Introduction
Les évêques du Canada adressent ce message sur le mariage aux fidèles des communautés catholiques dont ils ont la charge, mais ils espèrent que leur réflexion trouvera un large écho auprès de tous ceux et celles qui participent au débat public actuel sur le mariage.
Depuis le 17 juillet 2003, alors que le gouvernement fédéral soumettait à la Cour suprême du Canada un avant-projet de loi redéfinissant le mariage à des fins civiles comme étant « l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne », beaucoup de voix se sont fait entendre. Cette décision a soulevé une controverse sans précédent parce qu’elle touche une institution sociale et religieuse fondamentale, à laquelle les gens sont profondément attachés.
I – Le mariage : une institution humaine
Une réalité ancrée dans la nature humaine
Le mariage est une réalité humaine, une institution naturelle qui précède les systèmes sociaux, juridiques et religieux. Le mariage existe depuis des temps immémoriaux. « Le mariage préexiste au gouvernement actuel comme à tout autre gouvernement, de même qu’il préexiste à la fondation de l’Église. Le mariage n’est pas une création de l’État ou de l’Église. Ni le gouvernement, ni l’Église n’ont autorité pour en changer sa nature. »[1] Comme institution, cette forme de vie pour les couples a depuis toujours été valorisée. Elle a été protégée en raison de son caractère unique, de sa façon d’assurer la régulation des relations humaines et de son potentiel procréateur.
Une contribution au bien commun
Le mariage entre une femme et un homme constitue un bien unique pour toute société. Par son rôle fondamental et irremplaçable, il construit les sociétés et les civilisations. La valeur sociale du mariage vient de son rôle comme pierre d’assise assurant la stabilité de la famille, cellule de base de la société. Par l’union conjugale, le couple hétérosexuel qui fonde une famille, fournit un milieu stable et propice à la prise en charge d’enfants et à l’éducation des générations futures. La famille est la base du lien social qui s’établit entre les générations qui se succèdent. C’est au sein d’une famille que les nouvelles générations font l’apprentissage de l’amour et des relations interpersonnelles. Les données du dernier recensement sont éloquentes à cet égard. [2]
Un engagement spécifique
Dans le mariage, ce qui est socialement et légalement reconnu, ce n’est pas seulement un engagement personnel, mais également un engagement social à contribuer – en ayant et en élevant des enfants – à l’avenir de la société. Il est vrai que la procréation n’est pas le seul but du mariage, mais elle en est un élément-clé.
Les lois doivent être élaborées non seulement en fonction de leur incidence sur les individus, mais en fonction de leur impact sur le tissu social. Il est important, pour la stabilité de la famille et en dernière instance celle de la société, de consolider l’institution du mariage. « L’État a de toute évidence raison d’accorder reconnaissance, préférence et préséance – eu égard à sa nature et à sa spécificité – à ce fondement social juridique, grâce auquel perdure la société. »[3]
Dès que le débat s’est enclenché, nous avons reconnu l’existence du vœu que soient officiellement protégées les autres formes de rapports personnels étroits entre adultes impliquant une dimension d’engagement, de soins mutuels, d’interdépendance affective et financière. Nous demeurons persuadés que des solutions peuvent être trouvées sans pour autant procéder à une redéfinition radicale du mariage.
Le respect des différences
En invoquant des principes d’équité, d’égalité, d’autonomie et de liberté de choix, le gouvernement propose – dans cet avant-projet de loi – un modèle de lien juridique qui nivelle les distinctions entre les époux hétérosexuels et les partenaires de même sexe pour faire accéder ces derniers à un statut matrimonial normatif. En invoquant le droit à l’égalité, le gouvernement doit éviter de confondre le concept d’égalité avec celui d’uniformité et de substituer celui-ci à celui-là. La non-discrimination exige le respect de la diversité et de la différence et non l’uniformisation. En fait, l’organisation sociale valorise la diversité. Dans le contexte actuel, refuser d’établir les distinctions qui s’imposent, entraîne la confusion et la dévalorisation de la diversité. Il n’est pas discriminatoire de traiter des réalités différentes de manière différente.
Le respect du rapport foi-politique
Le rapport entre la foi et la politique a soulevé dans les médias des débats riches et vigoureux. Dans le débat actuel, l’enjeu n’est pas exclusivement catholique ou même religieux. Il a une portée universelle et concerne tout le monde car il fait appel à un système de valeurs et aux convictions personnelles. Certains aborderont cet enjeu selon leurs convictions religieuses; d’autres par le biais de principes philosophiques, alors que d’autres s’appuieront sur un système de valeurs séculières ou profanes. L’Église ne trace pas une frontière étanche entre la vie et la foi. Bien au contraire, elle attend de ses membres, quels que soient leur vocation, leur profession ou leur travail, d’incarner leur foi dans la vie de tous les jours.
Qu’il soit question de politique, d’économie, d’intervention militaire ou de mariage, nous présumons que la plupart des hommes et des femmes politiques discutent des enjeux à partir des valeurs fondamentales et à la lumière de leur conscience. En fait, ce qui est demandé aux politiciens catholiques, comme à tous les catholiques d’ailleurs, c’est de former leur conscience par la prière, la méditation, la lecture attentive des Écritures et l’écoute respectueuse de l’enseignement de l’Église « dans la reconnaissance d’une loi morale objective qui, en tant que « loi naturelle » inscrite dans le cœur de l’homme, est une référence normative pour la loi civile elle-même. »[4] Bien loin de porter atteinte à la liberté des politiciens catholiques, l’Église reconnaît celle-ci en confiant à chacun d’eux personnellement la responsabilité de discerner, à la lumière de leur conscience bien formée, quelles sont les meilleures façons de servir le bien commun de la société. Les hommes et les femmes politiques ont l’obligation de rendre compte de leurs décisions tout d’abord à leur conscience, puis à leurs électeurs.
Le respect de la liberté religieuse
Lors du renvoi à la Cour suprême du Canada de l’avant-projet de loi sur le mariage, on a beaucoup fait état de l’article 2 stipulant que : « La présente loi est sans effet sur la liberté des autorités religieuses de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs croyances religieuses. » Bien que l’intention sous-jacente à ce libellé soit louable, il n’en demeure pas moins que la liberté de religion est déjà garantie par la Charte des droits et libertés. Cette clause n’ajoute donc rien à ce qui existe déjà.
Les défenseurs du projet de loi répètent avec insistance que les ministres du culte n’auront pas à célébrer des mariages qui soient contraires à leurs croyances. Cette argumentation démontre une grave méconnaissance des motifs qui justifient notre participation au débat. Certes, le mariage est un des sept sacrements de l’Église et il a une profonde portée religieuse. Mais il possède aussi une signification primordiale au plan social à cause de son rôle central dans la procréation des enfants et l’éducation des générations futures. De plus, le mariage, comporte des dimensions anthropologique, personnelle, sociale et religieuse qui sont profondément enracinées dans notre histoire et notre culture.
Les évêques catholiques du Canada participent au débat actuel et invitent les laïques particulièrement celles et ceux qui sont mariés, à faire de même, non pas seulement parce qu’ils sont soucieux de la liberté des membres du clergé quant à la célébration du sacrement du mariage, mais aussi parce qu’ils croient que le mariage entre un homme et une femme est bénéfique à la société et sert le bien commun que tous les catholiques sont appelés à promouvoir.
II – Le mariage à la lumière de la foi et de la tradition catholique
Créés à l’image de Dieu
Le texte du récit de la création du monde des deux premiers chapitres de la Genèse contient, sous des formes poétiques et imagées, des vérités fondamentales sur l’humanité. On peut dégager de ce récit deux points apportant un éclairage précieux sur l’état conjugal. Premièrement, Dieu donne aux êtres humains la liberté, la fécondité, le pouvoir et la gérance de la terre et de tout ce qu’elle contient. Deuxièmement : les êtres humains sont créés à l’image de Dieu. « Dieu créa l’homme (humanité) à son image; à l’image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa. (Gn 1, 27) La dignité, le sens et la vie de l’être humain se comprennent à partir de ces données originelles.
L’image de Dieu se réalise à la fois sous un aspect personnel et sous un aspect conjugal. En Genèse 1, 31, cette image de Dieu est le sommet de la création qui parvient à sa plénitude : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon. » Le couple est à l’image et à la ressemblance de Dieu non seulement par sa nature, mais également en raison de son pouvoir de perpétuer la vie par la procréation.
Le sacrement de mariage
Aux yeux de l’Église catholique, le mariage revêt une importance capitale parce qu’il a été élevé par le Christ à la dignité de sacrement. « Même si l’amour de l’homme et de la femme reste marqué par l’imperfection, il est toujours appelé à manifester concrètement ce que Jésus révèle en plénitude : l’amour irrévocable de Dieu qui se lie pour toujours à notre humanité… . Les personnes mariées participent à ce mystère. Ils en deviennent des signes vivants. »[5] C’est ainsi que le sacrement de mariage signifie l’union du Christ et de l’Église. (Éphésiens 5, 31-32) Il est l’icône de l’amour de Dieu, de la dignité et de la grandeur humaine. L’image qui se retrouve au sommet de la création se reflète dans la richesse des dimensions masculine et féminine du couple hétérosexuel. Le fait que les êtres humains soient créés femme et homme, à l’image de Dieu, et le fait qu’un pouvoir procréateur résulte de leur union sont deux aspects fondamentaux du mariage.
Cette cellule sociale et conjugale, par l’amour qui la constitue, par sa possibilité inhérente d’avoir des enfants et par la responsabilité qui lui incombe de leur prodiguer des soins à travers l’engagement de la mère et du père, contribue à enrichir la société et en est même la clé de voûte. Pour les chrétiens, le mariage est une nouvelle page de l’ “histoire sainte” commencée au baptême. L’histoire du salut connaît un nouveau développement quand le couple, formant une communauté de vie et d’amour devient un signe de l’amour du Christ pour son Église. Le lien conjugal est vécu comme une alliance, un engagement inconditionnel entre deux personnes qui engage aussi la communauté humaine.
Des problèmes à l’horizon
Pour la première fois de son histoire, le Canada se voit confronté à une proposition qui admet la coexistence de deux définitions contradictoires du mariage : l’une qui serait valable dans la sphère civile, l’autre dans la sphère religieuse, du moins pour la plupart des groupes confessionnels. Ces deux définitions sont intrinsèquement contradictoires. Il nous faut, comme société, prendre le temps de réfléchir très sérieusement avant d’emprunter une voie mal balisée et parsemée d’embûches.
Conclusion – Le mariage : unique perspective viable
Le mariage entre un homme et une femme n’est pas simplement une association ou un modèle institutionnel parmi tant d’autres. Il est l’institution sur laquelle est fondée la société. La relation créée par un mariage entre une femme et un homme est une réalité fondamentalement humaine, la cellule de base de notre corps social.
Le mariage doit être préservé comme une institution unissant deux personnes de sexes opposés. Il doit être protégé pour assurer le bien commun de la société. Tout comme de nombreux autres Canadiens et Canadiennes, nous, évêques catholiques, demandons instamment à l’État de protéger et de soutenir le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, conformément à la nature de cette institution, en tenant compte de sa spécificité et de son rôle comme fondement de l’institution familiale. Nous rejetons le nivellement par l’État des rapports personnels étroits entre adultes allant jusqu’à faire disparaître au plan juridique l’institution du mariage, selon la compréhension commune qui prévaut dans toutes les sociétés humaines depuis des temps immémoriaux. Compte tenu des contributions manifestes de l’institution matrimoniale à la stabilité de la famille et à l’avenir de la société, le législateur a le devoir de préserver la distinction entre le mariage et les autres formes d’union entre deux personnes.
Les évêques catholiques du Canada demandent que demeure intacte la définition du mariage [6] : « l’union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne. » Nous demandons à toutes celles et ceux qui croient qu’un mariage est l’union légitime entre une femme et un homme à l’exclusion de toute autre personne, d’assumer leurs responsabilités de citoyennes et de citoyens en proclamant haut et fort leurs convictions, en exprimant clairement aux responsables politiques, dans la charité et dans le respect des personnes, leur ferme opposition face à toute redéfinition du mariage qui inclurait les partenaires de même sexe. Un tel changement, nous en sommes convaincus, aurait de sérieuses conséquences sur la nature même de notre société.
Le 10 septembre 2003
+Jacques Berthelet, C.S.V.
Évêque de Saint-Jean-Longueuil
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
De concert avec les autres membres du Conseil permanent de la Conférence des évêques catholiques du Canada
– Mgr Brendan O’Brien, archevêque de St. John’s, vice-président
– Mgr André Gaumond, archevêque de Sherbrooke, co-trésorier
– Mgr Anthony F. Tonnos, évêque de Hamilton, co-trésorier
– M. le cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque de Montréal
– M. le cardinal Aloysius M. Ambrozic, archevêque de Toronto
– Mgr Marc Ouellet, archevêque de Québec et primat du Canada
– Mgr Michael Bzdel, C.Ss.R., archevêque éparchial des ukrainiens de Winnipeg
– Mgr Roger Ébacher, archevêque de Gatineau-Hull
– Mgr Terrence Prendergast, S.J., archevêque de Halifax et administrateur apostolique de Yarmouth
– Mgr Thomas Collins, archevêque d’Edmonton
– Mgr V. James Weisgerber, archevêque de Winnipeg
– Mgr Frederick B. Henry, évêque de Calgary
– Mgr Clément Fecteau, évêque de Sainte-Anne-de-la-Pocatière
– Mgr Paul Marchand, S.M.M., évêque de Timmins
– Mgr Paul-André Durocher, évêque d’Alexandria-Cornwall
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[1] Cardinal Francis George, O.M.I., archevêque de Chicago, Lettre pastorale à l’occasion de la Pentecôte 2001.
[2] Les données du Recensement 2001 montrent que des 8,4 millions de familles au Canada, 5,9 millions (70%) sont constituées par des couples mariés; 1,3 million (16%) le sont par des parents seuls; 1,2 million (14%) par des partenaires en unions de fait et 34 200 (0,5%) sont des partenaires de même sexe. Le Recensement démontre également que 68% des enfants âgés entre 0 et 14 ans habitent avec leurs parents mariés, 13% d’entre eux vivent avec des parents en union de fait pendant que 19% ne vivent pas avec leurs deux parents : Extrait d’une fiche informative de l’Organisme catholique pour la vie et la famille, 25 mars 2003 – Statistique Canada « Profil des familles et des ménages canadiens : la diversification se poursuit », 22 octobre 2002. De plus, la « proportion des familles de couples mariés était de 70% en 2001… Malgré tout, bien que les jeunes femmes et les jeunes hommes canadiens soient plus susceptibles de commencer leur vie conjugale par une union libre… la plupart se marieront un jour (environ 75%) si les tendances observées en 2001 se maintiennent » : Statistique Canada, Série analytique du Recensement 2001 – Profil des familles et ménages canadiens : la diversification se poursuit, 22 octobre 2002, p. 3.
[3] M. le Juge Ian Pitfield, dans une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, en octobre 2001, s’exprimait ainsi face à cette dimension sociale du mariage.
[4] Pape Jean-Paul II, Lettre encyclique Evangelium Vitae, 1995, no 70
[5] Document de travail inter-diocésain, Assemblée des évêques du Québec, 2000, p. 4.
[6] Le 9 juin 1999, la Chambre des Communes s’est clairement prononcée, par un vote de 216 voix contre 55 ainsi : « Que de l’avis de la Chambre, il est nécessaire, parallèlement au débat public entourant les récentes décisions judiciaires, de confirmer que le mariage est et doit demeurer exclusivement l’union d’un homme et d’une femme, et que le Parlement prendra toutes les mesures voulues, dans les limites de sa compétence, pour préserver au Canada cette définition du mariage. » Depuis cette époque, le Parlement du Canada a confirmé cette définition du mariage comme l’union légale d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre dans les lois suivantes : en 1999, Statuts du Canada, chapitre 34 – Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public; en 2000, Projet de loi C-23 – Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations et que selon le ministère de la Justice qui a apporté cette modification pour « confirmer l’engagement du gouvernement du Canada envers l’institution du mariage en réaffirmant que rien dans le projet de loi C-23 ne change le sens de mariage, qui demeure ‘l’union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne’ »; en 2001, Projet de loi S-4 – Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil.