Dernièrement, mon épouse a été amenée à travailler en dehors de la maison pendant cinq semaines. C’était, en fait, la première fois que la vie familiale s’organisait avec deux parents à l’extérieur. Nous avions en effet choisi de nous priver d’un salaire pour que l’un des deux reste à la maison afin de s’occuper, notamment, de l’instruction de nos enfants à domicile. Nous avons eu le projet d’une famille nombreuse qui ne favorisait pas la construction d’un parcours professionnel de tous repos. Dois-je vous préciser que nous ne sommes carriéristes ni l’un ni l’autre ?
Pendant cinq semaines, il a fallu jongler avec les défis que beaucoup de familles connaissent, accélérer le rythme des activités pour que tout rentre dans vingt-quatre heures, organiser les repas à la dernière minute, faire répéter les devoirs au retour d’une journée chargée, construire un début de conversation avec les enfants autour d’un repas tardif, etc. Nous nous sommes rendus compte rapidement que nous n’étions pas très « doués » pour cette cadence. Il manquait ce que nous avons toujours recherché dans le fonctionnement de la communauté familiale : un équilibre.
Il nous fallait une alternance salutaire entre l’activité et le repos, l’accélération et la pause, la course dans le monde et le visage de l’intime. Tout, désormais, était centré sur l’activité qui virait rapidement à la frénésie. Il me revint alors cette phrase de l’Ecclésiaste (3, 1-11) :
Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel :
Un temps pour donner la vie, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher.
Un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour détruire et un temps pour construire.
Un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour gémir, et un temps pour danser.
Un temps pour jeter des pierres, et un temps pour les amasser ; un temps pour s’étreindre, et un temps pour s’abstenir.
Un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter.
Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler.
Un temps pour aimer, et un temps pour ne pas aimer ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix.
Quel profit le travailleur retire-t-il de toute la peine qu’il prend ?
J’ai vu la besogne que Dieu impose aux fils d’Adam pour les tenir en haleine.
Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps. Dieu a mis toute la durée du temps dans l’esprit de l’homme, mais celui-ci est incapable d’embrasser l’œuvre que Dieu a faite du début jusqu’à la fin.
L’équilibre repose sur cette notion si fluide que nous ne saisissons pas : le temps. Il nous échappe à tout instant, mais nous le lui rendons bien, nous qui fuyons hors du temps dans des activités qui nous tiennent hors de nous-mêmes, loin de Celui qui nous connaît mieux que nous-mêmes.
C’est, au fond, la saisie de l’instant qui nous rend vivants quand nous sommes en adéquation avec ce qu’il faut faire au moment où nous avons à le faire. Les exemples de l’Evangile sont nombreux où Jésus nous montre que nous avons à saisir l’occasion : le riche qui laissait chaque soir de banquet Lazare avoir faim à sa porte, celui-là qui contemplait fièrement son avenir en des greniers pleins la veille de son infarctus, les vierges folles qui oublièrent de mettre de l’huile quand il le fallait et les innombrables fois où nous avons à saisir l’occasion de visiter les prisonniers et les malades, vêtir ceux qui sont nus, rassasier les affamés (Mt 25, 31-40).
Les occasions manquées abondent mais la possibilité de la rédemption demeure au long des travaux et des jours. Dieu n’est pas ce dieu cruel qui condamne à la peine éternelle le juste qui pèche à la dernière seconde mais ce Dieu infiniment généreux qui nous laisse saisir … ou pas les occasions de devenir plus vivant.
Que pouvons-nous donc faire dès maintenant, dans notre famille, dans l’aujourd’hui de nos vies, que nous ne pourrons faire demain parce qu’il sera trop tard ? Le temps de l’Avent est trop perçu comme un temps d’attente qui peut se dévoyer en attentisme. C’est au contraire un temps d’affût où nous devons porter notre attention à la venue du Maître, le maître du temps, Celui qui nous offre des occasions à saisir.
Les Grecs ont un mot pour se saluer, c’est de rappeler à l’autre l’occasion à saisir, de reconnaître le moment unique : khairete. Se saluer, c’est souhaiter à l’autre qu’il reconnaisse la valeur du temps précieux qui s’offre au partage mutuel.
Souhaitons de faire de notre Avent un temps de disponibilité aux autres, de savoir saisir le kairos, l’occasion unique que Dieu met à la disposition de notre cœur pour être plus vivant !