Dans la triste succession des scandales à caractère souvent sexuel qui éclabousse les clercs de l’Eglise depuis maintenant 30 ans (!), on entend souvent que nous vivons une époque où les gens sont en attente de perfection, évidemment inaccessible. Après l’avènement des médias de plus en plus intrusifs, ceux-ci ont effacé la frontière entre le privé et le public et surtout mettent à nu les travers, les petites phrases et plus grave, bien entendu, les actes criminels qu’une autre époque connaissait mais couvrait d’un voile sinon pudique du moins pudibond. Des gens aujourd’hui ne sont pas pires, d’autres avant n’étaient pas meilleurs.
La tristesse et la colère nous étreint quand nous voyons des personnes que nous avons estimées se révéler sous un jour très peu édifiant. Beaucoup cependant commettent l’erreur d’envisager le problème du comportement déviant selon le critère de l’imperfection humaine. De là à rabâcher l’expression un peu spécieuse à mon sens d’ « Eglise sainte et pècheresse » qu’il suffit d’évoquer pour absoudre la faute et passer à autre chose le plus vite possible. Cette coupable indulgence est le miroir inversé des censeurs moraux qui condamnent l’Eglise avec une joie mauvaise à peine dissimulée.
On connaît tous cette historiette sur Gandhi visité par une mère et son enfant. La mère excédée demande à Gandhi de dire à l’enfant de ne plus manger de chocolat. Sur quoi, le mahatma répond de revenir la semaine suivante. La mère revient à l’heure dite et réitère sa demande. Gandhi tance le gamin et lui dit de ne plus manger de chocolat. La mère s’étonne :
– Mahatma, vous n’auriez pas pu le lui dire dès la semaine dernière. Cela m’aurait évité de revenir.
– Mais, Madame, c’est que la semaine dernière, je mangeais encore du chocolat…
Histoire apocryphe et sans doute inventée de toutes pièces mais qui éclaire d’un jour différent l’exigence que doit respecter toute personne en position d’autorité morale. On n’attend pas la perfection mais l’exemplarité. Et cette posture donne d’autant plus de poids à l’injonction morale.
Comme père de famille, je sais depuis que mes plus grands enfants ont passé l’adolescence que je ne suis pas parfait (en fait mon épouse s’est chargée de me le faire savoir après quelques années de mariage…). Nous devons dans l’éducation à la responsabilité jouer le mauvais rôle et rappeler les règles qui structurent à long terme la personnalité des enfants. Les adolescents ont ceci d’irritant de voir rapidement les incohérences de leurs parents. Et c’est à nous de nous améliorer non pour arriver à une illusoire perfection morale mais pour donner plus de gravité à l’autorité morale que l’éducation exige de nous.
Le Christ ne nous a pas demandé plus que nous ne pouvons faire. Lorsqu’après les Béatitudes, il nous dit : «Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait.» (Matthieu 5, 48), ce n’est pas dans le sens d’une perfection morale mais dans la recherche d’une perfection dans l’Amour, inspiré de Dieu qui va au-delà de la justice et de la morale.
Mais si nous avons à parler d’autorité pour régler le comportement de nos frères et sœurs, alors nous avons le devoir d’être exemplaires, non dans une posture héroïque (toujours difficile à tenir plus que quelques minutes) mais pour que notre lampe brille devant les hommes et que nous rendions ainsi témoignage à Dieu (Mathieu 5, 16).