Missionnaire ! Un titre de gloire dans mon enfance, séduite par l’épopée de ces hommes et de ces femmes qui couraient le monde, souvent au risque de leur vie, pour répondre à l’appel du Christ : « Allez, de toutes les nations faites des disciples ! » ( Matthieu 28,19).
Dans les décennies qui suivirent la décolonisation, ce titre a perdu son aura. La mission n’est plus honorée, elle est même décriée. Anachronique en tous les cas, puisque les missionnaires, natifs ou originaires de nos régions, ont disparu.
Je n’ai pas l’intention d’établir ici le bilan de cette entreprise ecclésiale, sublime ou odieuse selon le discours contrasté de nos contemporains, ni d’en relever les avatars au cours de sa longue histoire. Je constate simplement que désormais mon pays et ceux qui l’entourent – et cela doit valoir aussi pour le Québec – sont devenus eux-mêmes des champs, non pas à moissonner, mais à ensemencer. Reste à savoir par qui et, surtout, comment.
Pour venir au secours d’un Occident manifestement déchristianisé, on a voulu d‘abord courir au plus pressé : importer d’Afrique ou d’Asie des prêtres chargés de remplir les cases vides des échiquiers de nos diocèses. Ce qui n’aurait dû être qu’un service de suppléance momentané tend à devenir une fonction permanente. Un clergé généreux sans aucun doute, mais dont la mission – temporaire – n’était pas de faire surgir de nouvelles vocations de prêtres au sein d’un peuple qui en avait perdu le goût et même le souvenir. On lui demandait avant tout de maintenir un système clérical en voie d’extinction. De plus, il n’est pas certain que cet apport extérieur ne s’épuise lui-même à son tour. Alors que faire pour répondre à l’appel missionnaire qui ne cesse de nous parvenir ?
En 1943, au cours de la deuxième guerre mondiale, les Abbés Godin et Daniel poussèrent un cri dans un livre qui à l’époque fit grand bruit ; « La France, pays de mission ». Madeleine Delbrël s’en fit l’écho en souhaitant rencontrer dans son pays des missionnaires qui ne monteraient ni sur un bateau ni dans un avion, mais dans les couloirs du métro parisien. Et ce fut la fondation de la Mission de France, l’expérience des « prêtres-ouvriers » et de tant d’autres initiatives similaires, aujourd’hui périmées ou sur le déclin.
Suivit, et maintenant à bout de souffle, ce qu’on a appelé « la nouvelle évangélisation », entreprise surtout par les « communautés nouvelles », charismatiques de surcroît. De nos jours, plusieurs d’entre elles sont à la peine et passent par le feu de l’épreuve.
Toutefois, une relève missionnaire se profile, ad intra comme ad extra. Il ne sera pas dit que Dieu abandonne son projet de salut.
Tout d’abord, je suis émerveillé par l’engagement de tant de laïcs, qui, sans en faire un titre de gloire, ont pris le relais des missionnaires disparus. Des femmes en particulier, présentes sur des plateformes où personne n’aurait imaginé les voir dans ma jeunesse. Nos frères dominicains de France ont même mis sur pied à leur intention des ateliers de formation à la prédication. Pour ne rien dire de toutes celles qui sont engagées dans la réflexion théologique et éthique, dans les rouages de la pastorale, les médias et productions éditoriales, la diaconie, la catéchèse et les multiples aumôneries (prisons, hôpitaux, écoles etc.), autrefois chasses gardées des clercs.
A cet apport décisif est venu s’ajouter depuis une quarantaine d’années un instrument extraordinaire mis au service de la mission universelle. Je veux parler d’internet dont les multiples facettes, chaque jour renouvelées et élargies, permettent de diffuser aux quatre vents la richesse de l’Evangile.
Encore faut-il que cet instrument merveilleux soit maîtrisé et même exorcisé, Car, comme la langue dont parle la Lettre de Jacques, avec internet « nous bénissons le Seigneur et Père et nous maudissons les hommes qui sont à l’image de Dieu » (Jacques 3,9). Mais l’usage ambivalent de la langue comme celui d’internet ne nous empêche pas d’être éloquents, ni de nous en servir pour la gloire de Dieu.
La mission est morte. Vive la mission !