Au moment où des études récentes remettent en lumière les intuitions de l’ermite du Hoggar, ces réflexions peuvent encore éclairer nos relations avec les Musulmans que nous rencontrons.
Charles de Foucauld a profondément aimé les terres d’Islam. Il y passa la plus grande part de sa vie … Le Père de Foucauld s’appelait le « frère universel »…Et son amitié et sa prière étaient d’abord pour ses amis de prédilection, les Arabes nomades et les Touareg auxquels ils sacrifia tout. Ce fut donc en des terres d’Islam et dans une atmosphère d’Islam qu’il répondit à l’appel de Dieu sur lui.
Charles de Jésus ne semble pas s’être soucié d’entreprendre vraiment une étude objective complète de l’Islam comme tel. La pente se son esprit ne l’y portait pas. Son intelligence extrêmement concrète, donnait toute sa mesure dans l’observation précieuse des lieux et des gens, l’étude de la langue et des mœurs; et son cœur lui donnait d’abord soif de connaître et d’aimer, de connaître pour aimer, les hommes qui l’entouraient. À Beni-Abbès, son souci fut simplement de converser avec ses amis les pauvres, de les aider, de leur faire comprendre ce témoignage de foi et d’amour rendu à Dieu, et qui était sa seule raison d’être. À Tamamrasset, sa tâche fut de perfectionner toujours plus sa connaissance de la langue et des coutumes du Hoggar… Et n’est-ce point encore un témoignage de sympathie vivante et de respect, que ce désir de connaître de l’intérieur le passé et toute la richesse humaine d’un peuple ?
Si Charles de Foucauld ne rencontrera pas selon toutes ses dimensions la culture religieuse de l’Islam, il vécut donc sa vie de « frère universel » en continuel contact avec des hommes musulmans. Sans même le chercher, il pénétra de la sorte cette ambiance musulmane où baignait le comportement quotidien de ses amis.
Et dès lors, il semble possible et nécessaire de proposer une distinction. Ce serait un contresens de le transformer en « islamologue ». Il ne s’y efforça point… Mais cette sorte de connaissance par connaturalité que lui donnait son affection pour les pauvres du Sahara ou les nobles Touareg, son désir d’être, pour l’amour du Christ, leur frère et petit serviteur, lui permirent comme d’emblée de traiter avec eux dans le respect total de leur être, y compris les contours qu’un Islam, au demeurant fort élémentaire, pouvait donner à leur personnalité. Si bien que nous trouvons sous sa plume, ici ou là, des percés éclairant non point les données dogmatiques de la foi musulmane, mais le comportement concret de foi des hommes musulmans, ses amis. Son seul but était de suivre Jésus, et il sut donner, comme spontanément, à sa présence en ces terres d’Islam, un style de vie qui pouvait la rendre compréhensible. Amitié désintéressée, respect de l’autre, sens aigu de justice et d’honneur, pauvreté voulu, style de dépouillement qui centrait tout sur Dieu seul, de telles valeurs. C’est au plus profond de sa foi chrétienne qu’il en trouvait d’abord l’inéluctable exigence. Mais c’est tout cela qui le rendit si cher à ses voisins touareg, si conforme à ce que ces nomades berbéro-musulmans pouvaient attendre de leur « grand ami le marabout Charles »
La vie de Charles de Jésus dans les terres musulmanes du Sahara est un grand témoignage de ce qu’un amour désintéressé et vigilant peut drainer de compréhension vraie. Amour scellé d’intelligence. C’était là sa tâche de « petit serviteur », et c’était une tâche de choix, puisque « au soir de cette vie, c’est sur l’amour que nous serons jugés. »
Charles de Jésus n’est pas un maître en islamologie. Mais il est peut-être bien, par ce que fut sa vie, sa soif de l’Unique Seigneur, et son don aux hommes ses frères, l’un des meilleurs guides que puisse prendre un islamisant chrétien, s’il veut que corresponde à ses recherches d’érudit une attitude intérieure digne de les vivifier. La finalité de telles recherches est d’ordre intellectuel certes, mais peut-être requièrent-elles à leur tour un souci et un respect de l’autre, – ici la pensée et la culture qu’il faut pénétrer- où se retrouve, au service de la même vérité et du même amour, comme un répondant de l’attitude évangélique de Charles de Jésus en ces terre d’Islam qu’il aima.