L’Office du matin met l’horizon de chacune de nos journées sous le rayonnant soleil de la résurrection du Christ. Malgré ou à travers le mal, la souffrance, la mort. Denis GAGNON, professeur à l’Institut de pastorale de Montréal et membre du Comité de rédaction de CÉLÉBRER LES HEURES, nous partage ses réflexions matutinales.
Aujourd’hui, je rédige l’article sur la symbolique du matin dans la liturgie des Heures. Le décor est aménagé pour favoriser la réflexion. J’ai choisi de commencer tôt, à la barre du jour. La table de travail est déserte. Les dossiers dorment encore d’un profond sommeil. Certains même passeront la journée au lit. Tant pis ! Devant moi, une page blanche. Au fond du palais, un goût de café, celui qui a terminé mon petit déjeuner. Par la fenêtre, les premiers rayons d’une lumière neuve. Le temps s’annonce bienfaisant aujourd’hui. Rien ne bouge. La musique du quotidien n’a pas encore lancé ses accords accordés et discordants.
Soudain, une chanson de Sylvain Lelièvre vient titiller mon imagination :
Petit matin sans horizon
Petit café fumées d’usines
Ils sont nombreux, les matins « sans horizon », des matins ordinaires, matins sans éclat, matins quotidiens sans nécessairement être banals, répétitifs sans pour autant engendrer l’ennui. Il faut des rythmes et des rites pour ponctuer l’existence et marquer le temps. Il faut des jours et des matins semblables à tant d’autres jours et matins. Ils permettent de respirer tranquillement. On ne force pas le jardin à pousser plus vite en tirant sur la tige des fleurs. Le jardin a son rythme. Il faut des jours et des matins semblables à bien d’autres pour laisser la sagesse se déposer dans l’existence comme une pluie douce pénètre la terre.
RENDRE PUBLIC
Dans quelques minutes, je rejoindrai les autres pour le premier acte communautaire de la journée :
Seigneur, ouvre mes lèvres.
Et ma bouche publiera ta louange.
La prière commence par une ouverture : les lèvres, la bouche pour publier. Publier, c’est faire sortir, exposer, projeter, rendre public. Le matin, c’est sortir du sommeil, faire sortir son intérieur, s’exposer, se projeter, se rendre public. Un temps de prière pour faire sortir toute la richesse des matins ordinaires, trouver leur sens, leur en donner. Avec la naissance du jour, la naissance de la signification des choses, des événements, des personnes.
Comme le lever du jour fait sortir toute chose de la nuit : l’arbre qui frémit près de la maison, le merle qui siffle ses premières notes, la rue qui s’anime progressivement, le camelot qui glisse le journal dans la boîte postale… La nature s’étire. La société se dégourdit au moment de prendre la route.
Le Seigneur a fait les cieux par sa parole,
l’univers, par le souffle de sa bouche.
(Psaume 32, 6)
L’ŒUVRE DE DIEU
Le rideau s’ouvre sur le spectacle du monde. Dieu, le grand artiste, joue son œuvre : « Voix du Seigneur dans sa force, voix du Seigneur qui éblouit ». (Psaume 28, 4) À l’Office du matin, nous publions la louange du créateur :
Rendez au Seigneur la gloire de son nom,
adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
(Psaume 28, 2)
Au cœur de la création, au sommet de l’œuvre divine, nous reconnaissons la présence de l’être humain :
Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu,
le couronnant de gloire et d’honneur ;
tu l’établis sur les œuvres de tes mains,
tu mets toute chose à ses pieds.
(Psaume 8, 6-7)
Je suis cet être humain, avec des milliards d’autres établis « sur les œuvres de tes mains ». Tous ouvriers, toutes artisanes, sur l’immense chantier de la création. Quelques minutes après la prière, j’ouvrirai l’agenda pour me rappeler les travaux à entreprendre ou à poursuivre, les rencontres à faire, les engagements à honorer. Tout est déjà là dans cette prière matinale. La pensée de ce qui m’attend aujourd’hui se tisse à même les suggestions des psaumes et des hymnes. La louange est partagée visiblement et invisiblement avec tant d’autres croyants et croyantes. En solidarité aussi avec tous les autres, qu’ils croient ou non au mystère de Dieu que révèle l’univers. Qu’ils doutent ou affirment avec conviction, peu importe. Avec toute la caravane terrestre, je poursuivrai aujourd’hui l’aventure humaine.
UNE PRÉSENCE
Mais voici, la liturgie me tire la manche. Elle attire mon attention sur une présence particulière au sommet de la création. Comme Jean-Baptiste, elle pointe du doigt le Christ, l’Agneau de Dieu qui passe parmi « les travaux et les jours ». Il est là au centre de la prière, récapitulant tout en lui, le temps et l’espace, les êtres humains et les choses, la nature et l’esprit, le ciel et la terre, Dieu et l’humanité. Toute une litanie de titres va s’égrener d’une liturgie à l’autre : Splendeur jaillie du sein de Dieu… lumière née de la lumière… la source de la vie… soleil levant… agneau pascal… berger des sources vives… Verbe plein de toute grâce… Fontaine intarissable…
Puisqu’il est avec nous
Tant que dure cet âge,
N’attendons pas la fin des jours
Pour le trouver…
(Hymne des Vendredis I et III)
Béni soit au nom du Seigneur
Celui qui vient…
(Hymne des Mardis I et III et des Samedis II et IV)
L’AURORE DES AURORES
Il est béni principalement pour son passage de la mort à la résurrection. Tous les matins se transfigurent à cause des promesses qui jaillissent de l’aurore de Pâques. Le Seigneur est ressuscité : la Bonne Nouvelle est relancée au commencement de chaque jour. Elle résonne « quand nous visite l’astre d’en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. » (Cantique de Zacharie, Luc 1, 78-79)
Et son matin pascal rejaillit sur nos matins. Le premier-né d’entre les morts ouvre le chemin pour d’autres naissances et renaissances. En célébrant le Ressuscité, l’Office du matin chante en espérance notre propre résurrection.
Nos jours dans leur vieillissement
Se dressent
À leur éveil vers sa jeunesse
Car il se lève à l’Orient.
(Hymne des Dimanches II et IV)
Les petits matins « sans horizon » se déploient pour porter l’avenir qui s’ouvre avec l’avènement du Ressuscité. Car il vient, il vient sans cesse, en perpétuel matin, en éternelle naissance, et nous osons espérer :
Voici la nouvelle lumière
Montant au plus secret des corps,
Ô Père,
Envoie le souffle sur la terre
Du Premier-né d’entre les morts.
(Hymne des Dimanches II et IV)
« Petit matin sans horizon », dit la chanson. La liturgie préfère : « Petit matin plein d’horizon ». Au jardin du monde, tous les matins gris et solitaires comme tous les matins ensoleillés cachent la vie que Dieu sème en eux. Et la liturgie des Heures me permet de les honorer en célébrant le « soleil levant », « l’astre d’en-haut » :
Tout rayonnant d’une promesse,
Déjà ce matin nous entraîne,
Figure de l’aube éternelle
Sur notre route quotidienne.
(Hymne des Mercredis II et IV)