J’avoue avoir manifesté quelques perplexités à l’annonce du voyage du pape en Thaïlande et au Japon. Personne ne met en doute l’importance du continent asiatique qui vu sa démographie, sa révolution industrielle et commerciale affiche de plus en plus son hégémonie. Pourtant, le nombre des chrétiens ne suit pas l’explosion démographique de ce continent. Ils ne constituent qu’une infime minorité qui par endroit aurait plutôt tendance à stagner et même à régresser. Plus grave, sauf de rares exceptions (Matteo Ricci en Chine, Roberto de Nobili en Inde), les tentatives d’inculturer la foi chrétienne dans le riche terreau asiatique se sont soldées par des échecs ou demeurées inachevées. En Asie, le catholicisme porte encore le label occidental hérité des missionnaires.
A cette situation préoccupante est venu se greffer ces derniers temps un réveil identitaire visant à « purifier » les nations de ce continent de tout élément culturel ou religieux d’origine étrangère. Les catholiques indiens, sri-lankais, sans parler de ceux de Chine, du Vietnam, de Myanmar et maintenant pour d’autres raisons ceux des Iles Philippes en font les frais. Profil bas, repli, silence pour ne pas provoquer et susciter la persécution.
Qu’allait donc faire en Asie notre pape François, me suis-je demandé ? Parmi tant d’autres pays, il en choisit deux, la Thaïlande et le Japon, dont il était sûr que les portes ne lui seraient pas fermées. Mais ailleurs ?
Passons sur sa visite aux catholiques de Thaïlande, visiblement marqués par les structures ecclésiales mises en place par leurs anciens missionnaires. Leur présence infime dans ce pays ne déborde guère les quartiers aisés de la capitale. Les chrétiens sont méconnus de l’immense majorité du peuple thaï fidèle au bouddhisme, heureusement tolérant à leur endroit.
Mais alors le Japon ! Un cas particulier, a reconnu le pape. J’ai suivi sur KTO les diverses péripéties de son voyage au pays du soleil levant. L’enjeu n’était pas gagné d’avance. Un demi pourcent de catholiques, noyés dans une mer de quelques 130 millions de Japonais. Une minorité regroupée en communautés dispersées, repliées sur elles-mêmes, ritualistes et, pour la plupart, sans dynamisme. Comme si trois siècles de persécution avaient rendu stérile le sang versé par les martyrs. De plus, le catholicisme japonais est gangrené, comme les autres religions de l’archipel, par une vague de sécularisation qui étouffe toute référence spirituelle.
D’emblée le pape comprit la situation. Il n’arrivait pas au Japon en prosélyte soucieux d’inverser en sa faveur la courbe des conversions à sa religion. Il sut comprendre l’inquiétude des plus jeunes, chrétiens ou non, sans perspectives d’avenir, livrés pour leur survie à une angoissante compétitivité scolaire et professionnelle, tentés par le suicide au premier échec. Je n’oublierai pas non plus ses paroles fortes et sans détours condamnant comme un crime la dissuasion de l’arme nucléaire, face à un premier ministre abasourdi qui rêve de remilitariser son pays. Le discours de François portait bien au-delà des étroites frontières de sa communauté religieuse. C’était un homme qui parlait, préoccupé par la sauvegarde de l’humanité et de la « maison commune » qui l’abrite.
François missionnaire ? Sans aucun doute, mais à sa manière. Il met l’accent sur l’humain qu’il faut honorer plutôt que sur le sabbat qu’il faut observer. Avant lui, un autre missionnaire avait vécu et enseigné ce modèle. Un maître dont le pape ne prononça jamais publiquement le nom au Japon. Un évangélisateur dont la présence secrète inspirait chacun des faits et gestes de François dans cet Extrême Orient si lointain et si mystérieux. Comme Jésus, François est persuadé que « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant ».