Je prie et conjure très humblement tous ceux aux mains desquels ce livre parviendra de le lire eux-mêmes souvent, puis de le passer aux autres, de les forcer même à l’accepter pour qu’ils le lisent et le copient. Le profit qui en résultera pour eux et pour autrui leur méritera devant Dieu une double récompense. Si je te donne ce conseil, c’est qu’il y en a beaucoup qui veulent avoir un grand nombre de livres bien écrits et reliés avec soin, mais qui les tiennent constamment enfermés au fond de leur armoire, sans les lire ni permettre aux autres d’en faire la lecture. Ils ignorent qu’il ne sert à rien d’avoir des livres, si on se laisse absorber par les embarras du siècle, au point de ne pouvoir lire. Un livre lu sans cesse peut, à force d’être feuilleté, perdre peu à peu de sa beauté extérieure, mais l’âme en dedans en est embellie» Ainsi parlait Césaire, évêque d’Arles . Choix de Éone, son prédécesseur, Césaire est tiré de force de son monastère. En ce temps-là, l’évêque n’était pas seulement chef de son Église, mais aussi responsable du salut temporel de ses fidèles. Or ce monde sur lequel le tout jeune abbé est appelé à gouverner est lié aux habitudes de la vie antique et possédé par un esprit païen. Cet extrait d’homélie traduit bien l’esprit dans lequel le saint évêque veut entraîner son peuple.
Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde. Le mot de miséricorde est doux, mes frères. Si le mot est doux, combien plus la chose ? Et alors que tous les hommes veulent l’obtenir, ce qui est malheureux, c’est que tous ne font pas ce qu’il faut pour mériter de la recevoir. Tous veulent recevoir la miséricorde, mais il y en a peu qui veulent la donner.
Toi, de quel front oses-tu demander ce que tu négliges de donner ? Il doit commencer par faire miséricorde en ce monde celui qui souhaite la recevoir dans le ciel. Aussi, puisque nous voulons tous la miséricorde, prenons-la comme protectrice en ce monde pour qu’elle nous délivre dans le monde à venir. Il y a en effet une miséricorde dans le ciel à laquelle on parvient par les miséricordes terrestres. L’Écriture l e dit bien : Seigneur, ta miséricorde est dans le ciel.
Il y a donc une miséricorde sur la terre et une autre dans le ciel, c’est-à-dire l’une, humaine et l’autre, divine. Comment définir la miséricorde humaine ? C’est que tu prennes garde aux misères des pauvres. Comment définir la miséricorde divine ? Sans aucun doute, c’est qu’elle accorde le pardon des péchés. Tout ce que la miséricorde humaine dépense dans le voyage, la miséricorde divine le rend dans la patrie. Car c’est Dieu qui, en ce monde, souffre de froid et de la faim en tous les pauvres, comme il l’a dit lui-même : Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. Dieu qui, du haut du ciel, veut donner, sur la terre veut recevoir.
Quelle sorte de gens sommes-nous donc, nous qui voulons recevoir lorsque Dieu donne ; et lorsqu’il demande, nous ne voulons pas donner ? Quand le pauvre a faim, c’est le Christ qui est dans l’indigence, comme il le dit lui-même : J’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger. Ne méprise donc pas la misère des pauvres, si tu veux espérer avec confiance le pardon de tes péchés. Le Christ a faim maintenant, mes frères, lui-même a voulu avoir faim et soif dans la personne de tous les pauvres ; et ce qu’il reçoit sur la terre, il le rend dans le ciel.
Je vous le demande, mes frères, que voulez-vous, que cherchez-vous quand vous venez à l’église ? Quoi donc, sinon la miséricorde ? Donnez celle de la terre, et vous recevrez celle du ciel. Le pauvre te demande, et tu demandes à Dieu : il demande une bouchée de pain, et toi, la vie éternelle. Donne au mendiant pour mériter que le Christ te donne ; écoute-le qui dit : Donnez, et il vous sera donné. Je ne sais de quel front tu peux recevoir ce que tu ne veux pas donner. Et c’est pourquoi, lorsque vous venez à l’église, faites l’aumône aux pauvres, selon vos ressources.