À bien des égards, il est facile en ces temps pour le moins troublés de trouver des coupables à la situation actuelle et de prophétiser le retour aux « vraies valeurs ». Encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Les valeurs des uns sont rarement celles des autres en ces temps de relativisme de la morale.
Il n’empêche que l’expérience de confinement provoque inévitablement la question du retour sur soi, d’une réflexion sur ce qui nous a amenés à cette situation et sur les possibilités d’y échapper à l’avenir. On peut aujourd’hui être isolé dans sa maison, son appartement, son studio, sa chambre, sa cellule, sa cabine de bateau de croisière mais rarement seul avec les moyens d’interaction contemporains. Que l’autre soit réel ou à distance, le défi de l’autre prend une acuité particulière.
Le mot « Confins », nous révèle le Trésor de la langue française informatisé, c’est la limite extrême entre deux territoires. C’est donc aussi le voisinage avec quelque chose ou avec quelqu’un. Autrement dit, on ne peut pas être confiné tout seul. On est forcément confiné à proximité de ….
En réalité, ce défi de l’autre est au nombre de deux et ils sont paradoxaux.
Le premier défi est que l’autre soit un obstacle à cette nécessaire introspection face à l’adversité. Mon vis-à-vis devient un écran commode à utiliser pour empêcher un inventaire de mes forces et de mes limites, de mes conceptions justes et de mes erreurs devant une situation tendue qui peut révéler sous un jour que je préfère masquer. Suis-je solide ou fragile, et comment ?
Le second défi est que l’autre serve de repoussoir et soit un prétexte efficace à m’isoler dans une tour d’ivoire. La tierce personne m’oblige à construire un avenir commun, pas forcément celui auquel je pensai, ni d’ailleurs celui de l’autre, mais un avenir qui est plus que la somme des différentes parties. Or, comment envisager un après en société si on ne peut le construire dans une petite communauté confinée ?
Ces deux exigences contradictoires, nous avons à les relever quand nous sommes reclus autour du noyau familial. C’est l’occasion de vivre sous le mode exigeant du vivre ensemble une dimension essentielle de la foi chrétienne : la relation envers nos frères et sœurs. La Foi chrétienne repose sur la relation. On ne saurait être chrétien dans son petit coin.
Notre foi, en ce temps de Carême si particulier, nous rappelle également une des vertus tellement fondamentale qu’elle est même théologale : l’espérance. Assiégés que nous sommes par les assauts de la contagion qui nous guettent, assombris par l’annonce d’épidémies futures à répétition, plombés par les factures exorbitantes que nous tend la Nature saccagée par nos « soins », rappelons-nous Jérémie dans Jérusalem assiégée. Le Seigneur lui demande un signe prophétique à l’égard des habitants de Jérusalem paniqués : acheter en pleine débâcle le champ de son cousin, faire des plans d’avenir, montrer un autre horizon que la dévastation présente :
On achètera des champs en ce pays dont tu dis : “C’est une solitude, sans hommes ni bêtes » Jr 32, 43
Ce temps d’exil nous invite donc à un retour sur soi, un retour vers les autres et un regard intempestif vers un horizon d’espérance.