Je n’ai jamais rencontré dans la Bible une prière qui demande ce que nous appelons « le beau temps », cette brise légère et parfumée que le Créateur humait avec délices, le soir tombant, au jardin de la Genèse. Ou encore, ces premières heures du jour, quand le soleil entame sa course dans la douce fraîcheur de l’aube. La pesanteur et l’air chaud de midi viendront bien assez tôt pour ces trois voyageurs exténués qui s’écrasent sous le feuillage d’un chêne, tandis que Sara recluse dans sa tente s’apprête à les rafraîchir et les restaurer.
Non, les pays biblique ne manquent pas de soleil, mais souffrent de la soif. On ne prie pas pour la fin des inondations, mais pour que la pluie revienne et fasse reverdir les pâturages et grandir le blé en herbe. Les hommes de la Bible vivent sur des terres arides, semblables à ces lèvres sèches, dont parle un psaume, incapables d’articuler le moindre son, même le nom de Dieu, à force de l’avoir vainement invoqué. « Après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » (Psaume 62).
« Rorate caeli de super… ». Que du ciel tombe la rosée ! La pluie est le don suprême du Créateur. Il ne la refuse pas aux « méchants » si je suis attentif à la parole de Jésus (Matthieu 5,45), mais, à lire le premier Testament, il la réserve surtout aux repentis, comme signe de sa grâce. Ainsi, les Ninivites échappent-ils au pire, tandis que Jonas déprime sous son ricin desséché par le souffle brûlant de midi (Jonas 4). Quant au prophète Elie, il est passé maître à déclencher sur l’ordre divin la pluie ou la sécheresse. Il ne pleut plus sur les terres d’Achab et de Jézabel jusqu’au jour où les eaux du ciel dévalent à flots les pentes du Mont Carmel (I Rois,17-18).
La sècheresse du sol, mystérieusement arbitrée par le Créateur, est redoutée en terre biblique parce qu’elle débouche sur un fléau plus redoutable encore : la famine, plus hideuse que la banqueroute que dénonçait à l’Assemblée Nationale l’orateur révolutionnaire Mirabeau.
Associée à la guerre et à la peste, nos litanies chrétiennes supplient le Seigneur de nous en épargner. « A peste, fame et bello, libera nos Domine ! » Les sept années de vaches maigres dont souffrit l’Egypte impressionnent encore David, cruellement forcé de choisir un des trois châtiments divins (Chroniques 1, 21 ). D’instinct, le roi opte pour la peste qui lui paraît moins meurtrière que la guerre et la famine.
La famine est aussi symbolisée dans l’Apocalypse par « un cheval noir » et « celui qui le montait tenait à la main une balance et j’entendis comme une voix (…) qui disait : un litre de blé pour un denier, trois litres d’orge pour un denier ! Quant à l’huile et au vin, ne les gâchez pas ! » (Apocalypse 6, 5-6). Il est obvie de remarquer dans ce passage les signes prémonitoires de la famine : renchérissement des denrées alimentaires de base, parcimonie et pénurie de celles qui sont moins indispensables.
A lire ces dernières lignes, je crois entendre les medias de notre époque. Sans trop s’attarder à décrire les affres de la famine, ils prédisent ce qui l’annonce et s’interrogent sur ses causes, tout en en disculpant Dieu d’en être l’auteur. Les humains suffisent amplement à donner les raisons de ce fléau.
Cependant, j’ai l’impression que nos journalistes et politiciens occidentaux oublient tous les siècles qui les ont précédés et ignorent les pays du sud ou d’orient où le « cheval noir » de l’Apocalypse piétine de plus belle les « forçats de la faim ». Ils se contentent de nous exhorter à remplir à ras nos congélateurs en vue de parer à une disette toujours possible. Leurs connaissances sont courtes elles aussi. N’ont-ils jamais entendu que dans le Rwanda précolonial qui ignorait les subtilités de notre calendrier, les famines et les disettes – elles avaient leur nom propre – servaient à dater les naissances et les événements sociaux marquants. L’histoire de ce pays s’écrivait à travers le prisme de ses famines.
Mais ce qui était alors commun dans l’Afrique d’autrefois redevient banal dans plusieurs pays et contrées de ce continent. Face à ce phénomène inquiétant, devons-nous mettre en place une prophylaxie à deux vitesses ? Comme nous l’avons déjà fait pour lutter contre la pandémie. A savoir, une charité bien ordonnée qui prend d’abord soin de nous-mêmes. Quant aux « autres », s’ils survivent, ils pourraient bien déferler à travers nos frontières comme des meutes de chiens ou de loups affamés et faire un sort à nos réserves. A moins que…
Une fois de plus notre conscience chrétienne nous interpelle. La canicule pourrait être une bonne conseillère.
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• La famine Kiramwaramwara de 1905-1906 (exemples n° e et f)
• 2. — La disette Kazuba de 1911 (exemple n° g)
• 3. — La disette Gakwege de 1925 (exemple n° j)
• 4. — La famine Ruzagayura de 1943-1944 (exemple n° m)