Une ancienne tradition liturgique colle au Dimanche des Rameaux l’étiquette bucolique de « Pâques fleuries ». Allusion aux rameaux de buis et d‘olivier, décorés selon les lieux de rubans colorés ou de fleurs printanières et qu’on agite ce loir-là au long d’une joyeuse et parfois bruyante procession. Une autre tradition appelle « Pâques closes » le dimanche qui suit le jour de Pâques où l’on prend soin de ranger ce qui a servi au décor de la fête, y compris les aubes blanches des baptisés de la nuit pascale.
Cette année, à notre grand regret, la coronavirus nous contraint à inverser les dates. Pâques fleuries aura la teinte de Pâques closes, sans procession ni peuple sur le parvis. Nous remettons à plus tard, mais sans attendre les calendes grecques, le plaisir de processionner en fanfare et en corso fleuri.
Réflexion faite et Bible à l’appui, je trouve que la rigoureuse et froide sobriété de la célébration des Rameaux cette année concorde avec la lettre des évangiles. Comment nous décrit-on l’entrée de Jésus à Jérusalem ? Ce ne fut pas un cortège triomphal. Ni l’escorte d’un jeune prince fringuant, chevauchant un étalon piaffant vers le trône royal préparé pour lui. Non, mais un ramassis de gamins que les gens bien élevés ont du mal à faire taire. Des enfants qui acclament un obscur rabbi galiléen juché sur un ânon. Même ses disciples s’étonner de la scène et regarder de loin cette piteuse cavalcade. Ce n’est pas dans ce minable appareil qu’ils imaginent le Messie venir libérer la ville sainte des païens qui la souillent. L’avenir leur donnera raison. Trois jours passent et la police du Temple met fin à ce carnaval. Le trublion est arrêté dans une oliveraie proche de la ville. Nous connaissons la suite de cette histoire. Ses disciples s’enfuirent et leur rabbi meurt seul sur une croix, abandonné par ses amis et par le Ciel aussi.
Tel est l’atmosphère qui devrait présider cette année à la célébration des Rameaux. Oubliés nos rassemblements triomphants, nos statistiques confessionnelles réjouissantes qui écrasent nos concurrents, nos monuments prestigieux, deux mille ans d’histoire fabuleuse. Pour nous retrouver seuls, silencieux, loin de nos sanctuaires, reclus dans nos maisons. Mais forts de deux convictions fondamentales et inébranlables.
La première est notre conviction de former une Eglise invisible où communient « dans le secret » tous les serviteurs de Dieu et de l’Evangile. On les rencontre bien au-delà de nos petits cercles locaux. Tous sont convaincus que le Royaume de Dieu est « parmi nous » » et même « au-dedans de nous ». L’Amour est sa seule visibilité et son unique prestige.
La deuxième conviction est que malgré les apparences le jour de Pâques arrivera nécessairement. Non pas comme le retour d’un guerrier vainqueur et revanchard, mais comme une faible et fragile lueur dans une aube grise et encore froide. Ou comme un thème musical, d’abord timide et presque inaudible, qui progressivement prend de l’audace et de l’ampleur pour éclater en Alleluia à la fin de la symphonie.