 11 : 37 ; 14 : 1), ce sont ces mêmes Pharisiens qui avaient mis Jésus en garde contre les embûches du roi Hérode. Les relations de Jésus avec les Pharisiens ne sont pas toujours négatives. Ce jour, les Pharisiens célébraient le sabbat par un repas solennel et somptueux. Des légistes, spécialistes en matière de loi et d’autres Pharisiens étaient également de la partie. (14 : 3). Comme on l’observait pour voir ce qu’il ferait ce jour de sabbat, Jésus observait également ses hôtes dans leurs comportements et leurs choix. Les coussins étaient regroupés pas trois tout autour de la table et les premières places se trouvaient près du maître de maison, à la place d’honneur. Le rang était déterminé par la réputation des convives dépendant de leur fonction et de leur fortune. Les Pharisiens recherchaient habituellement les premières places (11 43 ; 12 : 46) Sans vouloir blesser qui que ce soit, ni attaque personnelle ou désir d’humilier, Jésus adresse la parole aux invités : « Lorsque tu es invité …». Règle de prudence, règle de table des plus banale, sentence de sagesse traditionnelle dans le peuple (Pr. 25 : 6+ ; Si. 13 : 9+ ; Pr. 35 : 6-7 ) : « Il vaut mieux que l’on te dise : monte que descends ». L’idée de cette sentence s’inspire de l’expérience de l’action de Dieu à l’égard de son peuple : « Ce qui est bas sera élevé, ce qui est élevé abaissé » (Ez. 21 : 31 ; Ps. 147 : 6) Cette phrase constitue comme un texte voyageur, une sentence chez Luc (18 : 14).
Par la suite, l’hôte sera interpellé, non plus par une parabole, mais dans un style direct des plus délicat. Le repas considéré comme expression d’un amour gratuit doit être ouvert non seulement à des amis et connaissances, des égaux de fortune; mais à tous et ne doit pas être donné avec l’espoir d’un retour (6 : 35). Il signifie un amour désintéressé. Aussi les invités pourraient être des pauvres, des boiteux, des aveugles, tous exclus des cérémonies du Temple ( 2 S. 5-8 ; Lv. 21 : 18) Tels devraient être les invités, non les pharisien orgueilleux et sûrs d’eux-même.
Ce chemin de vie qui passe par le désintéressement, la gratuité se termine par l’évocation de la fin des temps. La résurrection est promise aux justes, et c’est aux plus pauvres d’entre les pauvres que Jésus accorde plus particulièrement son attention. Dans la parabole du grand dîner (14 : 21) ils seront les invités. Ils ne peuvent de fait rendre la pareille. Tel est le nouvel ordre social établi par Jésus. L’élévation est promise aux justes ; ici, la résurrection leur est promise, et le chemin en est le désintéressement : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment »…(6 : 32-35) C’est l’ambition et la cupidité que Jésus reproche ici aux scribes (20 : 46-47), défauts soumis à un jugement particulièrement sévère.
Nous retrouverons un même enseignement dans la catéchèse de Jacques (2 : 2+) L’Eucharistie interdit les querelles de préséance et exige que l’on se mette au service les uns des autres (22 : 24-27) Préparation du festin eschatologique, repas eucharistique sont préfigurés dans la bonne célébration du repas profane. (2 Co. 11 : 17-34) Un certain sens de l’humanité constitue une préparation à l’enseignement chrétien. Pour les Grecs, fidèles de Luc, l’idéal de vie et de culture prépare la réception du salut.