Smog londonien ce dimanche soir sur Genève et sur son lac. Je sors tout de même de ma tanière et pars à la recherche du Spoutni, un cinéma – inconnu de mon bataillon – qui projette Kongo, film réalisé à Brazzaville dans l’univers clair-obscur des guérisseurs traditionnels.
Tâtonnements dans une ruelle sombre pour découvrir enfin cette salle qu’aucune enseigne ne signale. Je pousse la porte d’entrée. Un méchant escalier m’oblige à enjamber un ou deux individus affalés sur ses marches, avant de me conduire à un bar-saloon assez glauque, je l’avoue. Je me rends compte assez vite que je fais figure d’extra-terrestre, perdu dans une colonie bigarrée de jeunes gens des deux sexes. Tous, me semble-t-il, en-deçà de la trentaine. Mais on a pitié de cet OVNI emmitouflé ; on le guide par la main jusqu’au guichet où il se procure un ticket d’entrée ( pour retraité et chômeur ) qui ne lui coûte que huit francs suisses. Un exploit sous le ciel onéreux des spectacles genevois.
De plus, j’ai le privilège de pénétrer le premier dans la salle de projection située dans les combles de l’immeuble. Elle ne tarde pas à être envahie jusqu’à ses derniers retranchements. On réquisitionne des sièges supplémentaires et on couvre le sol de coussins face à l’écran. Je fais un cauchemar : si un incendie se déclarait dans cet espace, comment en sortirais-je ?
Et puis, pour quel spectacle suis-je ici ? J’ai l’impression d’avoir déjà joui du mien, avant même que le rideau ne s’ouvre. Le film Kongo n’y ajoutera rien. Enfermé dans ma bulle de vieil ecclésiastique, un monde inconnu vibre autour de moi. Seuls quelques sourires, quelques gestes compatissants attestent notre humanité commune.
Pris dans mes pensées, le film ne m’intéresse guère. Parlé « en langues », je n’en saisis aucun mot. Quant à l’intrigue, elle est d’une banalité affligeante : un pauvre type de guérisseur africain qui trouve ses produits et son inspiration dans une nature encore vierge se voit réduit au chômage quand les pelles mécaniques eurent détruit son paysage naturel. Un monde de croyances se meurt sous le buttoir d’une technologie et d’une rentabilité importées. Un drame dont l’Afrique, hélas, n’est pas la seule victime. Mon vieux catéchisme et ses mystères est parti en lambeaux lui aussi. Et pour les mêmes raisons.
Toujours dans mes pensées, je m’esquive et me retrouve dans mon couvent douillet. Oasis ou ghetto, je ne sais. Loin, très loin de ces « goy » ou « gentils » entrevus au Spoutnik. C’est pourtant vers eux que Jésus m’envoie. Comme Jonas à Ninive. Comment franchir le fossé qui nous sépare ?
J’ai mal dormi la nuit qui suivit.