Profitons de l’été pour faire connaissance avec le frère Marie Jean Joseph Lataste (1832-1869), béatifié en 2012. Il a consacré sa courte vie aux femmes vivant dans les prisons françaises au 19e siècle et après leur sortie de prison. Pour ce faire, il a fondé une communauté religieuse, Dominicaines de l’ordre de Béthanie, afin de permettre à ces femmes, marquées par une vie difficile et un très pénible séjour en prison, qui le désiraient, de consacrer leur vie à Dieu. L’information ci-dessous est tirée du site consacré à sa béatification, lataste2012.org. Il y a également un vidéo sur youtube : Vie du père Lataste – YouTube durant un peu moins de 5 minutes.
L’apôtre des prisons
Tout commence dans une prison de femmes en septembre 1864 à Cadillac en Gironde. Tout jeune dominicain, ordonné prêtre à Marseille le 8 février 1863 et assigné au couvent de Bordeaux, Le frère LATASTE est envoyé prêcher une retraite à 400 femmes condamnées au silence absolu dans cette centrale qu’il connait bien ; Alcide Lataste est né dans cette bourgade le 5 septembre 1832, dernier des 7 enfants de Vital et Jeanne Grassiet. Comme prédicateur, Il franchit le seuil de cet établissement pénitencier avec appréhension.
Les détenues travaillent en silence toute la journée. Pour suivre la retraite, elle rognent sur leur temps de repos, se lèvent à 4 heures du matin et se couchent deux heures plus tard qu’à l’ordinaire. Le Père leur propose une nuit d’adoration : il imagine un tour de présence de deux ou trois détenues se relayant devant le Saint Sacrement. Elles seront 400 à passer la nuit en adoration dans cette chapelle qui devient pour le Père LATASTE le lieu d’une révélation déterminante pour lui : « j’ai vu cette prison, objet de tristesse et d’effroi pour les hommes transformée cette nuit en un lieu de délices, en un séjour de gloire et de bonheur ».
Saisi par la foi de certaines de ses recluses à la très mauvaise réputation, s’impose à lui le projet de leur offrir une famille religieuse : « Quelque soit votre passé, ne vous considérez plus comme des prisonnières mais comme des âmes vouées à Dieu, vous aussi. A la suite des âmes religieuses, dites à Dieu : les hommes me retiennent ici de force, je me donne à vous de plein gré, pendant dix, pendant vingt ans ; Je veux être uniquement à vous, je veux être à vous pour la vie ».
A leur sortie de prison, après avoir purgé leur peine, Marie Jean Joseph propose à celles qui le désirent de vivre leur idéal de consécration à Dieu, dans un même couvent que des religieuses vierges, sous le même genre d’habit, celui de ST Dominique, afin que rien ne distingue jamais les unes des autres, qu’elles s’accueillent mutuellement et avec miséricorde comme sœurs sans tenir compte du passé, sans jugement, dans la discrétion : un projet courageux et audacieux pour l’époque qui prend corps en 1866 avec la collaboration d’une religieuse de la Présentation de Tours, Sœur Henri-Dominique ( 1822-1907). Le Père Lataste reçoit une maison adaptée à son œuvre à Frasne le Château : c’est ainsi que sa fondation prend racine chez nous avant d’étendre ses ramifications en Italie, Suisse, Allemagne, Pays bas, États-Unis dans la prison de Norfolk, Massachusetts, où une fraternité laïque Notre Dame de Miséricorde est née dans le couloir de la mort de ce pénitencier. (Père François Boiteux, Tiré des magazines du doyenné du Haut-Doubs Forestier, décembre 2011)
PRENDRE LE TEMPS… DE PARDONNER, par le Bx. Marie Jean Joseph Lataste, o.p.
«Mais le Prophète appelle l’Eucharistie une manne mystérieuse et cachée, pourquoi cela ? C’est qu’en effet, dans celles qui s’en nourrissent avec amour, elle produit des biens cachés, des transformations mystérieuses, admirables, que le monde ne soupçonne même pas.
Je l’avoue, au premier abord, dès que l’on entre dans cette maison on se sent saisi au cœur d’un double sentiment de tristesse : d’un sentiment de répulsion d’abord, puis d’un sentiment de profonde pitié. De répulsion, en songeant que parmi tant de personnes de tous âges, de toute condition, de tout pays réunies ici, il n’en est pas une qui n’ait été jugée criminelle — d’un sentiment profond de pitié aussi à la pensée que toutes, quoique si jeunes pour la plupart, sont privées pour de longues et longues années, pour la vie peut-être, de toutes les joies du monde même les plus innocentes et les plus légitimes.
Et cependant, c’est là l’admirable effet de cette manne cachée, c’est qu’aux yeux des anges et aux yeux de Dieu, celles qui s’en nourrissent avec amour sont tout le contraire de ce qu’on les suppose :
— On les croit coupables — Il n’en est rien. Elles le furent, il est vrai, mais depuis longtemps elles ont cessé de l’être ; et si un jour elles ont failli, depuis longtemps déjà elles ont reconquis dans les larmes et dans l’amour de Dieu une seconde innocence. Elles furent coupables, c’est vrai ! mais quelle est donc l’âme qui n’a jamais eu rien à se reprocher, et parmi celles qui sont toujours restées pures, quelle est celle qui à un moment donné n’a pas senti que si la main de Dieu ne l’avait fermement soutenue, elle était tout près de faillir, à deux doigts de sa perte. Que celui qui est debout prenne garde de ne pas tomber dit l’apôtre S. Paul (1Co. 10, 12) , et S. Jean ajoute : Si quelqu’un se dit sans péché, il est un menteur et il s’en impose à lui-même (1 Jn. 1, 8) . Oui, elles furent coupables mais Dieu ne nous demande pas ce que nous fûmes, il n’est touché que de ce que nous sommes. Il n’est rien d’avoir été pure et vertueuse si on ne l’est plus ; il n’est rien d’avoir été coupable si l’on a reconquis sa vertu. Pensez-vous qu’en enfer Judas soit moins puni pour avoir été du nombre des Apôtres ? Pensez-vous qu’au ciel S. Augustin soit moins près de Dieu, pour avoir péché dans sa jeunesse, ou Madeleine moins aimée pour avoir tant failli ? Non, non, je vous l’ai déjà dit et je le répète. Que celles qui sont restées pures par la grâce de Dieu prennent garde, je ne dis pas seulement de ne pas faillir, mais je dis même qu’elles prennent garde de ne pas se laisser devancer, car le prix de la course et la palme de la victoire ne sont pas pour celui qui n’est jamais tombé, mais pour celui qui a couru le plus loin.
[…] On vous croit coupables, et si vous êtes revenues à Dieu, si vous vous appliquez à le dédommager par votre amour aujourd’hui, de vos infidélités passées, si vous allez de temps en temps puiser dans la réception de l’Eucharistie, dans des communions spirituelles, dans vos visites au Saint Sacrement, dans votre union de cœur au Saint Sacrifice de la Messe, au lieu de ce qu’on vous suppose, vous pouvez être des âmes vraiment pures, vraiment saintes, vraiment agréables à Dieu. C’est ainsi que l’Eucharistie est vraiment une manne cachée. » (Sermon n°96, deuxième rédaction, septième sermon de la première retraite aux prisonnières de la Maison de force de Cadillac, septembre 1864, in Sermons, vol. 2 et Prêcheur de la miséricorde, textes présentés par le fr. Jean-Marie Gueulette, O.P. , éd. Cerf / Fates, Paris, 1992, p. 146-148).
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