Archipel ! Chapelet d’ilots proches ou lointains, séparés par des bras d’océan. C’est en usant de cette image maritime qu’un ami décrivait récemment le catholicisme nord-américain. Une dizaine familles par îlot, ou même une seule, séparées les unes des autres par une mer hostile ou indifférente. Des catholiques fidèles à la messe, aux pratiques de piété traditionnelle et à la lettre du catéchisme. Les enfants grandissent près d’un foyer paroissial ou d’une communauté religieuse, étudient dans des institutions labellisées catholiques et fréquentent des groupes de jeunes qui affichent le même sigle et arborent le même drapeau. Il arrive que certains de ces jeunes s’affranchissent ou se rebellent. Mais il arrive aussi, dans le meilleur des cas, que d’aucuns parviennent à authentifier leur foi par une adhésion personnelle, libérée du contrôle social, familial ou ecclésial.
Je ne suis pas américain pour vérifier ces propos. Je les trouve tout de même pertinents. Car ce qu’ils décrivent pourrait bien concerner aussi le continent qui m‘a vu naître.
A vrai dire, ce ne sont pas ces quelques ilots qui me posent question, mais la mer qui les entoure. Elle aurait donc englouti la masse de mes coreligionnaires. La polémique suscitée de nos jours par les directives sanitaires étatiques qui réduisent à quasi rien l’espace toléré aux cultes chrétiens en dit long sur la perte de visibilité des Eglises de nos pays et l’absence de considération publique à leur endroit. Un diagnostic établi par des professeurs d’éthique de nos diverses Facultés de Théologie de Suisse romande est très explicite à ce sujet : « On n’attend plus rien des Eglises aujourd’hui, on ne leur tend plus le micro, mais elles-mêmes n’osent plus parler de la mort, de l’âme et du monde à venir ». (cf. La Tribune de Genève du 14 novembre dernier). Alors, à quoi bon les ménager ? Elles ne servent à rien dans la lutte contre la pandémie ?
Certaines institutions ecclésiales méritent ce désaveu. Mais que dire des chrétiens et des chrétiennes enfouis dans cet océan ? Ils ne sont pas tous en train de se noyer, passagers d’une épave en perdition. Beaucoup ont enfilé une tenue de scaphandre ou se comportent en sous-marins, blindés par leur foi. C’est ainsi que je me représente Jésus dans la « Galilée des Nations », non pas recroquevillé dans une forteresse, mais faisant luire la lumière au cœur de la nuit, parmi ceux qui gisent à l’ombre de la mort.
Bien sûr, je souhaite que tous ces catholiques « anonymes » puissent se retrouver un jour pour se conforter, unir leurs forces et surtout raviver les convictions qui les animent. Ils ne le feront pas nécessairement dans une église de pierre, de bêton ou de bronze. Ni même en passant sous les fourches caudines d’un droit canon devenu pour une bonne part anachronique. Pour l’instant, ces hommes et ces femmes sont « le sel de la terre » et la pincée de levain dans la pâte d’un monde où bien et mal se côtoient et se confondent. Ou encore, comme la semence qui croît jour et nuit sans que l’on ne sache comment, à l’insu des regards sceptiques et malveillants.