Voilà un psaume qui, dans toute sa première partie, du verset 1 au verset 6, parle de Dieu à la troisième personne. Dans sa deuxième partie, à partir du v. 7, passant du « il » au « tu », de la proclamation à l’invocation, il interpelle Dieu à la deuxième personne.
« Je sais en qui j’ai mis ma foi » (versets 1-3)
Le croyant commence donc par proclamer bien haut ce que Dieu représente pour lui dans la situation concrète qu’il a à vivre.
1 Le Seigneur est ma lumière et mon salut,
de qui aurais-je crainte?
Le Seigneur est le rempart de ma vie,
devant qui tremblerais-je?
2 Quand s’avancent contre moi les méchants pour dévorer ma chair,
ce sont eux, mes ennemis, mes adversaires,
qui chancellent et succombent.
3 Qu’une armée vienne camper contre moi,
mon cœur est sans crainte;
qu’une guerre éclate contre moi,
j’ai là ma confiance.
L’expérience que traverse l’auteur en est donc une d’adversité. Confronté à une opposition de la part de « méchants », qu’il compare à des bêtes fauves prêtes à déchirer leur proie (v. 2a), il parle encore d’« ennemis » et d’« adversaires » qu’il désignera encore un peu plus loin comme des « rivaux » (v. 6). Traitements injustes, persécution, menaces de mort? Impossible de voir exactement. Toujours est-il qu’au cœur de cette situation difficile, ce croyant proclame sa confiance absolue en Dieu. « Ma lumière », « mon salut », « le rempart de ma vie » : dès le point de départ (v. 1), les images se bousculent pour exprimer cette confiance, intrépide et assurée comme celle d’une ville qui se sait en sécurité derrière ses fortifications. Une adversité plus redoutable encore se présenterait-elle? Faudrait-il subir les assauts d’une armée entière? Une guerre menacerait-elle? Cela n’y changerait rien : « mon cœur est sans crainte », clame le v. 3, en écho à la première question posée en commençant : « de qui aurais-je crainte ? » (v. 1); « j’ai là ma confiance », répète-t-il en écho à la seconde : « devant qui tremblerais-je? ».
Une mystique bien incarnée (versets 4-6)
À lire ensuite le verset 4, on pourrait croire que le psalmiste passe à autre chose. Après avoir proclamé sa confiance en Dieu au milieu de ses misères actuelles, il semblerait faire part maintenant du désir que, une fois son existence pacifiée et débarrassée de ces tracas, il pourra se consacrer entièrement à l’unique nécessaire que constitue pour lui la relation à Dieu :
4 Une chose qu’au Seigneur je demande,
la chose que je cherche,
c’est d’habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie,
de savourer la douceur du Seigneur,
de rechercher son palais.
« La maison du Seigneur », « son palais »; plus loin « sa tente », « sa hutte ». Autant d’expressions renvoyant au Temple, lieu privilégié de la présence de Dieu, et témoignant symboliquement, comme tant d’autres psaumes, d’une soif d’intimité avec ce dernier :
Ma demeure est la maison du Seigneur
en la longueur des jours. (Ps 23,6)
Mais la suite manifeste qu’en réalité ces aspirations « mystiques » ne sont pas coupées de la dure réalité présente, que le thème de l’attachement à Dieu reste lié à celui de l’adversité :
5 Car il me réserve en sa hutte un abri au jour de malheur;
il me cache au secret de sa tente,
il m’élève sur le roc.
6 Maintenant ma tête s’élève sur mes rivaux qui m’entourent,
et je viens sacrifier en sa tente des sacrifices d’acclamation.
Je veux chanter, je veux jouer pour le Seigneur.
C’est donc au Temple que l’auteur éprouve au plus haut point la protection du Dieu en qui il a confiance. C’est là, au lieu par excellence de la rencontre de Dieu, qu’il trouve l’assurance de son soutien aux temps difficiles. C’est là qu’il acquiert la certitude de triompher de l’adversité (v. 6a). Comme dans un autre psaume où s’expriment à la suite la confiance en la protection de Dieu et l’aspiration à la sécurité du Temple :
Car tu es pour moi un abri,
un bastion devant l’ennemi.
Qu’à jamais je loge sous ta tente
et m’abrite au couvert de tes ailes! (Ps 61,4-5)
« Je sacrifierai des sacrifices », « je chanterai », « je jouerai pour le Seigneur » : en hébreu, ces trois verbes du v. 6 sont bel et bien au futur. Et c’est ainsi que se termine la première partie du psaume : sur une résolution de louer Dieu et de lui offrir un sacrifice d’action de grâces pour une libération dont on est sûr à l’avance.
Un changement subit (v. 7-10)
Le verset 7, subitement, marque un changement saisissant. Changement de genre, nous l’avons vu déjà : c’est ici en effet que l’on passe de la proclamation à la supplication. Mais surtout changement de climat : de la proclamation confiante on passe à la supplication inquiète.
7 Écoute, Seigneur, mon cri d’appel,
pitié, réponds-moi!
8 De toi mon cœur a dit: “Cherche sa face.”
C’est ta face, Seigneur, que je cherche,
9 ne me cache point ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère;
c’est toi mon secours.
Ne me laisse pas, ne m’abandonne pas,
Dieu de mon salut.
10 Si mon père et ma mère m’abandonnent,
le Seigneur m’accueillera.
Quatre demandes à formulation négative : « Ne me cache pas ta face », « n’écarte pas ton serviteur », « ne me laisse pas », « ne m’abandonne pas ». Comme si, secrètement, le croyant redoutait cette éventualité. « Jamais le Seigneur ne m’abandonne », proclamait-il avec assurance dans la première partie; « ne va surtout pas m’abandonner », supplie-t-il maintenant. « Quoi qu’il arrive, je suis sûr de pouvoir compter sur Dieu », disait-il; « si tu me laisses tomber, je suis perdu », dit-il maintenant. Le contraste apparaît tel qu’on s’est demandé si l’on n’avait pas ici deux psaumes distincts plutôt que deux volets d’un même psaume.
La différence de climat reste indéniable. Mais les affinités ne manquent pas par ailleurs. Même anxieuse et plus tourmentée, la confiance en Dieu est toujours là, comme en témoigne le v. 10, où le croyant formule à sa manière la conviction de foi exprimée en termes inoubliables par Isaïe :
Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit,
cesse-t-elle de chérir le fruit de ses entrailles?
Même s’il s’en trouvait une pour l’oublier,
moi, je ne t’oublierai jamais. (Is 49,15)
« De toi, mon cœur a dit : “Cherche sa face”. C’est ta face, Seigneur, que je cherche » : comme auparavant au verset 4, cette confession du verset 8 paraît témoigner d’une recherche de Dieu, d’une aspiration « mystique » détachée du contexte d’adversité présent dans la première partie. Mais, de nouveau, la suite, comme aux versets 5-6, manifeste que ce contexte reste bien présent et en cela la seconde partie du psaume s’apparente encore à la première :
11 Enseigne-moi, Seigneur, ta voie,
conduis-moi sur un chemin de droiture
à cause de ceux qui me guettent;
12 ne me livre pas à l’appétit de mes adversaires:
contre moi se sont levés de faux témoins qui soufflent la violence.
Voilà donc de nouveau, comme au début du psaume (v. 2), les « adversaires », maintenant caractérisés comme de faux témoins dont l’agression paraît menacer la vie elle-même. N’est-ce pas ce que laisse entendre en finale le psalmiste, en parlant de son espérance de voir la bonté de Dieu « sur la terre des vivants » :
13 Je le crois, je verrai la bonté du Seigneur
sur la terre des vivants.
14 Espère en Dieu,
prends cœur et prends courage,
espère en Dieu.
Et c’est ainsi que, délaissant celui de la prière, le psaume retrouve en terminant le ton de la proclamation et du témoignage caractéristique de la première partie. Ici, cependant, au lieu de témoigner comme alors de l’attente ferme d’une issue favorable (v. 6), le croyant sent plutôt le besoin de s’encourager lui-même et de s’exhorter à l’espérance.
« Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes »
L’adversité humaine et la confiance en Dieu : la conjugaison de ces deux thèmes amènera la conscience croyante à lire le psaume 27 en relation avec une diversité d’expériences vécues de tout temps par des individus ou des communautés. Des croyants éprouvés, traqués, persécutés, montrés du doigt ou simplement ridiculisés, se retrouveront spontanément dans ces accents du psaume.
À la « plénitude des temps », ceux-ci évoqueront tout naturellement le mystère du Christ en sa passion.
Ne sont-ce pas ces accents-là, précisément, que l’on retrouve dans les trois annonces de la passion, telles que les rapportent les évangiles synoptiques? D’une part, la confrontation à une opposition dont on pressent qu’elle sera fatale : « Le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens; ils le bafoueront, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront ». D’autre part, la confiance en un retournement à attendre de Dieu : « …mais après trois jours il ressuscitera » (Mc 10,33-34)
Cette lecture du psaume en relation avec la passion de Jésus paraît bien remonter jusqu’aux premières générations chrétiennes. C’est ce que, subtilement, suggère en Mc 14,57 le récit de la comparution de Jésus devant le Sanhédrin. « Quelques-uns se levèrent, note Marc, pour porter contre lui ce faux témoignage ». Ne faut-il pas voir dans cette formulation une allusion discrète au verset du psaume : « Contre moi, se sont levés de faux témoins » (v. 12)?
Un autre passage, de la lettre aux Hébreux cette fois, témoigne encore de l’application du psaume au Christ en sa passion. Ce n’est plus maintenant dans le procès de Jésus qu’on en découvre les échos mais dans son agonie. « Écoute, Seigneur, mon cri d’appel » : c’est ainsi, nous l’avons vu, que débute au verset 7 la seconde partie du psaume. « Aux jours de sa chair, souligne He 5,7 en modelant sa formulation sur celle du psaume, ayant présenté avec un grand cri et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été écouté en raison de sa piété… »
Sur les lèvres du Christ en croix, Marc et Matthieu mettent les paroles d’un psaume : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Ps 22), et Luc celles d’un autre : « En tes mains je remets mon esprit » (Ps 31). L’abandon de Dieu, l’abandon à Dieu. Dans l’expérience de Jésus abandonné de tous en sa passion, la méditation croyante devait lire l’écho d’un autre psaume encore. Celui-là, le psaume 27, portait en son cœur la proclamation :
Ne me laisse pas, ne m’abandonne pas,
Dieu de mon salut.
Si mon père et ma mère m’abandonnent,
le Seigneur m’accueillera.