Le psaume 103 (104), un petit chef d’oeuvre de poésie, la «perle» du Psautier, selon R. Kittel ! Cette hymne chante le créateur à l’oeuvre dans sa création. Elle est proche parent du récit de la création au livre de la Genèse (1, 1 – 2, 4). Avec des différences cependant. La principale apparaît surtout du côté du temps. Le récit de la Genèse se situe au tout début de l’univers: «Au commencement…» (1, 1) Dieu «fabrique» sa création sur une période d’une semaine. Au terme, le septième jour, il prend congé, il fait son «sabbat»! «Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’oeuvre que lui-même avait créée par son action.» (Genèse 2, 3)
Le psaume présente les choses autrement: il observe l’oeuvre de la création déjà faite, il la regarde vivre et surtout il regarde Dieu en train de faire vivre son oeuvre, jour après jour. Comme un cultivateur, Dieu s’occupe de son immense ferme. Toutes les créatures comptent sur Dieu «pour recevoir leur nourriture en temps voulu» (v. 27). «Tu donnes: eux, ils ramassent; tu ouvres la main: ils sont comblés. […] Tu envoies ton souffle: ils sont créés; tu renouvelles la face de la terre.» (v. 28.30)
Au début du psaume, Dieu s’avance dans toute sa splendeur. Il est habillé de lumière comme d’un manteau. Et il déploie son oeuvre «comme une tenture» (v. 2). Le psaume reflète la vision qu’on se fait du cosmos à son époque. La terre est vue comme une grande galette plate. Elle repose sur des piliers. Sous elle, une immense nappe d’eau. Au-dessus d’elle, un firmament sur lequel est déposée une autre masse d’eau qui s’échappe de temps à autre par les fissures et devient de la pluie. Le psaume reprend cette perception: «Tu as donné son assise à la terre: qu’elle reste inébranlable au cours des temps. Tu l’as vêtue de l’abîme des mers: les eaux couvraient même les montagnes.» (v. 5-6)
Les Orientaux ont l’habitude de construire des abris sur le toit de leurs demeures. Dieu en fait autant au-dessus des cieux, «dans leurs eaux» (v. 3). Il ne reste pas enfermé dans un temple comme les dieux du paganisme. Au contraire, il va et vient sans arrêt sur les nuages qui lui servent de moyen de transport. Son avion: «les ailes du vent», rien de moins! Autour de lui, les «vents» et les «flammes des éclairs» sont à son service (cf. v. 4).
La suite du psaume étale la «ferme de Dieu»: les «bêtes des champs», «l’âne sauvage» (v. 11), les «oiseaux» «dans le feuillage» (v. 12), les «troupeaux» (v. 14), le «passereau» et la «cigogne» (v. 17), les «chamois» et les «marmottes» (v. 18), les «animaux dans la forêt» (v. 20), le «lionceau» (v. 21). Tout ce que l’arche de Noé abritait peut maintenant aller et venir sans crainte sur la terre: il n’y aura plus de déluge, les eaux qui «couvraient même les montagnes; à ta menace , elles prennent la fuite, effrayées par le tonnerre de ta voix. […] Tu leur imposes la limite à ne pas franchir: qu’elles ne reviennent jamais couvrir la terre.» (v. 6.7.9)
La nourriture de toute cette faune est fournie principalement grâce aux eaux qui «passent les montagnes, se ruent dans les vallées vers le lieu que tu leur as préparé» (v. 8). «L’eau chemine aux creux des montagnes; elle abreuve les bêtes des champs. […] Tu abreuves les montagnes et la terre se rassasie du fruit de tes oeuvres.» (v. 10.11.13)
D’après le psaume, les bêtes sont rois et maîtres durant la nuit: «Tu fais descendre les ténèbres, la nuit vient; les animaux dans la forêt s’éveillent…» (v. 20) Mais «quand paraît le soleil, ils se retirent: chacun gagne son repaire» (v. 22). Au tour des humains d’arriver en scène: «L’homme sort pour son ouvrage, pour son travail, jusqu’au soir» (v. 23). À quel ouvrage s’attelle-t-il, quel travail le tient occupé jusqu’au soir? «De la terre il tire son pain; le vin qui réjouit le coeur de l’homme, l’huile qui adoucit son visage, et le pain qui fortifie le coeur de l’homme» (v. 14-15).
Le psalmiste semble être inspiré par un très ancien Hymne au soleil, dû au génie poétique du pharaon Aménophis IV (mort en 1362 avant Jésus Christ), connu aussi sous le nom d’Akhnaton. Cet Égyptien serait le premier souverain au monde à instaurer le monothéisme. Voyez à ces quelques lignes de l’hymne du pharaon la ressemblance avec notre psaume:
Disparais-tu à l’horizon occidental, que le pays est dans les ténèbres, comme mort … Mais au matin, quand tu es apparu à l’horizon, et quand tu étincelles, disque du jour, tu chasses les ténèbres, tu répands tes rayons, alors le double pays est en fête … le pays tout entier se met à l’oeuvre, le bétail est repu de fourrage, arbres et plantes prospèrent … tout ce qui vole et se pose vit quand tu brilles pour eux … tes rayons pénètrent dans la mer; ils font naître la semence dans les femmes, le sperme chez les hommes, ils font vivre le fils dans le ventre de sa mère, ils l’apaisent, calmant ses pleurs … La Syrie, la Nubie et le pays d’Egypte, à chacun tu fixes sa place et veille à sa nourriture, chacun a droit à sa substance, pour chacun est déterminé une vie …
Il semble que le psalmiste ait connu ce poème à travers des oeuvres littéraires d’origine cananéenne et phénicienne.
En terminant, je ne résiste pas à la tentation de sauter quelques millénaires pour citer un poète de chez nous. Dans sa chanson La Source , Gilles Vigneault dit:
Le ruisseau d’entre les cailloux
Le ruisseau qui fait la rivière
Qui donne à boire au lièvre, au loup
Ne leur demande rien du tout.
Ne reconnaissons-nous pas là les versets 10 et 11 du psaume:
Dans les ravins tu fais jaillir des sources
et l’eau chemine aux creux des montagnes;
elle abreuve les bêtes des champs…
La chanson continue:
La rivière qui va rêvant
D’avoir son dos plein de navires
Comme le fleuve au loin devant
La rivière coule en rêvant.
Le fleuve accueille les poissons
Et la marée et les épaves.
Le psaume dit:
Voici l’immensité de la mer,
son grouillement innombrable d’animaux grands et petits,
ses bateaux qui voyagent… (v. 25-26)
Gilles Vigneault évoque:
Les oiseaux et les vents qui sont
Les capitaines des saisons…
Le psaume proclame l’action de Dieu:
Tu prends les vents pour messagers,
pour serviteurs, les flammes des éclairs. (v. 4)
Le psaume commence et finit par une invitation que le psalmiste s’adresse à lui-même: «Bénis le Seigneur, ô mon âme!» (v. 1.35) Discrète inclusion qui, avec le souffle poétique de cette hymne lui-même, nous entraîne à louer Dieu de tous les travaux et de toutes les saisons.