Maurice Zundel naquit à Neuchâtel en Suisse. Ordonné prêtre en 1919, il est nommé vicaire à Genève. Suite à une décision injuste de ses supérieurs, il est exilé à Rome, où il obtient un Doctorat en Théologie. Il exerce par la suite un ministère de prédicateur itinérant à Paris, Jérusalem et au Proche-Orient. Après son retour en Suisse, il se consacre au ministère pastoral à Lausanne jusqu’à sa mort. Il est étonnant de constater à quel point la pensée de cet homme tellement humble (pratiquement inconnu de son vivant) continue de rayonner; il est considéré à juste titre comme un géant de la spiritualité chrétienne.
La rencontre intérieure
II vous serait sans doute bien difficile d’expliquer à quoi vous reconnaissez un chef-d’œuvre. Vous êtes emportés et ravis avant toute reflexion; et dans la lumière et la joie qui se lèvent en vous, vous identifiez soudain le mystérieux visage de la Beauté, dont vous portiez en votre âme l’ineffable attente. Le tableau que vous avez sous les yeux ne fait qu’en éveiller le désir, en rendant plus intime sa présence et plus irrésistible son attrait.
Portrait ou paysage, le sujet se dépasse lui-même, et vous saisissez, au-delà des couleurs et des formes, une réalité que vous retrouverez bientôt, dans une fugue de Bach ou dans une symphonie de Beethoven, dans une gerbe de fleurs ou dans un regard d’enfant, une réalité qui n’est d’aucun temps, ni d’aucun lieu, qui rayonne de toute oeuvre d’art sans être enfermée en aucune, toujours ancienne et toujours nouvelle, mystérieusement reconnue sous le voile qui la laisse inconnue: une réalité éternelle, vivante, intérieure, dont le cœur de l’homme n’a jamais cessé de subir la merveilleuse aimantation.
Quel spectacle que cette continuité de l’art à travers les siècles, cette immense procession des âges vers la Beauté, cette renaissance à chaque génération, et cette indéfectible fidélité. Car l’artiste vrai est celui qui écoute et qui obéit, qui se laisse recréer par son sujet, en communiant assez fondément à son mystère pour percevoir la Présence invisible qui le fascine en lui, et pour devenir capable de l’exprimer: dans l’impalpable irradiation qui fera de son œuvre la confidence silencieuse d’une éternelle Rencontre.
N’est-ce pas cette Présence, aussi bien, qui fait l’unité de tous les chefs-d’œuvre et qui apparente toutes les beautés dans le rayonnement ineffable d’une même vie intérieure?
Docile d’abord au jeu des lignes, et modelé par les volumes, le regard, par l’infini qu’ils suggèrent, est bientôt envahi. La matière devenue diaphane s’efface en le rêve qui l’anime, pour faire passer dans notre regard la vision de l’artiste. L’élan qui l’emporta nous entraîne à notre tour en la joie et la ferveur de l’impulsion créatrice. Nous ne sommes plus devant une œuvre, mais à l’intérieur d’une confidence mystérieuse où notre cœur se brûle au contact d’une réalité infinie. Quelque chose de meilleur que nous, vit en nous. Quelqu’un nous accueille au plus intime de l’âme, et c’est une immense douceur de nous perdre en la lumière qu’il diffuse en nous. La science, à sa manière, suit le même chemin, pour aboutir au même contact.
Ses perspectives matérielles, assurément, ne cessent de changer, découvrant chaque jour de nouveaux champs d’expérience. Mais son élan profond est identique, de Pythagore à Einstein, d’Archimède à Planck ou de Broglie.
C’est la vérité que poursuivent tous les chercheurs, c’est elle qu’ils entrevoient sans cesse, au-delà du palier qu’ils atteignent, dans une sorte de halo lumineux, c’est elle qu’ils découvrent soudain, en une rencontre personnelle, dans la jubilation de l’eurêka: quand l’univers devient tout entier une vivante Parole, quand l’Esprit plane sur les ondes, quand la vision s’intériorise et que toute chose révèle son âme, quand la connaissance, mystérieusement, devient naissance.
Alors le savant se sent justifié : il voit avec une suprême évidence qu’il ne s’est pas donné à une chimère et que la Vérité est en lui une Vie plus précieuse que sa vie.
La sainteté – qui est d’ailleurs parfaitement compatible avec l’art et la science – la sainteté est encore plus transparente que ceux-ci.
C’est par elle surtout que la valeur mystérieuse, à laquelle artistes et savants consacrent si noblement leur génie, révèle son caractère personnel et son action créatrice. Comment rencontrer François d’Assise ou Vincent de Paul, Angèle de Foligno ou Catherine de Sienne, Pierre de Bérulle ou Charles de Condren, sans reconnaître Celui qui les remplit, sans tressaillir de joie en présence du Dieu vivant?
C’est ainsi que la vie, dans toutes les directions où elle s’élance, implique l’affirmation de Dieu, sans excepter l’amour dont Goethe a dit: «De l’amour seulement nous sommes amoureux. » Comment aimer, aussi bien, sans attendre l’infini de l’être qu’on aime, et comment l’obtenir, en effet, sans viser en lui à ce qui n’est pas lui?
Tout être peut ainsi, en écoutant son âme, en se rendant attentif à ce qu’il pense, à ce qu’il veut, à ce qu’il aime réellement, tout être peut ainsi vérifier le mot de saint Paul: «En Lui nous avons la vie, le mouvement et l’être.»
Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi. Et, en vérité, tout être est croyant qui s’efface devant cet Autre en soi, qui vaut infiniment mieux que soi et qui lui est plus intime que son âme: quelque nom d’ailleurs qu’il donne à la Présence lumineuse qui l’habite. Certains se disent athées qui la servent dans la droiture de leur vie. D’autres, en revanche, se disent croyants, qui ne mettent, sous son nom, que la figure magnifiée de leur ignorance ou de leurs passions.
«Dieu, dit admirablement Louis Massignon, Dieu n’est pas une invention, c’est une découverte.»
Le Christ, au puits de Jacob, en révéla un jour le secret à la Samaritaine qui venait chercher de l’eau. Elle ignorait la soif de son cœur, et vivait dans le désordre, en l’inconscience du vrai Dieu. Elle pensait qu’il ne résidait que dans les temples où les sacrifices étaient offerts, elle le cherchait sur le Garizim où les Samaritains avaient leur sanctuaire. Jésus lui apprit que la rencontre ne pouvait se faire qu’au dedans: «Femme, crois-moi, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père, l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Et en effet, c’est tels que le Père veut trouver ceux qui l’adorent : car Dieu est Esprit et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité.»
C’était lui dire miséricordieusement, dans les mots de la plus sublime révélation:
Tu l’aimerais si tu le connaissais,
car Il est tout ce que tu cherches :
la Beauté et la Bonté,
la Vérité et l’Amour,
et Il t’attend, depuis toujours:
dans ton cœur.
Ça me rend heureux d’entendre ces mots, ils sont doux à mes oreilles. Mon questionnement est au niveau de la reconnaissance, Dieu est en tout chose et en dehors de tout il est unique, mais si la personne ne le reconnais pas à l’intérieur de lui comment peut-il être abreuvé de sa source intarissable.