A certains égards, le métier de parent que personne n’apprend que par imitation et parfois par anti-modèle, le métier de parent, dis-je, nécessite de montrer l’exemple, d’être un exemple. Rappelons qu’un exemple est une illustration, une image de ce que l’on veut montrer.
De l’exemple à l’exemplarité il n’y a qu’un pas et de l’exemplarité à la sainteté, il n’y a que la moitié d’un pas, celui de la renommée. Or celle-ci repose sur une image aussi, mais parfois trompeuse, celle de l’idole. C’est l’image de la promotion, de la « communication », de la propagande disait nos aînés sans fausse pudeur dans les années Trente.
Le patriarche Noé, après avoir sauvé les siens et quelques animaux, avait pris un coup de trop et cédé à l’ivrognerie. Sur quoi, un fils aimant conscient de l’humanité de son père jeta pudiquement un manteau pour couvrir sa nudité. Jean Vanier, après avoir tant fait à travers son Arche est-il pire qu’un autre ? Ses gestes inexcusables abolissent-ils l’intégralité de son œuvre ? Certainement pas mais je plains désormais ceux parmi ses proches qui devront démêler l’écheveau de son héritage spirituel. La chose ne sera pas aisée.
Une autre chose est sure : son procès en canonisation n’est pas pour demain. Il ne rejoindra pas le cortège des bienheureux inscrits au calendrier des Postes même si le Père désormais l’a accueilli en son sein maternel. En son temps, l’abbé Pierre qui fuyait sagement toute idée de sanctification avait judicieusement distillé, comme sœur Emmanuelle plus tard, le récit de quelques errements sexuels sans conséquence, connaissant ce que la question a de problématique encore aujourd’hui dans l’Eglise.
Jean Vanier, par ses gestes blessants et traumatisants pour ses victimes, rejoint le troupeau en humanité. La stupeur qui nous saisit doit être à la mesure de la réflexion que nous devons dès lors mener.
Quelle nécessité avons-nous de porter aux nues tel ou tel témoin de la foi en Jésus le Christ ? Quel besoin, parfois délétère, avons-nous de donner dans l’adulation, voire la dévotion, à l’égard de témoins au risque d’oublier l’injonction même de Jésus :
« Pourquoi m’appelles-tu bon? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » (Marc 10, 18)
La vie familiale, Dieu merci, nous garde de nous croire « gourou » au sein de notre tribu. Héros éphémère de nos jeunes enfants, nous devenons (trop ?) rapidement les « has been » dont les conseils d’un autre âge nous ringardisent aux yeux de notre progéniture plus vite qu’un incendie à Notre-Dame !
Je ne doute pas qu’à ma mort, aucun de mes enfants ne lèvera les mains en extase en criant éplorés « santo subito » et c’est tant mieux. Nous nous répétons souvent, mon épouse et moi qu’il n’y a pas de grand homme pour son valet. Au passage, la vie conjugale est une excellente école de modestie pour qui se croit sur le chemin glorieux de la sainteté.
Terminons ce propos par un appel bien modeste qui se perdra dans le désert. (Le désert loin d’être silencieux est rempli de ces cris vains et inutiles).
Arrêtons de chercher des saints irréprochables par nature sur les estrades ou au cœur des nefs. Les vrais saints sont partout mais longent bien discrètement les rues de nos villes grises, hantent les chambres des mourants de nos hôpitaux délabrés, visitent les détenus déprimés et malades qui n’ont pas les avocats pour les libérer, assistent les chômeurs désemparés, les mères seules découragés, tendent la main aux réfugiés transis et affamés.
Ils sont les vrais saints, image de Dieu dans le monde. Nous ne les voyons pas et c’est mieux ainsi. Ne les adulons pas : ils ont aussi droit à leur part d’humanité.