La gloire de Jésus n’est pas une palme d’or
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 17,20-26.
À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi.
Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un :
moi en eux, et toi en moi. Que leur unité soit parfaite ; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant même la création du monde.
Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ils ont reconnu, eux aussi, que tu m’as envoyé.
Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître encore, pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi, je sois en eux. »
Le mystique Angélus Silésius a cette belle formule qui convient bien à ce temps de l’Ascension : « Le ciel s’abaisse, il vient et se fait terre ! Quand la terre s’élèvera-t-elle, pour devenir ciel ? » Ces mots résument notre espérance mais aussi celle de Jésus et celle du Père. L’abaissement du ciel vers nous en Jésus n’a pas d’autre but que de permettre notre ascension vers le ciel. Saint Athanase d’Alexandrie disait déjà au quatrième siècle que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ».
La prière de Jésus au seuil de sa Passion est toute remplie de ce désir. Nous sommes présents dans toutes les demandes que Jésus fait au Père. Le souci de Jésus pour nous est au centre de sa prière comme il fut au centre de toute sa vie : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée. » Dans la Crucifixion et dans l’Ascension, Jésus attire toute l’humanité vers le Père : « Élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32). L’Emmanuel, qui est « Dieu-avec-nous », demande ainsi dans sa prière que le Père réalise son projet de salut en nous faisant « Nous-avec-Dieu ».
Le jour de l’Ascension, nous fêtons l’entrée de Jésus ressuscité dans la Gloire. En accueillant à sa droite l’homme de Nazareth, le Père a ouvert son intimité à toute l’humanité. Ce qui était impossible pour Moïse l’est devenu pour Étienne ! En effet, Moïse désirait voir la gloire de Dieu au Sinaï ; il s’entend répondre : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Ex 33,20). Étienne, disciple de Jésus, rempli de l’Esprit Saint, « voit les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7,56).
La gloire du Ressuscité n’est pas une « palme d’or » que le Père remettrait au Fils pour « primer » l’œuvre de sa vie exemplaire. Il ne s’agit pas ici de cinéma. La Gloire de Jésus n’est pas virtuelle ; il ne s’agit pas d’un rêve ! Cette gloire n’est pas une sorte de « happy end » à la manière dont sait le faire le cinéma américain. Cela ne se termine pas par des applaudissements, puis on se lève et on s’en va. Non, car on pourrait dire que cela se termine plutôt par l’entrée des spectateurs dans le scénario même du film. Peut-on imaginer un film qui ne finit pas ? La résurrection de Jésus n’est pas une fin de l’Évangile. Il y a une suite, et nous sommes cette suite !
« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux qu’ils soient avec moi… » Jésus est au commencement et à la fin de ce grand film dont le Père a écrit le scénario et dans lequel chacun de nous a son rôle à jouer. Comme Étienne, chaque disciple que nous sommes est appelé non seulement à « voir » les cieux ouverts en spectateur extérieur mais à y entrer réellement pour y être avec Jésus, dans sa gloire !
La Trinité divine s’est ouverte ! Le ciel s’est déchiré ! Dieu, le Père de Jésus, n’a qu’un seul souci, celui de nous accueillir en lui, au-delà de l’écran, dans la vérité de son Mystère. Il ne s’agit donc pas d’un salut proposé à l’américaine : sauver un peuple malgré lui, voire contre lui, presque de force, parce que cela a été décidé au Pentagone ou à la Maison Blanche ! Notre Dieu est un Père plein de tendresse qui redoute de nous perdre, qui ne veut perdre aucun des petits que nous sommes (Mt 18,14). C’est pour cela qu’il a envoyé son Fils bien aimé : « Je suis venu, dit Jésus, pour sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). A-t-on déjà vu les héros des films américains se perdre pour ceux qu’ils doivent sauver ?
Jésus est un véritable héros, lui qui s’est solidarisé avec nous pour que nous entrions avec lui dans la gloire divine. C’est pour cela qu’il prie « avant de passer de ce monde au Père » pour que nous passions avec lui et que nous contemplions sa gloire. Il a décidé de jamais nous oublier. Dans nos sociétés, il n’est pas rare que ceux qui obtiennent une bonne place oublient ensuite leurs compagnons de misère. Avec Jésus, le ciel s’est abaissé et s’est fait terre ! Avec son entrée dans la gloire, le ciel s’est largement ouvert à la multitude humaine. Le grand film qui a commencé avec sa venue n’est pas encore fini ! Le générique n’est pas encore prêt ! Le scénario continue avec chacun de nous jusqu’à ce que nous soyons tous avec Jésus, dans sa gloire !
Frère Dominique CHARLES o.p.