Voici peu me parvenait la triste nouvelle du décès du frère dominicain Marius Dion. Contraint par sa santé de regagner son Québec natal après quelques cinquante années de vie missionnaire au Rwanda, un pays situé au cœur de l’Afrique, devenu sa terre d’adoption. Son départ ravive le souvenir d’événements qui marquèrent profondément ma vie. Ce fut en effet Marius qui m’accueillit au Rwanda en 1970 et ne cessa pas d’être mon compagnon de route jusqu’à mon retour en Suisse en 1989. Je ne mentionnerai ici que deux moments où nous fûmes l’un et l’autre intimement liés et engagés. Les témoignages diffusés lors de ses funérailles ont fait plus ample mémoire de sa personne. On peut s’y référer.
C’était donc à Butare, dans le sud du pays, une nuit de février 1973. Les frères dominicains canadiens auxquels des Suisses prêtaient main forte avaient mis sur pied l’université nationale du Rwanda. Une institution fragile que vint déstabiliser cette nuit-là un pogrom, heureusement non sanglant, qui dispersa en quelques heures les étudiants, les cadres administratifs et pédagogiques qui bien que rwandais étaient identifiés à une ethnie alors discriminée. Ces malheureux trouvèrent refuge dans des forêts voisines ou dans des maisons religieuses dont notre couvent dominicain. Marius était alors secrétaire général de cette université, j’en étais l’aumônier. Des nuits durant, nous avons tenté de conduire jeunes et familles hors du pays à la recherche d’un lieu sûr. Au volant de camionnettes bâchées, nous amenions aux frontières nos protégés par des pistes improbables, à la merci d’assaillants et de pillards cachés dans les taillis et les sous-bois. Cette expérience humaine nous a soudés et préparait un engagement commun plus conséquent.
Il devait survenir un an plus tard. Suite aux « événements » de 1973 auxquels je viens de faire allusion, nos supérieurs décidèrent de mettre un terme à la présence dominicaine canadienne au Rwanda et de ramener au pays ses missionnaires. Nous fûmes trois à vouloir y demeurer. Le frère Yvon s’adjoignit à Marius et à moi-même pour élaborer un nouveau projet d’implantation. Rien de fastueux et de prestigieux cette fois-ci, mais hors de l’université, dans un quartier populaire démuni de Kigali, la capitale du pays, là où aucun « blanc » n’avait encore élu domicile. Une présence et des activités qui devaient être définies au jour le jour avec nos voisins dont un bon nombre étaient musulmans. Ce fut une conversion à 180 degrés pour les universitaires et intellos que nous étions.
Marius y prit sa part à bras-le-corps. L’ancien professeur de philosophie devint « alphabétiseur », auteur d’une méthode reconnue dans tout le pays. Toujours disponible et à l’écoute, les gens du quartier l’avaient surnommé « Selimani ». Salomon en arabe, un juste bienveillant qui ne se laisse pas impressionner par les apparences.
J’avais déjà quitté le Rwanda quand, au printemps 1994 avec un frère suisse Marius donna la plus haute preuve de son attachement au Rwanda. Il refusa d’abandonner nos frères rwandais, alors que sévissaient massacres et génocide. Je me souviens de ces « petites fleurs de résurrection » qu’il avait cueillies après le drame dans le jardin dévasté de son couvent et qu’il me fit parvenir à Genève. Elles furent pour moi symbole d’espoir et germe de résurrection.
Merci Marius !