L’ancienne voisine de ma mère dans notre village au nom divin est décédée brutalement à 89 ans, heurtée par une voiture trop pressée sur un passage piéton. Pour lui avoir téléphoné quelques jours auparavant, j’ai été saisi par la brutalité de sa disparition et la violence de l’accident.
Nous ne l’avons connue que dans les trente dernières années de sa vie lorsqu’elle est venue s’installer en face de chez nous dans cette ruelle au nom si évocateur. D’origine bourguignonne, veuve sans enfant, sa mauvaise santé l’avait appelée vers le sud dans notre village renommé pour son expertise en matière de soins de santé et la douceur de son climat. C’est là qu’elle rencontra son mari, artisan apprécié et pompier volontaire.
Gentillesse, sociabilité et simplicité sont les trois mots qui peuvent le plus fidèlement évoquer la mémoire de Raymonde. De ma vie, je n’ai rencontré une personne douée d’une telle gentillesse sans que cette qualité si décriée n’en fasse une personne mièvre. Elle pouvait à l’occasion faire des farces à son entourage. Son humour montrait qu’elle entretenait avec l’enfance un caractère de familiarité évangélique.
Vivant d’une petite retraite, je ne l’ai jamais entendu se plaindre mais j’atteste au contraire que la simplicité de sa vie était un choix qui répondait à sa nature et non à une quelconque austérité dictée par quelque amertume. Elle pouvait à l’occasion nous remercier d’un café avec un dessin au crayon de sa facture. Ses rapports avec les gens de son voisinage étaient empreints de la même simplicité. Tous recherchaient sa compagnie agréable. Elle recevait des services et elle en donnait aussi. Loin de toute polémique, je l’avais vu ramasser de son propre chef des feuilles mortes qui encombraient la rue alors que d’autres ne faisaient que s’en plaindre.
Sa vie obscure me renvoie à Dorothy Day et à Madeleine Delbrêl, non comme une militante à la foi ardente mais à la simplicité des petites gens que l’une et l’autre n’ont cessé de fréquenter. Je n’ai jamais vu Raymonde à la messe mais la rue était sa paroisse. Je ne l’ai jamais entendu dire du mal des autres. Pourtant ce n’est pas ce qu’elle n’a pas fait qui la rend si édifiante. C’est plutôt qu’elle faisait ce qu’elle avait à faire tout au long de ses travaux et de ses jours.
Dans son dernier ouvrage Philosophie du bien et du mal, Laurence Devillairs définit la personne de bien en tant qu’elle décide de faire le choix du bien :
« Gentil et méchant ne sont pas des rôles que l’on tient, ce sont des décisions que l’on prend. Ce ne sont pas des natures qui s’excluent l’une l’autre : le gentil est un méchant qui a la force de ne pas l’être ; ce n’est pas un tempérament, c’est un choix, et ce sont des occasions qu’on ne laisse pas passer. »
Nos enfants ont eu la chance de la côtoyer et de voir en action la bonté dans toute sa simplicité. Quand je pourrai venir me recueillir pour la première fois sur sa tombe, je crois que peu d’autre personne ne mériterait autant cette épitaphe :
C’était quelqu’un de bien…