Non, mon pays ce n’est pas l’hiver, comme le chantait Gilles Vigneault, mais « la relation ». Une expression qui sert de titre à un merveilleux petit livre de Véronique Lang, paru ces derniers mois aux éditions Médiaspaul de Montréal.
Il est vrai que Véronique, née à Genève, a passé plusieurs années au Québec. Elle se forma dans un centre ignatien à l’accompagnement spirituel, avant d’exercer cet art au Canada. Retournée dans son pays, la voici « aumônière », si ce mot a du sens pour elle, dans trois maisons de retraite sises dans la région lémanique de sa terre natale.
Son petit livre, que je n’hésite pas à qualifier de chef d’œuvre, écrit avec finesse et élégance, rend compte au fil des jours des activités de Véronique et de la joie qu’elle éprouve à rencontrer des personnes dont les facultés cognitives ralentissent ou sont en voie d’extinction. A force de patience, d‘attention, de délicatesse et de respect, mais aussi de tendresse et d’amour, Véronique explore un continent immergé, très différent de celui où s’agitent des humains avides de rentabilité immédiate et efficace. Au contraire, le monde que fréquente Véronique n’est utile à rien, si ce n’est à aggraver la facture sociale. Mais il n’est pas moins riche pour autant et dispose de ses propres repères qui relèvent de l’émotion et non plus de la raison raisonnante. De ce monde mystérieux, enfoui comme l’Atlantide, Véronique donne l’impression d’en détenir la clef.
Parmi tant de sujets qui pourraient faire l’objet d’un échange avec l’accompagnante, il y a cette question : mandatée par une Eglise dans une maison de retraite, lui arrive-t-il d’évoquer avec les pensionnaires l’existence ou la présence de Dieu ? Véronique ne se dérobe pas. Elle aborde ce sujet avec délicatesse et respect, tout en s’interdisant de « récupérer » ses interlocuteurs. Son cahier de charges prévoit des célébrations qu’elle doit animer revêtue d’une aube blanche réglementaire, alors qu’elle se défend d’être pasteure ou « prêtresse ». Quant aux sacrements, le seul qu’elle puisse conférer – pour l’instant – est celui de sa présence, bien réelle elle aussi.
Avant que le livre de Véronique me tombe dans les mains, j’avais sur mon bureau « Les fossoyeurs », un ouvrage du journaliste d’investigation Victor Castanet qui défraya la chronique. Après une longue enquête en maisons de retraite françaises, notre journaliste révèle et dénonce l’exploitation et la maltraitance dont sont victimes des pensionnaires de ces établissements. Malgré la générosité, le dévouement et le courage de plusieurs membres de leur personnel. Le tableau est sombre. Me revient en mémoire ce verset psalmique qui parle de « troupeau parqué pour les enfers que la mort mène paître ».
La lecture du livre de Véronique m’apporta le contre-point à cette désolante révélation. Non seulement l’accompagnatrice fait renaître la joie chez ceux et celles qui paraissent l’avoir perdue, mais elle-même ressuscite à leur contact.