Traditionnellement, la colère a mauvaise presse dans le christianisme. N’est-elle pas l’un des sept péchés capitaux? Ne s’agit-il pas d’une passion néfaste et destructrice? Le plus récent livre de Lytta Basset, intitulé Sainte colère, présente une réflexion qui dépasse de loin ces conceptions habituelles en se fondant une interprétation vivante et vivifiante de plusieurs textes de la Bible : l’histoire de Caïn et Abel, le cycle de Jacob, le livre de Job, et quelques extraits des évangiles.
Dans la Bible, la colère n’est pas censurée. Chez les personnages qui l’expriment, elle semble reliée à la recherche et à l’affirmation de l’identité propre et de la vérité de l’être de chacun. Job laisse monter sa colère devant l’injustice et les souffrances qu’il subit, et il ose se tourner ainsi vers Dieu. Loin de condamner les reproches de Job à son égard, Dieu l’encourage pratiquement à l’invectiver plutôt que de tuer une autre personne. Caïn, au contraire, n’avait pas osé s’en prendre à Dieu d’avoir refusé son offrande, et s’est attaqué à son frère. Dieu seul peut soutenir sans en être brisé l’expression directe de la souffrance et du sentiment d’impuissance qui nous habite. Jacob ne luttera-t-il pas toute la nuit avec un personnage mystérieux, soit l’ange du Seigneur, soit le Seigneur lui-même? Au terme de cette lutte, Jacob recevra enfin son vrai nom, exprimant une identité personnelle défusionnée, enfin libérée des conflits et des manipulations de ses relations familiales. Paradoxalement, l’expression authentique de la colère est nécessaire pour éviter d’en venir à la rupture des relations interpersonnelles. La bénédiction de Dieu se reçoit dans l’acceptation de son unicité et de sa vulnérabilité (sa blessure à la cuisse), il n’aurait au fond jamais eu besoin de tenter de la dérober.
Il y a donc une dimension saine et salutaire à la colère. Mais qu’est-ce qu’une «sainte colère»? «Une sainte colère est donc AUTRE qu’une colère humaine spontanée; elle cherche la ressemblance avec la colère de Dieu, sans prétendre y parvenir. (p. 247)» Ceci signifie qu’elle refuse de s’approprier la colère de Dieu, qui demeure un mystère aux yeux humains. Une sainte colère renonce à la victimisation et à la recherche de boucs-émissaires. Elle associe le courage de la vérité au désir persistant de maintenir ouvert l’espace de la relation. La sainte colère ne s’avérera féconde qu’en vertu de l’amour profond qui l’anime.