Q: Quand avez-vous compris que la foi comporte un choix personnel, une profonde conviction intérieure ?
On définir la foi chrétienne comme une aventure spirituelle. C’est comme de donner la main à une personne qu’on ne connaît pas bien, mais en qui on a confiance, et se laisser guider.
D’un point de vue rationnel, où tout doit toujours être calculé à l’avance, il y a là un certain risque. C’est celui que l’on court quand on a confiance et qu’on aime.
A quel âge j’en ai pris conscience ? Il me semble que j’avais entre dix et onze ans quand j’ai commencé à sentir que Dieu voulait établir un rapport personnel avec moi, que je pouvais lui parler comme à un ami, qu’il y avait entre nous une vraie amitié. A l’époque, j’ai aussi commencé à avoir le sens de la « totalité » de Dieu, autrement dit, le sentiment que Dieu est tout et qu’il peut tout demander : le don de notre personne et de toute une vie.
Q: Tant d’années se sont écoulées depuis. Ne vous est-il jamais arrivé de perdre la foi, de douter ? Et si vous l’avez perdue, comment l’avez-vous retrouvée ?
La foi est comme l’escalade d’une paroi, une ascension ardue. Par moments, on est saisi de vertige, on a l’impression de tomber, ou on craint de s’être égaré. On peut être pris à l’improviste dans une nappe de brouillard ou surpris par une tourmente. Il y a des jours sombres, où on ne sait plus très bien vers quel but on se dirige.
Pourtant, d’un coup, tout se dissipe, exactement comme la brune en montagne. L’important est de tenir bon, attaché à la roche, de suivre le sentier qu’on distinguait à grand-peine. Car la nature profonde de la foi est de se fier à un autre. D’ailleurs, la racine du terme hébraïque « s’en remettre à » fait allusion à l’idée de s’appuyer à une paroi, à quelque chose de solide, à une promesse qui vous donne la certitude de ne jamais être déçu.
La foi est un don, et on en fait surtout l’expérience dans les moments les plus difficiles. C’est Dieu qui vous permet d’entrer dans le noir et qui vous fait ensuite retrouver la lumière.
Q: Vous exhortez souvent au silence. Pourquoi ? Comment est ce silence que vous aimez tant ? Que signifie-t-il ?
Le silence que j’aime est celui qui écoute, qui accueille, qui se laisse animer. Si Dieu nous a envoyé sa Parole, au début de chacun des chemins de l’homme il doit y avoir le silence.
Pour l’homme d’aujourd’hui, qui a exclu Dieu de ses pensées, le silence représente malheureusement le vide, le néant. Donc il le fuit, lui préférant n’importe quel bruit, même obsessionnel, n’importe quel mot, même vain, n’importe quel bavardage, n’importe quel cancan.
Très souvent, nous nous trompons parce que nous parlons trop et mal. C’est pourquoi je pense que, pour tous les hommes et les femmes du monde occidental, le silence est une valeur essentielle à retrouver, à redécouvrir.
Mon silence consiste justement à écoute Dieu qui parle à travers les Saintes Ecritures ou à travers de faibles lueurs, de petites intuitions qui m’aident à mieux me comprendre, à mieux saisir le sens des événements et me permettent par là même d’affronter les situations les plus dramatiques, les moments dangereux et difficiles de la vie et de retrouver chaque jour le courage de poursuivre ma route.
C’est pourquoi, depuis l’époque où je vivais à Rome, et même avant, je me suis toujours accordé et m’accorde encore aujourd’hui, chaque jour, quelques heures de silence total. Dans ces moments, ma pensée s’exprime à travers la prière qui prend toutes les formes du dialogue et de l’écoute.
Q: En tant que témoin d’un chemin de foi, que souhaiteriez-vous à l’homme d’aujourd’hui, qu’il soit croyant ou non croyant ? Quelle est la vertu qui vous semble la plus importante ?
Je voudrais que chacun sache trouver et garder en soi la perle précieuse, le trésor caché qui existe en chacun de nous et qui, seul, peut changer notre cœur.
Si on écoute son dynamisme intérieur, sa faculté à la transcendance qu’on découvre dans la façon d’être de son intelligence et de sa volonté, on peut être fidèle à soi-même, à l’histoire et à Dieu.
E je crois que toutes les vertus humaines prennent leurs racines dans cette écoute, cette connaissance de soi.
Q: Qu’y a-t-il dans le cœur des gens que vous rencontrez ?
Le désarroi est un sentiment très répandu. Je dirais la même chose de l’angoisse, de la solitude amère, de la crainte d’être seul, du besoin frénétique de divertissement, de musique qui remplisse les oreilles de son pour toujours se fuir.
Il faut aider les gens à être ensemble dans une atmosphère de silence, d’écoute et de contemplation.
Q: Est-ce pour cela que vous avez consacré votre première lettre pastorale au diocèse à « la dimension contemplative de la vie » ?
A mon arrivée à Milan, j’ai aussitôt ressenti – car je l’éprouvais aussi – le poids des fatigues, des préoccupations quotidiennes, parfois accrues et exaspérées par les contradictions de la civilisation industrielle et technologique.
J’avais l’impression que les gens, la ville, avaient besoin de se désenchaîner des choses, besoin de silence, de réflexion, d’apprécier les événements et les choix à opérer à la lumière de la foi.
J’ai donc proposé au diocèse de trouver des espaces pour la réflexion contemplative. Non pas pour fuir ou minimiser les engagements, mais pour en prendre plus conscience, y être plus attentif, les considérer d’un regard plus évangélique.
Je pensais que, dans la redécouverte de la dimension contemplative de l’existence, on pourrait reconnaître ces priorités qui me viennent de la Bible : la prière, l’écoute de la Parole et à partir de là, le caractère essentiel de l’eucharistie et de la charité pour accueillir avec joie la mission personnelle de chacun.
Dans cette 1ère lettre, je disais en effet que la charité est la réalité la plus importante vers laquelle nous mène la prière. La charité est le but final auquel nous sommes appelés, elle est la prière en acte.