Le fr. Timothy Radcliffe, ancien Maître de l’Ordre des Dominicains, a été sollicité pour remonter le moral des religieux et religieuses de Suisse, inquiétés par la diminution de leurs effectifs et par la fermeture progressive de leurs couvents et maisons. Cette conférence a été donnée devant un auditoire de plusieurs centaines de religieux et religieuses réunis à l’aula de l’Université de Fribourg le 13 septembre 2003.
ll y a quelques mois, on m’a demandé quel allait être le titre de cette conférence et, spontanément, j’ai pensé: «Lazare, viens dehors!» Le verset venait de jaillir dans ma tête! Quand j’ai commencé à préparer cette causerie, je me suis inquiété. Est-ce que ce serait un bon texte pour susciter une réflexion sur la vie religieuse d’aujourd’hui en Suisse ? Mais l’Esprit Saint a été très gentil avec moi. Je pense que c’est le texte parfait pour mettre en lumière certains des défis que vous affrontez aujourd’hui. Nous avons l’habitude des crises
D’abord, le contexte de ce miracle est celui de la maladie et de la mort. Jésus, Marthe et Marie sont tous assommés par la douleur de la maladie et de la mort de leur frère et ami bien-aimé. C’est une douleur que certains d’entre vous peuvent ressentir devant la crise de la vie religieuse en Suisse. Les organisateurs de cette rencontre m’ont contacté pour me donner quelques indications de votre situation. Et ils m’ont écrit: «Ne devons-nous pas citer quelques réalités concrètes sous «nos obscurités» ou «nos opacités»… Notre manque d’espérance devant l’avenir incertain et l’absence de vocations; nos fragilités à cause du vieillissement de nos institutions et de nos membres; nos pénibles recherches concernant nos habitations devenues trop grandes, partiellement vides, soucis économiques et financiers, etc.»
Je suis rempli d’admiration devant cette déclaration honnête de la crise que vous affrontez, avec de nombreuses congrégations en Occident. Nous savons que la vie religieuse a traversé de telles crises de nombreuses fois dans le passé. Nous, les Dominicains, nous avons eu à affronter la Peste Noire qui a tué un vaste pourcentage des frères; il y a eu la Réforme protestante; avec la Révolution Française, le nombre des frères a plongé. Et il y a eu la crise qui a suivi le Concile Vatican II. Nous avons l’habitude des crises. Beaucoup de congrégations vont certainement s’affaiblir voire mourir dans les prochaines années. Il n’y a pas de raison de nous sentir coupables et de nous demander ce que nous avons fait de faux. Ceci s’est souvent produit dans le passé. 62% de l’ensemble des Ordres religieux qui existaient avant 1800 sont éteints (1). Peut-être qu’une congrégation meurt parce qu’elle a rempli sa mission.
Jésus laisse mourir ses amis
Mais même si nous savons tout cela, il est difficile de faire face à la maladie et à la mort le coeur heureux. L’histoire de Lazare peut nous y aider un petit peu. Premièrement, nous constatons une chose étrange, à savoir que Jésus a laissé Lazare mourir. Il aurait pu le ramener à la santé quand il était malade. Mais il a délibérément attendu qu’il soit mort. «Quand il apprit que celui-ci [Lazare] était malade, il demeura deux jours encore dans le lieu où il se trouvait» (v. 6). Cette mort avait un but: «Cette maladie est […] pour la gloire de Dieu: afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle» (v. 4). Dieu est aussi présent dans ce moment de faiblesse de la vie religieuse. D’une manière ou d’une autre, d’une façon que, comme Marthe et Marie, nous ne pouvons imaginer, Dieu accomplira quelque chose à travers cela, pour le Royaume.
Deuxièmement, il laisse Lazare mourir parce que c’est un ami. Jean souligne que Jésus aimait Lazare, et qu’ainsi il l’a laissé passer de la maladie à la mort. C’est comme si c’était seulement à un ami que Jésus pouvait demander d’endurer cette crise de la mort, de sorte que Dieu puisse être glorifié. C’est un privilège pour Lazare, afin qu’il puisse être un signe de vie. Le texte établit plusieurs liens entre l’amitié et la mort. Quand Jésus apprend que Lazare est mort, c’est alors qu’il va à Béthanie pour y accomplir le signe. Et «Thomas, appelé Didyme (= Jumeau), dit aux disciples: Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!» (v. 16). Thomas appelle les autres disciples à la fidélité à Jésus pour partager sa mort. Et, bien sûr, c’est parce que Jésus a ressuscité Lazare que les Pharisiens décideront qu’il doit mourir. Ainsi, amitié et mort sont liées. Jésus meurt à cause de son amitié pour nous et, si nous sommes ses amis, nous pouvons alors aussi partager sa mort. Certaines de vos congrégations vont s’affaiblir et même mourir. C’est quelque chose qui se produit souvent dans l’histoire de l’Église. Il est aussi possible de vivre cela comme un signe d’amitié pour Jésus. Nous pouvons vivre cette mort pas seulement comme une fin, mais comme des amis qui sont invités à partager la mort même de Jésus. Comme le dit Ste Thérèse d’Avila: «Si c’est ainsi que Jésus traite ses amis, il n’est pas surprenant qu’il en ait si peu!»
Je me souviens d’avoir visité un monastère en Angleterre lorsque j’étais Provincial. Et l’une des quatre moniales qui restaient m’a dit: «Père, je suis sûre que Dieu ne laissera pas mourir le monastère.» Et un vieux frère sage qui m’accompagnait répliqua: «Ma soeur, il a laissé mourir son Fils.» Comment pouvons-nous être témoins de la mort et de la résurrection du Christ si nous n’osons pas affronter notre propre mort, notre mort personnelle et même la mort de nos congrégations bien-aimées? Ainsi il est possible d’embrasser cette mort comme un partage du chemin du Christ. Certaines congrégations et certains monastères ont atteint un stade où ils savent qu’ ils ne peuvent plus être revivifiés et qu’il serait irresponsable d’accepter des jeunes. Ils ont pris la courageuse décision de mourir dans la dignité et la confiance dans le Seigneur. Cela aussi peut être une prédication de l’évangile.
La tentation est de chercher à survivre coûte que coûte, parce que nous n’osons pas affronter la mort. Mais quel signe de foi dans le Seigneur de la résurrection cela est-il? Personne ne devrait rejoindre une congrégation afin qu’elle puisse survivre, parce qu’elle a peur de la mort. La question cruciale n’est pas celle de la survie, mais celle de la mission pour laquelle nous avons été fondés. Cette mission est-elle terminée? Dans ce cas, peut-être que nous avons accompli ce que le Seigneur souhaitait et nous pouvons mourir. Et si la mission n’est pas encore terminée, est-ce que Dieu a besoin de nous pour l’accomplir; ou bien est-ce que des laïcs peuvent maintenant la remplir?
Quand Jésus dit à Marthe que Lazare ressuscitera, elle réplique: «Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour» (v. 24). Elle exprime une croyance généralisée en la Résurrection dans le futur. Elle ne croit toutefois pas que la Résurrection se trouve maintenant auprès d’elle dans la personne de Jésus. Il est la vie éternelle! La mort et la résurrection, c’est ce qu’elle est appelée à vivre ici et maintenant, pas à la fin des temps. De même, nous pouvons être appelés à endurer la mort maintenant. Car si Jésus est ici maintenant, alors, d’une certaine manière, que nous ne pouvons pas imaginer, il y a aussi résurrection maintenant. Si le Christ est au milieu de nous, alors la gloire de la Résurrection brille maintenant. Mais l’histoire de Lazare montre que la gloire de la Résurrection ne peut faire irruption maintenant que s’il y a mort: notre mort quotidienne, notre fin mortelle personnelle et, parfois, la mort de nos institutions. Et même si nous sommes bénis par des vocations, nous avons toujours besoin de pratiquer l’ars moriendi, l’art de mourir. Nous aurons à laisser aller des projets, à remettre des institutions aux jeunes, qui auront des idées et des priorités différentes, et qui sembleront défaire ce que nous aurons fait. Alors la Résurrection transparaîtra aussi.
La colère devant la mort
L’histoire de Lazare offre une troisième indication sur le fait d’affronter la mort. «Lorsqu’il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l’avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla» (v. 33). Le verbe grec que traduit le français «frémir» est très fort; c’est embrimasthai. Raymond Brown, sans doute le plus grand spécialiste de saint Jean du vingtième siècle, dit que ce verbe désigne «une claire expression de colère» (2). La mort de Lazare met Jésus en colère. Il sait que Lazare sera ramené à la vie et que ses amis seront consolés, et malgré cela il est troublé et en colère. Le fait de la mort le met en colère. Nous pouvons croire que nous sommes invités à partager la mort de Jésus et qu’agir ainsi est un acte d’amitié. Nous pouvons avoir confiance que Dieu est présent dans tout cela selon des modalités que nous ne pouvons comprendre. Et malgré tout, devant la mort, la mort de nos congrégations ou de nos monastères ou de nos écoles, il arrive que nous soyons quand même en colère.
L’un de mes confrères, Herbert McCabe, a écrit: «La mort, la mort humaine est un outrage… La plupart des gens sont d’accord qu’il y a quelque chose de choquant dans la mort d’un enfant, qui n’a pas eu même la chance de déployer tout son cycle de vie humaine; mais je crois que, d’une certaine manière, chaque mort interrompt une histoire qui a d’infinies possibilités devant elle… Nous avons le droit d’être en colère au sujet de la mort: et la colère est une grande partie du deuil de la mort. Et nous avons le droit d’être en colère vis-à-vis de Dieu.» (3). Et nous pouvons éprouver cette colère pas seulement devant la mort humaine, mais aussi devant l’affaiblissement ou la mort des institutions et congrégations auxquelles nous avons donné nos vies. Nous pouvons aimer nos congrégations et nos écoles et nos hôpitaux comme des amis, et nous sommes en colère devant leur fermeture. Cette colère peut être bonne. Nous ne pouvons saisir la merveille de la résurrection si nous n’avons pas été frappés par le scandale de la mort. Nous ne pouvons entrevoir le don de la vie éternelle si nous n’ avons pas été émus par la désolation de la mort.
Ainsi, en ce moment, nous devons nous aider les uns les autres à affronter la colère et le chagrin que nous devons éprouver face à la crise de la vie religieuse. Si une communauté ou une congrégation est en train de mourir, nous devons nous aider les uns les autres à faire le deuil. Nous devons trouver des moyens d’honorer ce qui a été réalisé et de préserver la mémoire de ce qui a été fait. Si nous ne nous donnons pas, les uns aux autres, le temps de faire ceci, nous risquons de devenir sourds à la voix qui crie fortement: «Lazare, viens dehors!»
Appelés pour être signe de résurrection
«Lazare, viens dehors!» Il s’agit, littéralement, d’une vocation. Jésus appelle Lazare par son nom. Si nous souhaitons comprendre ce que cela signifie pour nous, pour vivre notre vocation religieuse, alors il nous faut nous demander ce que cela signifie pour Jésus d’appeler chaque être humain hors de la tombe. «Viens dehors Timothy, Jean-Claude, Suzanne, Grégoire, etc.!» Chaque être humain peut dire, avec Isaïe: «Yahvé m’a appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère il a prononcé mon nom» (49,1) (4). Nous sommes appelés hors de la non-existence. Mais la voix continue de nous appeler, parfois bruyamment, parfois telle une «petite voix douce», comme ce fut le cas pour Élie. Elle appelle chaque être humain à quitter le sein maternel pour entrer dans l’enfance, à quitter l’enfance pour entrer dans la maturité, à quitter la chute et le péché pour revenir à la vie, et à quitter les tombeaux que nous construisons. Une vie humaine est modelée par l’attention continue à cette voix qui crie «Viens, sors!»
Qu’est-ce qui distingue notre vocation de religieux? Est-elle spéciale d’une certaine façon? Lazare n’est pas seulement un homme que Jésus ramène à la vie. Il est un signe, afin que la gloire de Dieu soit révélée. Il est un signe de comment Dieu appelle chaque être humain à la vie. Je crois que Lazare signale ce qui est spécial à propos de notre vocation en tant que religieux. La vocation religieuse est un signe de la vocation humaine. Nous ne sommes pas appelés à avoir une vie qui ait une signification spécialement exclusive, mais à montrer purement et simplement ce qu’est la vocation de chacun. Et nous faisons cela en laissant de côté tous les traits usuels de l’identité humaine: richesse, statut social, carrière et même la famille. Nos voeux nous dépouillent pour que devienne visible ce qui est la réponse humaine fondamentale au Seigneur qui dit: «Venez dehors, vous tous les hommes et toutes les femmes!» De même que nous lisons l’histoire de Lazare en voyant comment Jésus nous appelle tous à la vie, de même les gens devraient lire nos étranges vies consacrées en y reconnaissant la vocation humaine universelle à répondre oui à Dieu.
Nous ne sommes pas les seuls signes. Les couples mariés sont aussi des signes, de même que tout chrétien baptisé. Il n’y a pas de compétition! J’ai traité de cette idée dans Que votre joie soit parfaite (5). Là, j’avais adopté une via negativa, en suggérant que c’est à travers ce que nous n’avons pas que nous témoignons de la destinée humaine. Mais je ne veux pas me répéter. Aujourd’hui, je vais adopter une via positiva, pour voir comment nous pouvons rendre cette vocation visible. Lazare sort de la tombe dans la lumière. Comment mettons-nous en lumière cette vocation humaine universelle?
Qu’est-ce que cela signifie pour Lazare d’être un signe? Cela rend visible le pouvoir de l’évangile. La résurrection de Lazare précipite un conflit entre deux sortes de pouvoirs. Il y a le pouvoir de Jésus et il y a le pouvoir des Romains et des chefs religieux qui vont rechercher sa mort. La résurrection de Lazare nous montre quelle est la nature du pouvoir de Jésus. C’est le pouvoir des signes qu’il accomplit. Il s’agit du septième signe de l’évangile. Et ces signes emplissent les Pharisiens de terreur: «Que faisons-nous? disaient-ils, cet homme fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu Saint et notre nation» (vv. 47-48). Les Pharisiens et les Romains vont donc répliquer avec un autre type de pouvoir, celui de la force. Le pouvoir de Jésus est symbolique. C’est le pouvoir du sens. C’est le partage du pouvoir du Père, qui disait une parole et la parole venait à l’existence. Que la lumière soit et la lumière fut. C’est ce que saint Maxime le Confesseur appelait «l’incommensurable force de la sagesse» (6). Les miracles de Jésus ne sont alors pas des oeuvres de forces magiques! Ils sont puissants à cause de ce qu’ils disent. Le pouvoir des autorités religieuses et politiques est celui de la force brute: le pouvoir d’arrêter Jésus, de l’emprisonner et de le tuer.
Il y a une année, j’étais au Caire, en Égypte. Je suis allé visiter un coin du Caire où vous ne trouverez pas beaucoup de touristes. Ça s’appelle Mukatam, la cité des collecteurs d’ordures. On m’a dit qu’environ 3 à 400.000 personnes vivent là, pour la plupart des chrétiens. Chaque matin, ils vont ramasser les ordures de la ville avec leurs ânes et leurs chariots et ils les ramènent chez eux pour les trier. Ils voient ce qu’ils peuvent récupérer et vendre. C’est l’endroit le plus sale, le plus nauséabond et le plus déprimant que j’aie jamais vu. Les gens ont l’air à moitié mort. Même les enfants qui jouent au football dans la rue, ont le regard vitreux et se meuvent lentement. Mais derrière ce cloaque se dressent de grandes falaises de grès. Dans ces falaises, un sculpteur polonais a passé toute sa vie à creuser d’énormes images du Christ Ressuscité s’élevant dans la gloire, et de la Pentecôte. Au milieu de ce lieu sordide, vous pouvez lever les yeux et voir les images de la gloire. Chaque jour, quand les collecteurs d’ordures reviennent à la maison dans cet endroit crasseux et puant, ils peuvent voir, sur les falaises, des images qui promettent la vie et la lumière. Le Seigneur de la Résurrection ne les a pas oubliés. Les enfants de ces dépôts d’ordures sont les enfants de Dieu. Ils sont destinés à la gloire.
Les religieux: puissants signes de vie!
Nous les religieux, nous sommes appelés à être de puissants signes de vie. Et cela à travers la signification de ce que nous sommes et faisons. Peu importe si nous sommes peu nombreux ou faibles ou vieillissants. Que nous ayons perdu d’autres sortes de pouvoirs, le pouvoir de la richesse et celui de diriger de grandes institutions, cela est sans importance. Nous avons un pouvoir qui donne la vie, celui d’être et d’incarner des signes du Royaume. Ils aident Dieu à prononcer une parole qui sauve et transforme. Un petit groupe de frères ou de soeurs pauvres, vieux et malades peut être un puissant signe de vie. Pensez à Mère Teresa qui a bougé le monde. Pensez au petit étudiant fragile devant un tank sur une place de Pékin. C’est parce qu’il était petit et fragile alors que le tank était une force puissante que cette image a parlé et a choqué la Chine tout entière.
Ce que nous faisons peut être petit et à peine visible. Il y a quatre mois, j’ai visité un hospice pour sidéens à Phnom Penh, dirigé par un prêtre américain, Jim. Jim n’est plus tout jeune et il se bat pour apprendre le khmer. J’ai visité des hospices pour sidéens dans le monde entier, mais jamais je n’avais vu des figures si émaciées. Certains retrouvaient suffisamment de forces pour retourner dans leurs familles pour un petit moment. La plupart étaient venus là pour mourir. J’ai regardé le visage presque squelettique d’un jeune homme, dont les cheveux étaient en train d’être lavés et coupés et qui reflétait une paix si profonde que j’ai pleuré. Et il serait facile de se demander quelle différence cela fait dans le cours de l’histoire: un petit nombre de gens qui vivent un peu plus longtemps et puis meurent dans la dignité. Mais, cette petite communauté disait une parole sacramentelle qui construit le Royaume.
Le fait que nous sommes petits et sans importance peut faire que nos signes parlent encore même plus puissamment. Pensez à Gédéon! Dieu a réduit son armée à un tout petit groupe de trois cents hommes afin que la gloire du Seigneur puisse briller à travers cette victoire sur les ennemis d’Israël. Peut-être que Dieu nous amenuise pour que la gloire du Seigneur puisse briller à travers nous. Comme le dit saint Paul, c’est quand nous sommes faibles que nous sommes forts.
Il nous est difficile de comprendre cela vu que c’est la force des armes et de l’argent qui gouverne le monde, et qui continue de le faire comme nous venons de le voir avec la guerre contre l’Iraq. Et nous vivons à l’ombre de la Révolution industrielle, expression de la domestication de la force: le pouvoir de la vapeur et du charbon, le pouvoir de l’électricité et, finalement, le pouvoir de diviser l’atome nucléaire. Ainsi, les signes et les symboles peuvent ne pas sembler très efficaces pour nous. Ce sont juste des idées, des trucs dans nos têtes et pas le monde réel. Combien de divisions le Pape a-t-il? demandait Staline.
Mais nous sommes en train d’entrer dans un nouveau monde, le village global du World Wide Web (la toile Internet). Dans ce nouveau monde, ce qui circule, ce ne sont pas tellement de grosses choses lourdes comme les voitures ou l’acier, mais des signes, des symboles et des idées. Nous vivons dans ce qu’on a appelé «la société saturée de symboles» (7), de logos et de marques de fabrique. Les publicitaires savent que ce que nous consommons aujourd’hui, ce ne sont pas tant des produits que des signes culturels (8). Ainsi nous sommes en train d’entrer dans un nouveau monde, le World Wide Web, dans lequel nous, religieux, pouvons être des signes puissants si nous en avons l’imagination et la créativité. Ce monde nouveau est mûr pour que nous y rendions visible la gloire du Seigneur.
Domini canes!
Les organisateurs de cette conférence ont choisi pour thème la lumière, la visibilité. Et Lazare est convoqué hors des ténèbres dans la lumière. Il était caché dans la tombe et maintenant il est visible. Si nous devons être des signes du Royaume, nous devons être visibles dans ce village global des marques et des logos. Mais pour nous cela implique plus que la visibilité d’un logo. Quand j’étais Provincial, je croyais beaucoup dans la promotion du symbole dominicain du chien tenant une torche allumée dans sa gueule. Nous sommes les Domini canes, les chiens du Seigneur. Vous pouvez le voir dans toutes les églises dominicaines en Amérique Latine. On dirait que les chiens fument des cigares géants. J’ai collé ce symbole sur tous les produits dominicains: périodiques, T-shirts, édifices. Par bonheur, le célèbre sculpteur Eric Gill, qui était laïc dominicain, a façonné une image magnifique du chien dominicain, que nous avons employée. C’était un chien très bien doté et il a dû subir un peu de chirurgie! Mais nous recherchons une visibilité plus rayonnante, laquelle se trouve dans la signification de ce que nous sommes et faisons.
Quelle signification sommes-nous appelés à incarner aujourd’hui? Comment pouvons-nous être des signes donneurs de vie? Jésus crie: «Lazare, viens dehors!» Il y a là plus que la simple réanimation d’un cadavre. La vie est plus que la simple condition physique. Cette histoire suggère deux manières d’être vivant que nous pouvons rendre visibles aujourd’hui. La première est la victoire de la joie sur le chagrin. Et la seconde est la remise de Lazare à ses soeurs et à ses amis. Nous, religieux, sommes appelés à être des signes du Royaume à travers la joie et à travers la communauté.
La joie victorieuse
Jean souligne à l’envie la tristesse et le chagrin de Jésus, de Marie, de Marthe et des amis de Lazare. La maladie et la mort apportent le chagrin. La résurrection de Lazare défait le chagrin et nous donne un avant-goût de la joie du Royaume. Les signes et symboles du World Wide Web promettent aussi le bonheur, la satisfaction, et la plénitude de la vie humaine. Il y avait une publicité en Angleterre qui disait ceci: «Le bonheur est un cigare appelé Hamlet». Le bonheur est la bière que vous buvez et les habits que vous portez et la voiture que vous conduisez. Acheter une paire de Nike, c’est acheter plus que quelque chose à mettre aux pieds. C’est comme devenir une personne particulière, un membre d’une communauté de gens. Le Vice Président de Nike disait: «Nous décrivons toujours la marque comme une personne. Alors, qui est cette personne? Une personne avec laquelle vous aimeriez vous défouler. Avant tout, elle doit être amusante… Ainsi, ce que nous faisons, c’est construire une personnalité.» (9).
Si nous devons être florissants et visibles dans ce monde, ce devra être parce que nous incarnons un bonheur qui soit inexplicable et provocant. La première graine de ma vocation a été plantée dans ma tête par un vieux grand-oncle bénédictin excentrique, et cela parce que c’était une des personnes les plus joyeuses que j’aie jamais rencontrées pourvu que ma mère se rappelât de lui donner la nuit un grand verre de whisky. Et s’il ne voulait pas aller au lit, elle laissait un autre verre au sommet de l’escalier pour l’inciter à monter se coucher! Nous ne pouvons être des prédicateurs du Royaume si nous sommes malheureux. Nietzsche disait que ceux qui suivent Jésus devraient avoir l’air un peu plus sauvés. Et même en étant enfant je pouvais saisir que cette joie, d’une façon ou d’une autre, provenait de cette déroutante manière de vivre, pauvre, chaste et obéissante.
Ces voeux ne signifient rien tant qu’ils ne forment en nous des personnes capables d’offrir un goût de joie qui transcende toutes les délices vantées par le World Wide Web. C’est un avant-goût de la joie du Royaume. Le bienheureux Raymond de Lulle, un franciscain du XIIIe siècle écrivait: «Seigneur, puisque tu as mis tellement de joie dans mon coeur, étends-là, je te prie, à tout mon corps de sorte que mon visage et mes yeux et ma bouche et mes mains et tous mes membres sentent cette joie. Roi des rois, grand et noble Seigneur, quand je me rappelle la vie éternelle, quand je la contemple, je suis submergé de joie. La mer n’est pas aussi remplie d’eau que je ne le suis de joie.»
L’obéissance n’a pas de sens tant qu’elle n’est pas la joie de donner sa vie librement. L’un de mes confrères, Jean-Jacques Pérennès, a travaillé 12 ans en Algérie comme économe. Un jour, il a été invité par son Provincial à rentrer en France pour enseigner à l’Université, à Lyon. Au début, cela l’a plongé dans la consternation jusqu’à ce que, soudain, il ait goûté à la joie d’avoir donné sa vie. En Français typique, il alla acheter une bouteille de champagne pour boire à la liberté de ses voeux. Il était installé à Lyon, heureux, lorsque je lui ai téléphoné et demandé s’il voulait venir à Rome pour être mon Assistant pour la Vie apostolique. Il a demandé à y réfléchir un mois. J’ai suggéré qu’il pourrait peut-être se décider en un jour. Et une autre bouteille de champagne! Jean-Jacques est maintenant notre Vicaire provincial du Vicariat arabe. Il m’a demandé si je voulais passer quelque temps en Iraq pour aider à l’établissement d’un noviciat là-bas. Bien sûr, j’ai accepté. Une autre bouteille de champagne!
L’unique justification possible du voeu de chasteté est qu’il nous rend heureux. C’était au moins le point de vue de s. Augustin (10). Il demandait: «Qui peut consciemment embrasser quelque chose qui ne lui plaît pas?» Quelqu’un a écrit – j’ai oublié qui – que si Freud pensait que tout le discours sur Dieu concerne le sexe, alors s. Augustin pensait que tout le discours sur le sexe concerne Dieu. La chasteté est une entrée dans la joie totale et incompréhensible du Père dans le Fils et du Fils dans le Père, laquelle est l’Esprit Saint. Il est vrai qu’il faut du temps pour découvrir certains plaisirs profonds. Cela m’a pris des années à aimer le whisky, mais maintenant j’y tiens. Je suis toujours en train de travailler à la chasteté.
Cette joie était le commencement de la mission de Jésus à son baptême, quand il a entendu la joie du Père en lui. Maître Eckhart écrivait que, au coeur de la vie de Dieu, il y a ce rire incoercible. «Le Père rit au Fils et le Fils rit au Père, et le rire engendre le plaisir et le plaisir engendre la joie et la joie engendre l’amour.» (12) Nous sommes destinés à trouver notre chez-soi dans ce plaisir mutuel. La chasteté se révèle une oppression méchante et étouffante tant qu’elle n’est pas vécue comme le débordement de la joie de Dieu sur tous les êtres humains. Le voeu de chasteté devrait nous former à prendre plaisir aux gens, le plaisir total et débordant que le Père prend à nous, la joie qu’il a en tous les êtres humains dans le Fils. La chasteté est simplement une manière de prendre plaisir aux gens. Et on n’a qu’à jeter un oeil à François et à Dominique pour y voir une joyeuse affaire d’amour avec la pauvreté.
Ainsi, rendons-nous visibles par tous les moyens. Ayons des logos; faisons du bruit dans les médias. Mais la visibilité que nous recherchons est plus qu’un autre visage souriant sur les affiches. C’est donner à entrevoir une joie au-delà des mots et de l’imagination. Dans un monde qui a perdu ses rêves, les gens peuvent entendre une voix qui dit, même sur la croix: «Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis.» C’est une joie qui fait paraître petits les plaisirs des produits du World Wide Web.
L’ultime fraternité
Jésus crie: «Lazare, viens dehors!» Il convoque Lazare à la vie, ce qui signifie à revenir auprès de ses soeurs et de ses amis. Être vivant, c’est appartenir. La mort n’est pas seulement tristesse; elle est destruction de nos liens avec ceux auxquels nous appartenons. En tant que religieux, nous aussi sommes frères et soeurs, d’encore plus de personnes que Lazare! Cette appartenance peut également être un signe du Royaume. Elle peut parler de l’ultime fraternité de l’humanité dans le Christ. Ici aussi nous sommes peut-être un signe provocateur dans le World Wide Web.
Le World Wide Web ne promet pas seulement le bonheur, ses produits nous offrent une communauté à laquelle nous pouvons appartenir. Acheter un hamburger McDonald, ce n’est pas simplement acquérir quelque chose à manger, c’est rejoindre la communauté des mangeurs de hamburgers du monde entier; c’est partager un monde. Peter Berger dit, en paraphrasant Freud: «Parfois, un hamburger est juste un hamburger. Mais dans d’autres cas, la consommation d’un hamburger, spécialement quand cela se passe sous l’icône dorée d’un restaurant McDonald, est un signe visible de la participation, réelle ou imaginaire, à la modernité globale.» (13). Burger King dirige un Club pour Enfants, avec des sections dans 25 pays et quatre millions de membres, plus que tous les religieux et religieuses dans le monde. Un représentant disait: «Nous voulons capturer les esprits et les coeurs des enfants et les garder jusqu’à ce qu’ils aient 60 ans.» (14). Nous disons usque ad mortem!
Et si vous n’avez pas l’argent pour entrer dans la communion des bienheureux, vous pouvez acheter des produits de contrefaçon: de fausses montres Rolex, des jeans chinois avec le label Levi’s. Chacun sait bien que ce ne sont pas de vrais produits, mais ils expriment le désir d’appartenir à la communion de la consommation. Pour les pauvres, ce sont des sacramentaux de leur participation imaginaire au grand magasin eschatologique. Je trouve tout cela si fascinant que j’ai de la peine à m’en détacher pour revenir au sujet de la vie religieuse!
La vie religieuse rend visible une autre sorte d’appartenance. Notre visibilité n’est pas celle d’une nouvelle marque sur le marché, chiens dominicains (Dominican dogs) plutôt que chiens chauds (hot dogs). Nos voeux devraient nous modeler en ceux qui rendent visible une autre forme de communion, celle du Royaume. Dans l’article auquel je me suis référé, dans Que votre joie soit parfaite, j’ai montré comment le voeu de pauvreté est un renoncement à la sorte d’identité que les biens de consommation peuvent nous donner. Nous sommes appelés à être un signe du Royaume en abandonnant les signes du standing et de la richesse. Le voeu de pauvreté est un signe de cette communion de laquelle personne n’est exclu, y compris ceux qui ne peuvent pas même se permettre des labels de contrefaçon, les plus pauvres de tous. Nous renonçons à ces signes-là d’appartenance.
Un jour, un rabbin demanda à ses élèves: «A quoi pouvez-vous reconnaître que la nuit a pris fin et que le jour revient?» Un élève sugggéra: «Quand vous voyez clairement qu’un animal au loin est un lion et pas un léopard.» «Non» dit le rabbin. Un autre dit: «Lorsque vous pouvez distinguer si un arbre porte des figues et pas des pêches.» «Non, dit le rabbin. C’est quand vous pouvez regarder le visage d’une autre personne et voir que cette femme ou cet homme est votre soeur ou votre frère. Parce que tant que vous n’êtes pas capables de faire cela, quelle que soit l’heure du jour, c’est toujours la nuit.» (15).
Lazare, le frère, sort de la tombe dans la lumière. Il est redonné à ses soeurs. Peut-être que le voeu d’obéissance, par-dessus tout, nous forme en tant que personnes dont les vies annoncent un nouveau mode d’appartenance en frères et soeurs. De fait, c’est le seul voeu que les Dominicains professent explicitement. C’est peut-être pourquoi les jeunes frères plaisantent parfois sur le fait d’être dispensés des autres: «Timothy, puis-je être dispensé de la chasteté pendant mes vacances?» L’obéissance est pour nous bien plus que faire ce qu’on nous demande. C’est une formation à la fraternité. C’est accepter que c’est avec ces frères et soeurs que l’on découvre qui on est et qui on pourrait devenir. C’est professer que l’on n’est pas le maître de sa propre identité. Cela émerge de notre vie commune.
Matisse a fait un magnifique vitrail représentant saint Dominique dans notre chapelle à Vence, dans le sud de la France. Le visage de Dominique n’est pas dessiné et fait de verre blanc. Non pas parce que c’était un personnage incolore, mais parce qu’il était Frère Dominique. Il n’était pas tant le fondateur, mais l’un de nous. Il a créé une communauté non pas pour qu’il soit imité, mais dans laquelle nous pourrions ensemble découvrir qui nous sommes et ce que nous pourrions faire. A ce propos, c’est parce que la fraternité est si fondamentale que pour moi la question n’est jamais: «Quelle est l’identité d’un frère dans un institut clérical, comme chez les Dominicains?» C’est plutôt: «Qu’est-ce Sue cela signifie pour un frère d’être ordonné?»
Être un frère obéissant, ce n’est pas encore savoir pleinement qui vous êtes. Vous êtes liés avec des frères et des soeurs dans le monde entier, que vous ne connaissez pas encore et qui sont pourtant chair de votre chair et os de vos os. Ma joie d’être Maître de l’Ordre était que je pouvais aller dans n’importe quelle communauté dominicaine du monde, de Tokyo à Johannesburg, et savoir tout de suite que quelqu’un était mon frère avant même que je connaisse son nom. Nous ne pouvons jamais savoir pleinement qui nous sommes du moment que nos frères et soeurs sont dispersés dans le monde entier. Et si la congrégation est bénie par de nouvelles vocations, elles aussi seront du voyage vers l’identité. Nous appartenons aussi aux générations encore à venir, qui auront leur mot à dire sur ce que nous sommes et ce que nous pouvons faire.
C’est pourquoi j’ai toujours fortement lutté contre la tendance à demander aux frères, avant une élection, s’ils accepteraient d’être supérieurs. Ce n’est pas à moi de dire si je pense que je peux remplir cette fonction. C’est à mes frères de discerner. Ils me connaissent mieux que moi-même. Devenir un supérieur, ce n’est pas faire avancer une carrière. C’est accepter la voix de ses frères qui disent: «Viens, Timothy.» Se remettre soi-même dans la main des frères au moment de la profession, c’est accepter que son identité est hors de ses propres mains. La fraternité est une identité ouverte. Les frères et les soeurs se disent les uns aux autres: «Sors dans la lumière du soleil».
L’obéissance fait plus que nous engager dans une identité en tant que religieux, qui est au-delà de notre imagination. C’est un petit signe qui rend visible l’inimaginable communion qu’est le Royaume. Quand la guerre contre l’Iraq menaçait, des membres de la Conférence des Supérieurs Dominicains des Etats-Unis ont distribué des autocollants qui disaient: «Nous avons de la Famille en Iraq». Cela concernait d’abord, bien sûr, nos frères et soeurs dominicain(e)s iraquien(ne)s. Mais cette appartenance à l’intérieur de l’Ordre est un signe d’une appartenance plus large qui englobe les chrétiens et les musulmans iraquiens, chair de notre chair dans le Royaume.
Parfois, quand Helder Camara entendait que la police avait arrêté et jeté en prison un pauvre homme, il téléphonait et disait: «J’ai appris que vous avez arrêté mon frère.» Et la police se confondait en excuses: «Votre Excellence, quelle terrible erreur! Nous ne savions pas que c’était votre frère. On va le relâcher tout de suite!» Et quand l’archevêque se rendait au poste de police pour récupérer l’homme, il arrivait à la police de dire: «Mais, Excellence, il ne porte pas le même nom de famille que vous.» Et Camara répliquait que chaque personne pauvre était son frère et sa soeur.
Ainsi, l’identité ouverte du voeu d’obéissance est un signe de ce voyage vers la connaissance de soi que nous faisons avec des étrangers sur le chemin du Royaume. Cela signifie que nous ne savons pas qui nous sommes sans les pauvres et les sans-noms et les silencieux. Rowan Williams, l’archevêque de Cantorbéry, écrivait: «Ce n’ est pas les uns sans les autres que nous avançons vers le Royaume; c’est pourquoi l’histoire chrétienne doit être l’histoire d’engagements continus et exigeants avec des étrangers, en abandonnant le droit de décider qui ils sont. Aucun de nous ne saura qui il est sans autrui – ce qui peut vouloir dire que nous ne saurons pas qui nous sommes avant le Jugement Dernier.»
Et si l’obéissance est plus que faire ce qu’on nous dit, de même la chasteté est plus que ne pas dormir avec d’autres personnes. Ce n’est rien si cela ne rend pas visible un amour qui est au-delà des liens familiaux, sociaux, ethniques, nationaux etc., ce qui est la vie du Royaume. Comme Augustin le comprenait si bien, la chasteté est la libération du désir de toute libido dominandi, la tentation de nous faire nous-même Dieu, et de gouverner et posséder d’autres personnes. Comme l’écrivait Sebastian Moore, «la concupiscence, donc, n’est pas la passion sexuelle échappant au contrôle de la volonté, mais la passion sexuelle comme camouflage de la volonté d’être Dieu.»16 Dans un monde où le pouvoir stupide et brutal est devenu horriblement visible, le voeu de chasteté doit donc rendre visible le désir libéré de toute domination et supériorité.
Viens, dehors!
Jésus crie à voix forte: «Lazare, viens dehors!» C’est l’appel qu’il adresse à tout être humain. Nous sommes appelés hors de la non-existence par nos noms. Nous sommes appelés hors de l’enfance à la maturité, hors du péché au pardon, hors des ténèbres à la lumière. J’ai suggéré que notre vocation, en tant que religieux, est de rendre visible la vocation humaine. Nos voeux nous mettent à nu, nous déshabillent de toute autre identité moindre basée sur la richesse ou le statut social ou la carrière ou même le mariage. Nous dévoilons une identité qui n’est rien de plus que répondre à la voix qui dit: «Viens.»
Pour certaines congrégations, c’est un temps de crise et de dépression. Beaucoup de communautés sont vieillissantes et manquent de vocations. Et alors, nous pouvons être déprimés et croire que nous ne sommes plus capables d’être signe de quoi que ce soit à part l’échec. Mais l’histoire de Lazare nous montre que le pouvoir de Dieu n’est pas une force puissante qui s’impose d’elle-même. Il est à voir dans un homme faible et vulnérable, livré à la mort. Ses signes parlent puissamment à cause de ce qu’ ils signifient. Et nos vies peuvent parler puissamment du Royaume, même si nous nous sentons vieux et faibles et peu nombreux. Ils peuvent même parler encore plus puissamment à cause de ces raisons-là. Nous pouvons être de meilleurs signes à cause de notre faiblesse.
Notre village global offre un monde qui, je crois, est réceptif aux signes. C’est une occasion formidable pour l’Église et pour nous, si nous en avons la créativité et l’imagination. Dans ce World Wide Web, les gens ont faim de bonheur et d’appartenance. Nous pouvons rendre visibles un bonheur et une appartenance qui sont au-delà des mots, mais qui peuvent répondre aux plus profonds désirs des gens. Quand le linceul a été retiré du visage de Lazare, pensez à la joie qui s’est donnée à voir.
1. Sean D Sammon FMS, Religious Life in America: a new day dawning, New York 2002, p. 43.
2. The Gospel according to John Vol I, London 1971, p. 425.
3. Hope CTS London 1987, p. 24f.
4. En anglais, il y a une rime entre «tombe» (= tomb) et «sein maternel» (= womb).
5. «La vocation religieuse aujourd’hui. Laisser derrière soi les signes habituels d’identité», Que Votre joie soit parfaite, Le Cerf Paris 2002 pp.119—140.
6. Discours adressé à Thalassius, Quaestio 63.
7. Scott Lash and John Urry, Economies of Signs and Space, London 1994 p. 222
8. Tiflcin 117.
9. «In the vanguard of Globalization», James D. Hunter and Joshua Yates, ibid, p. 351.
10. V. Boume Joy in Augustine’s Ethics p.
11. De Doctrina Christiana III
12. Sermon 18, in F. Pfeiffer, Aalen 1962, quoted in Murray, op.cit. p. 132
13. Ed. Peter L. Berger and Samuel P. Huntingdom Many Globalizations: Cultural Diversity in the Contemporary World, Oxford 2002 p. 7.
14. Jeremy Rifkin, op. cit. p. 110.
15. Sean Sammon op cit. p. 95.
16. Op.cit 105.
j’ai trouvé ce commentaire très puissant et très profond
tout réside dans la compréhension de notre appel, de notre vocation. Pourtant plusieurs situations aujourd’hui sont des obstacles à cet appel et c’est cela notre mort. que la voix du Seigneur crie encore plus fort à ce qu nous sortions de nos tombeaux pour briller pour sa gloire. nous sortons de nos limites, prisons,enfermements, cloisonnements, incapacités, de nos églises et dénominations qui nous tuent et obstruent la manifestation du règne de Dieu vers tout homme sauvé en Christ. Merci