Signe de contradiction
Je suis venu apporter le feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé ! Pensez-vous que je sois venu pour établir la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais la division. Désormais en effet dans une maison de cinq personnes, on sera divisé, trois contre deux et deux contre trois : on sera divisé, père contre fils et fils contre père, mère contre fille et fille contre mère, belle-mère contre bru et bru contre belle-mère.
Commentaire :
Le père Chevignard o.p. écrivait : «Le feu dont nous devons être brûlés, c’est celui-là même qui a brûlé le cour du Christ, c’est un feu qui n’est pas de la terre, un feu qui vient de Dieu. C’est le feu de son Esprit d’amour en qui nous avons tous été baptisés. C’est la volonté de Dieu que quelque chose brûle en nous et nous fasse mal.»
Exceptionnellement, les trois lectures bibliques, ce dimanche, offrent une convergence : Jérémie témoin, image prophétique du Christ persécuté, la lettre aux Hébreux qui exhorte à l’imitation du Christ jusqu martyre et l’évangile de Luc, qui nous révèle les sentiments de Jésus face à la persécution. La persécution, point de convergence des trois textes, persécution causée par l’accueil non unanime de la foi.
«Je suis venu apporter le feu.» Ce premier verset détruit en quelque sorte l’image idyllique d’un amour, d’une charité qui voudrait ignorer les divisions, les conflits suscités par la foi. La charité authentique ne consiste pas à ignorer ces conflits, mais à la résoudre. Nos communautés chrétiennes rassemblent des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes, de cultures différentes, de solidarités divergentes. La parole de Dieu divise, elle contraint chacun à prendre position.
Jésus, lui-même signe de contradiction, (Lc 2:34) provoque délibérément cette division,.lui pourtant venu sauver tous les hommes. On ne peut être prophète, se dire «envoyé de Dieu» sans avoir au cour la même passion, la même impatience de justice. L’audace des paroles de Jésus est le reflet de la violence de Dieu pour le salut de son peuple. La parole qui sauve sera aussi celle qui condamne. Jésus pouvait prendre parti librement, car il était d’une totale liberté.
JUSTICE DU ROYAUME
Le combat pour la justice se déroule toujours dans l’ambiguïté. Les premiers martyrs passaient pour ennemis du genre humain, Jésus comme un dangereux agitateur politique. Combattre pour la justice c’est risquer de rencontrer l’infamie de la croix. La parole de Dieu ne sacralise aucune cause particulière, pas plus celle de la chrétienté que celle du peuple juif. Mais elle discerne au sein de nos aspirations et de nos raisons de nous battre, ce qui a valeur d’absolu, ce qui concerne la volonté même de Dieu. Lorsqu’il lutte pour le pain, la dignité, la liberté, la paix, le disciple de Jésus doit pouvoir se dire loyalement qu’il lutte d’abord pour le Royaume de Dieu et sa justice.
Deux voies semblent devoir conduire au combat pour la justice, l’injuste que je suis, En premier lieu, l’action non violente. Fixer une limite à notre complicité avec l’injustice est un premier pas. On fera alors l’expérience de ce que tel engagement peut coûter et nous ferons partie du groupe des «persécutés pour la justice». Puis, comme seconde voie, celle de la persécution . En criant la justice parmi les hommes, mon cri sera un cri de condamnation et un cri de salut. C’est là le chemin de la résurrection mais au prix de combien de persécutions.
Suivent trois paroles de Jésus vraisemblablement prononcées ici et là. Il demeure cependant que ces paroles s’inscrivent dans un contexte dont il faut tenir compte : le voyage vers Jérusalem (9 :51-13 :21) : La Passion et l’exaltation du Seigneur, mission des disciples, conflits avec les adversaires et instructions. C’est ici que se situe notre passage.
Jésus est venu mettre le feu sur la terre,.il est venu apporter l’Esprit, (Ac.2 :3,19) terme de sa mission, don du Seigneur ressuscité à son Église. (Lc.24 :49) Il doit recevoir un baptême qui le remplit d’angoisse. Jésus annonce, une fois encore, sa passion préalable au don de l’Esprit. (17:24 et 25) C’est obligatoire pour lui, il lui faut passer par là (9:22; 17:25; 22:37; ) Les trois derniers versets doivent être lus sous cet éclairage. A l’encontre des prophètes qui annonçaient le messianisme comme un temps de paix (Is.9:5-6; 11:6-9; Ez. 34:23-30; Za 9:9-10) Luc lui-même présente Jésus comme celui qui apporte la paix (1:79; 2:14; 19:38.42) mais ce ne sera pas une paix facile, car Dieu n’accorde la paix véritable qu’à ceux qui répondent loyalement à son appel. L’oracle de Siméon (2:34-35) montre déjà cette division. Luc apporte une autre annonce de pareille situation : la foi en Jésus suscite des déchirements. (21:16) Luc pense ici à la vie des disciples de Jésus dans l’Église de son temps. La foi en Jésus impose des choix déchirants. Et si la foi impose pareils renoncements, c’est que Jésus apporte avec la foi, le don de l’Esprit et lui-même a rempli sa tâche jusqu’à mourir. La paix est celle du Royaume où l’on n’entre que par la croix.
ENSEIGNEMENT DE JÉSUS
Luc voit Jésus comme le Seigneur exalté qui dispose de l’Esprit que les fidèles reçoivent par le Baptême. Croire en Jésus, c’est le choisir pour Seigneur, prendre position dans ce monde déchiré entre la foi et l’incrédulité, dut-on mourir comme le Maître. La perspective de Luc est ecclésiale.
Pauvres chrétiens, nous devons demander humblement : «Allume quelque chose dans mon cour, quelque chose de vrai, quelque chose qu rien ne puisse éteindre ; ni échec, ni âge, ni lassitude, quelque chose de brûlant et d’indomptable, quelque chose d’humble et de doux, quelque chose qui vienne de Toi». (Chevignard : Doctrine spirituelle de l’Évangile., Foi vivante no.4. 1965)