Cette question, simple en apparence, ouvre des perspectives qui disent sous quelle mode nous envisageons la relation à l’autre.
Au sein de la famille, c’est souvent la personne qui nous ouvre à un autre visage que celui de nos parents. Déjà la figure paternelle offre un autre visage alternatif à celui de la mère. Mais le frère nous sort de la relation entre soi et nos parents. Il ou elle est vraiment la personne qui partage une origine mais qui est différente de nous-mêmes.
Quand nous grandissons, nous pouvons nous éloigner irrémédiablement de notre frère quand nous ne reconnaissons pas comme héritage à partager le souvenir de notre origine commune. Souvent le traitement que nos parents accordent à l’enfant diffère selon le caractère de chacun, l’histoire des parents et du couple, les aléas de l’existence. Et ce traitement empêche parfois la fratrie de se forger une histoire commune.
A la question « Qui est mon frère ? Qui est ma sœur ? » Jésus répond que ce sont ceux et celles qui font la volonté de Dieu (Mathieu 12,50). La relation fraternelle est alors inscrite dans un contexte de foi où le frère est un témoin de l’existence de Dieu dans ma vie et dans la sienne. La dimension fraternelle fait éclater le registre étroit de la communauté de sang. La famille s’élargit aux dimensions de la communauté spirituelle. Mais si le frère tombe et qu’il refuse de reconnaître sa propre chute, Jésus nous demande assez crûment de ne plus le considérer comme un frère (Mathieu 18,15-17). Les repas pris en communauté risquent d’être un peu tendus !
Il existe un troisième élargissement de notre conscience après le frère utérin qui nous ouvre à l’autre dans la famille, le frère spirituel qui nous ouvre à l’autre dans la communauté spirituelle. C’est la conscience que nous faisons partie de la Création au même titre que les autres membres, flore, faune et tout objet de matière ! Et que nous n’avons pas à nous sentir supérieurs en tant qu’Homo sapiens sapiens mais bien un élément dans un tout auquel nous devons contribuer en bonne intelligence.
François d’Assise a été sans doute le premier dans l’Église à chanter cette solidarité de l’être humain avec tous les êtres de la Création dans son fameux cantique des Créatures.
Loué sois tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil,
par qui tu nous donnes le jour, la lumière :
il est beau, rayonnant d’une grande splendeur,
et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles :
Loué sois tu, mon Seigneur, pour frère Vent,
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur Eau qui est très utile
Loué sois tu, mon Seigneur, pour frère Feu
Loué sois tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre
Il ne s’agit évidemment pas de mettre sur le même plan notre relation avec les autres enfants de Dieu mais d’élargir notre conscience d’être aux vastes dimensions d’un Univers qui mérite notre émerveillement dans la contemplation.
Et l’Univers et le ciel commencent sous nos pas, la Terre.
Nous ne pouvons plus et nous ne devons plus considérer la Terre comme notre chose, un jouet pour notre distraction, un hochet pour notre bon plaisir. Or, l’écologie fait enfin son entrée dans les débats de l’Eglise aujourd’hui.
Quelle est la place de la Création dans notre foi ? Comment l’Eglise peut-elle se poser en défense de notre écosystème ? Comment peut-elle proposer une alternative à la culture du déchet dont parlait naguère le pape François dans Laudato si ? Comment se dégager de l’injonction faite à Abraham de dominer la Terre qui justifiât si longtemps l’exploitation abusive et sans retour de la branche sur laquelle nous sommes assis ?
Il ne saurait y avoir une écologie de pacotille qui proclame doucereusement à nos oreilles qu’elle est compatible avec une économie de profit et de dévastation.
Comme la foi en Dieu qui ne saurait supporter la concurrence de l’argent, l’écologie que l’Eglise doit défendre ne peut être qu’intégrale et profonde.