« Temps d’apocalypse » : Emmanuel Mounier qualifiait ainsi « la petite peur du vingtième siècle », J. Huby parlait de « littérature pour un temps de crise ». Après le tsunami, Katrina, Rita et le pont de Bagdad, pour ne nommer que ces grandes catastrophes humaines de notre temps, le commentaire de saint Césaire d’Arles sur le chapitre 6e de l’Apocalypse peut éclairer notre réflexion sur le sens des événements vécus en moins d’un an. Saint Césaire d’Arles, grande figure de la Gaule antique, succéda à l’évêque Éone sur le siège épiscopal d’Arles en 503. Missionnaire des campagnes, il se montra soucieux d’instruire et de former son peuple à une vie chrétienne authentique. « Rien ne sert de se dire chrétien si l’on ne fait pas les œuvres qui font le chrétien » (Ap.2), En plus de nombreux sermons, le saint évêque a donné un commentaire sur l’Apocalypse. Pour lui, le texte inspiré n’était pas une prophétie de la fin des temps et de l’avènement de l’Antéchrist, mais, selon la pensée de sait Augustin, une prophétie concernant le déroulement du temps de l’Église, susceptible de donner un sens aux événements contemporains, temps d’apocalypse. La question concerne la responsabilité.
« Car il est arrivé, le grand jour de la colère, et qui donc peut tenir ?» Ap.6,17.
Lorsque Jean va dire grande la colère de Dieu (Ap. 6,17), il n’appelle pas colère de Dieu les malheurs qui sont arrivés : ils sont extérieurs à Dieu qui les envoie seulement, quand il le faut, à ceux qui en ont besoin et qui leur sont livrés. Car ces hommes sont indignes de Dieu et, une fois au pouvoir du mal, ils ont ainsi le regret de ce Dieu qu’ils ont méprisé. Et la colère de Dieu, c’est le diable.
Nous lisons dans le second livre des Rois : Le diable enflamma la colère de Dieu contre les Israélites et il excita David et il dit : « Va et fais le dénombrement d’Israël et de Juda » (2 S. 24,1). C’est la colère de Dieu qui a excité David, mais il n’y a pas « elle dit », mais « il dit ». Ainsi, à côté de Dieu en personne, qui, selon l’Écriture, a souvent parlé à ses saints, il existe d’autre part une colère de Dieu qui parle ainsi et ordonne de commettre une faute à laquelle un châtiment divin s’attache pour qui a été persuadé par les paroles de cette colère. Et comment la colère qui châtie pour les fautes et le fait justement, pourrait-elle châtier en toute justice celui qu’elle a persuadé de pécher ? C’est injustement que le principe du péché châtie celui qui a péché. Mais, comme je l’ai déjà dit, la colère de Dieu est le diable, qui persuade de commettre le péché, avec la volonté de prendre sous sa domination celui qui l’a commis parce qu’il l’a commis…
Si l’on dit que les pécheurs sont livrés à la colère de Dieu, nous devons comprendre qu’ils sont livrés au diable, comme Paul l’a fait du Corinthien et des hommes qu.il « a livrés à Satan pour qu’ils apprennent à ne pas blasphémer » (1 Co. 5,5 ; 1 Tim. 1,20).
Nous avons aussi des anges qui veillent sur nous et nous aident dans nos bonnes actions, et un jugement universel a lieu en présence d’eux tous, selon la parole du Prophète : « Debout, entre en procès devant les montagnes. Et que les collines entendent ta voix. Écoutez, collines, le jugement du Seigneur » (Mi. 6,15). Il semble ici que le Verbe de Dieu reçoive l’ordre d’envoyer en jugement les puissances chargées des affaires humaines afin que chacun puisse établir si c’est par la négligence et l’incurie de l’une d’elles, dans les actions qui leur incombaient en faveur des hommes, qu’il est devenu pécheur ou responsable.
Comprenons-le en nous servant parmi d’autres exemples d’un procès entre un peuple et ses évêques, entre des fils et leurs pères, entre des élèves et leur maître : tantôt le peuple démontrera que la cause de ses fautes est venue des évêques, tantôt l’évêque, en établissant qu’il a fait tout ce qui dépendait de lui et qu’il n’a rien négligé de ce qui revenait à un chef diligent, démontrera que le peuple est coupable de ce qu’on lui reproche. Faites la même réflexion à propos des fils qui reprochent à leurs pères l’éducation qu’ils en ont reçue et se justifient eux-mêmes ; ils démontreront que leurs pères ont été cause des fautes qu’ils ont commises. Par contre les pères se justifient de leur côté en disant qu’ils ne négligent rien pour donner à leurs fils une éducation conforme à la parole de Dieu, et les fils sont convaincus d’être tombés dans le péché pour leur propre lâcheté. On peut penser à peu près la même chose quand il s’agit de disciples et de maîtres.