La mort du Père Olivier Maire sous les coups d’un requérant d’asile déséquilibré qu’il avait accueilli dans sa communauté a défrayé la chronique religieuse de l’été. Bien au-delà de l’Hexagone. Des obsèques solennelles, des déclarations officielles émanant des plus hauts gradés de la hiérarchie religieuse et civile ont fait de ce prêtre « un martyr de la charité ».
J’ignore les circonstances précises de ce meurtre, les motivations qui ont conduit le meurtrier à le commettre et plus encore l’origine du trouble mental dont il serait atteint. Loin de moi de mettre en doute la générosité du Père Olivier dont on fait partout l’éloge.
Toutefois, ce drame suscite une nouvelle fois la question de l’identité du prêtre, ce personnage complexe qui obéit à des impératifs qui l’entraînent à poser des actes au-delà de toute prudence humaine. Un récent reportage sur la santé des prêtres, jeunes ou âgés, me donne à réfléchir. Les résultats de l’enquête sur ce sujet dépassent le cadre de ses données limité aux prêtres diocésains français. Les leçons qu’on peut en tirer sont universelles.
Tout d’abord, le prêtre n’est pas un ombudsman ecclésiastique apte à recevoir toutes les plaintes et à régler tous les problèmes. Non, il n’est pas « un autre Christ » appelé à sauver le monde. Le Christ l’a fait avant lui et ne cessera de le faire après lui. De ce Christ il n’est qu’un « serviteur quelconque » assigné à une fonction particulière au sein d’une communauté, celle d’« animateur ». Autrement dit, inspirateur et rassembleur. J’ai retenu cette réponse admirable d’un vieux curé de chez moi à qui l’on demandait à quoi il avait bien pu servir au cours de sa longue vie. « Je n’ai été qu’un lien », répondait-il. Un lien entre les autres ministres, clercs ou laïcs, hommes ou femmes, engagés comme lui dans la paroisse, mais aussi entre les paroissiens et le Christ, l’unique maître de la bergerie.
Cette mission essentielle aux multiples facettes pas toujours très bien définies limite le champ de ses interventions. Le sacrement de l’ordre ne fait pas du prêtre un psychiatre freudien ou jungien, pas plus qu’il ne lui infuse le savoir d’un expert-comptable, d’un architecte, d’un régisseur ou le transforme en agent social ou humanitaire au service des cas désespérés. Il doit apprendre à dire « non » à des sollicitations qui outrepassent ses compétences et nuisent à sa fonction première.
En un mot comme en mille, le prêtre ne devrait pas être isolé, sans communauté. Disponible bien sûr à tous les appels, mais sachant les déléguer à qui de droit quand il ne peut y répondre. Sa générosité ne lui impose pas d’être téméraire.
Par-dessus tout, que le prêtre soit heureux dans son ministère. Condition essentielle pour que ceux qui l’approchent le soient aussi.
Et le martyre alors ? L’exposition volontaire de sa propre vie dans des cas exceptionnels peut assurément survenir, bien que rarement. Car « Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces ». (I Corinthiens 10,13). Les « vrais » martyrs ne se précipitent pas tête baissée dans la fournaise. Ils y vont en connaissance de cause, après avoir prié et réfléchi. En voici un exemple récent et émouvant.
Trois mois avant sa mort, Christian de Chergé, moine de Tibhirine assassiné avec ses frères en 1966 écrivait dans son Testament :
« C’est trop cher payer ce qu’on appellera, peut-être. la grâce du martyre que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dut agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je ne vois pas comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. »
De quoi nous faire réfléchir nous aussi.