Les récits fantaisistes sont légion au cinéma. Dans ce créneau, deux productions récentes sont à signaler. D’abord, le Québécois Francis Leclerc réussit son pari de porter à l’écran le conte de L’ARRACHEUSE DE TEMPS de l’artiste polyvalent Fred Pellerin. Pour sa part dans ALINE, la Française Valérie Lemercier présente la belle histoire d’une icône de la chanson, librement inspirée du parcours de Céline Dion.
L’ARRACHEUSE DE TEMPS
Après Luc Picard (BABINE et ÉSIMÉSAC), c’est au tour de Francis Leclerc de porter à l’écran l’univers folklorique du conteur Fred Pellerin. L’approche et le ton, sont différents. Moins gothique dans le traitement et moins débridé dans le langage, L’ARRACHEUSE DE TEMPS apparaît cependant plus cohérent dans ses intentions et achevé dans sa forme. La proposition de Leclerc, qu’à cela ne tienne, est fort belle.
Vieille dame usée par la maladie, Bernadette raconte à son petit-fils Fred une légende dont elle a vu la naissance, dans son village de Saint-Élie-de-Caxton, alors qu’elle était adolescente. Un soir sans orage, Bernadette a vu la foudre fendre en deux le pommier devant l’église, libérant la silhouette fantomatique de l’arracheuse de temps.
Alors que les notables et le curé Neuf se disputaient les fruits noirs cueillis sur l’arbre abattu, la Stroop, mystérieuse occupante d’un manoir isolé, est soudainement apparue au village, faisant main basse sur la provision qu’elle savait funeste. Or, l’un des nombreux fils de Madame Gélinas avait eu le temps de mordre dans une des pommes, tout comme la belle Lurette, meilleure amie de Bernadette et fille du forgeron.
Le réalisateur de MÉMOIRES VIVES et de PIEDS NUS DANS L’AUBE nous entraîne au carrefour du réalisme rural et de la fantaisie naïve, pour évoquer à hauteur d’enfant des thèmes universels tels que la peur de l’autre, la duplicité, l’ignorance, et bien sûr la mort, l’arracheuse du titre étant cousine de la Grande Faucheuse. L’intrigue tient en haleine par intermittence et les scènes au présent manquent d’éclat. Mais l’imagination mise à l’œuvre dans les flashbacks (qui occupent environ 80 % du temps-écran) et l’épatante galerie de personnages défendus par une distribution cinq étoiles, donnent à l’ensemble la valeur d’une épopée.
ALINE
Le film s’ouvre et se ferme sur la chanson « Ordinaire » de Robert Charlebois. Et c’est ce que raconte ALINE : le parcours improbable, inimaginable, d’une jeune fille « ben » ordinaire devenue une des plus grandes vedettes de l’histoire du show-business. Pour ce faire, Valérie Lemercier a opté pour un »parti-pris » aussi audacieux qu’absurde (jouer Céline Dion de 5 à 50 ans) et un traitement décalé, entre ironie et respect. Et contre toute attente, ça fonctionne!
Dernière d’une fratrie de quatorze enfants, la petite Aline Dieu grandit dans une famille modeste du Québec où la musique occupe une place importante. Très tôt, la fillette regarde avec admiration et envie ses parents et ses frères et sœurs, qui se produisent dans divers événements locaux. Et naturellement, dès qu’elle a l’âge de le faire, Aline se met à pousser la chansonnette. Avec talent.
Convaincue que sa fille a une brillante carrière devant elle, Sylvette Dieu lui écrit une chanson et envoie une cassette à Guy-Claude Kamar, célèbre agent montréalais. Celui-ci tombe immédiatement sous le charme. Persuadé d’avoir trouvé la perle rare, Kamar devient le gérant de l’adolescente au physique ingrat. La suite de l’histoire lui donnera raison.
Certes, la réalisatrice de PALAIS ROYAL n’a pas maintenu la fantaisie jusqu’au bout. En effet, passé le premier tiers, ALINE glisse progressivement vers la biopic classique, qui égrène les moments-clefs de la carrière de l’artiste. Les moyens importants investis dans la production procurent toutefois un spectacle haut en couleur, qui impressionne par l’ampleur de sa reconstitution d’époque. Dans le rôle-titre, Lemercier est stupéfiante de crédibilité, tandis que Sylvain Marcel campe un Guy-Claude Kamar/René Angelil plus vrai que vrai.
Gilles Leblanc