Dans notre histoire, les portraits de femmes amoureuses des gens et du pays à bâtir sont nombreux. Cela constitue la trame dramatique de deux magnifiques productions québécoises. D’abord dans le très couru MARIA CHAPDELAINE, le réalisateur Sébastien Pilote présente deux femmes, mère et fille, qui incarnent chacune à sa manière la place discrète mais importante qu’elles ont occupée dans la colonisation au début du 20e siècle. De son côté, Denis Boivin réussit à merveille à démontrer le rôle central que la religieuse Marie de l’Incarnation a joué au tout début de la colonie française en Amérique dans la surprenante docufiction LE SANG DU PÉLICAN.
MARIA CHAPDELAINE
Sébastien Pilote (LE VENDEUR, LE DÉMANTÈLEMENT) a tourné dans son Saguenay-Lac Saint-Jean natal cette adaptation fidèle du roman de Louis Hémon. Ainsi, contrairement aux précédentes versions dont celle de Gilles Carle, Maria et ses prétendants ont ici l’âge des personnages, soit la fin de l’adolescence.
Nord du lac Saint-Jean, début des années 1910. Fille aînée de Samuel Chapdelaine, un colon qui peine à déboiser sa ferme située à bonne distance du village, Maria est courtisée par trois hommes de caractères très différents.
Il y a d’abord François Paradis, un coureur des bois charmeur qu’elle connaît depuis l’enfance; ensuite, Eutrope Gagnon, un voisin timide qui défriche son propre lopin de terre; enfin, Lorenzo Surprenant, un employé de manufacture au Massachusetts, qui fait miroiter à la jeune fille la vie trépidante de la grande ville. Devant tant d’attentions, Marie recourt aux conseils de sa mère Laura, une femme courageuse et travaillante.
La fidélité au texte de Hémon s’étend jusque dans le traitement rugueux, miroir des conditions de vie des personnages, et la superbe photographie de Michel La Veaux, qui rend compte de la force de la nature au gré des quatre saisons. Ainsi la séquence du défrichement en groupe de la terre du père Chapdelaine est à interpréter comme un hommage vibrant au courage et à la ténacité des colonisateurs du territoire québécois.
Bien qu’elle ne rende pas toutes les nuances de la pensée muette de son personnage, la nouvelle venue Sara Montpetit campe une Maria fort attachante. Mais c’est Hélène Florent, dans le rôle-pivot de la mère, qui se révèle la plus émouvante.
LE SANG DU PÉLICAN
En écho au FOLLE DE DIEU (2008) de Jean-Daniel Lafond, ce nouveau portrait de la fondatrice du couvent des Ursulines adopte une forme hybride, entre documentaire et reconstitutions dramatiques, mais toujours en traçant des correspondances entre le passé et le présent.
D’une part, le film se présente comme une chronique historique (évocation des débuts de la colonie sous l’égide de la Compagnie des Cent Associés, conflits entre tribus amérindiennes, incendie et reconstruction du couvent, bouleversements provoqués par l’avènement du régime royal en Nouvelle-France, etc.) D’autre part, comme un adieu mélancolique à une institution essentielle dans la naissance de la ville de Québec.
Sœur Angelina apprend la fermeture du monastère des Ursulines à Québec et, par conséquent, le prochain déménagement de sa congrégation dans une nouvelle résidence. Pour la consoler, Marie de l’Incarnation lui apparaît. Originaire de Tours en France, cette religieuse mystique a fondé en 1639 l’École des Ursulines de Québec, vouée notamment à l’éducation des petites filles des communautés autochtones des alentours.
Parallèlement à ces rappels historiques et à ces situations tragiques, la comédienne qui incarne Marie de l’Incarnation recueille les témoignages et anecdotes des sœurs Ursulines, avant leur départ pour leur nouveau domicile.
Riche et bien documenté, le scénario plaide avec conviction en faveur de la survie des langues et des cultures des Premières Nations. La réalisation de Denis Boivin (LE PARDON) est visuellement soignée, mais manque parfois de naturel dans les passages fictionnels. Dans son personnage, Karen Elkin est vibrante, et dans sa façon de recueillir les témoignages des attachantes sœurs, elle fait preuve d’une belle empathie.
Gilles Leblanc