Dans La joie imprenable, Lytta Basset commente la parabole de l’enfant dépensier. Vous connaissez l’histoire : un homme avait deux fils. Le plus jeune demanda au père sa part d’héritage puis partit tout dépenser au loin dans une vie de désordre… (Lc, 15,17)
La joie n’est pas d’abord effusion de sentiments agréables ou extatiques qui nous submerge parfois dans une vie comme les fameux peakexperience d’Abraham Maslow ou l’expérience de flow des athlètes performants ou des artistes en pleine création. Il s’agit plutôt du creusement au plus profond de soi de notre être caché à nous-mêmes et que Dieu connaît plus que nous-mêmes comme le rappelle Saint-Augustin dans ses confessions. Or cette recherche ne peut aboutir que dans l’acceptation de la négativité de notre existence (limites, défauts, chagrin, erreur de parcours, égoïsme), un peu à la manière de ce qu’évoque le film d’animation Vice–Versa où la tristesse acceptée des souvenirs heureux permet seule d’avancer, de bouger, de se remettre en route : Lève-toi, prends ton grabat et marche (Jn 5,8).
Basset compare tour à tour l’attitude des 3 personnages de la parabole : le fils cadet, le fils aîné et le père. Pour elle, le fils dépensier en s’excluant du cercle familial ne voit qu’il exclut les autres et s’exclut lui-même. Il n’a pas trouvé sa place et souffre mais souffre seul. Il s’imagine comme chacun dans ce cas que les autres ont une vie de plénitude et ne peut concevoir leurs limites. Il est seul dans sa souffrance.
L’aîné, plein de rancœur d’une vie de devoirs d’où l’amour est absent, reproche au père sa générosité, son accueil de la vie, à son cadet d’avoir choisi l’envol au risque de se brûler les ailes. Il souffre oui, mais il souffre contre. Ses limites et ses peines ne viennent non de sa condition humaine mais du reste de l’humanité. L’enfer, c’est les autres, affirmait Sartre en bon fils aîné.
Enfin, le père, qui n’est pas parfait, a pris conscience de ses limites. Il est remué aux entrailles et souffre. Il souffre avec son fils cadet qui est parti, il souffre avec son fils aîné qui s’est exilé de l’intérieur. Il souffre avec les autres. Il souffre, comme dit Christophe André quand il parle de la compassion, de la souffrance de l’autre. Cette compassion est le premier lien de communion avec mon frère ou ma sœur. Il est le début de la forme achevée de l’amour-agapè.
La famille est le creuset de l’apprentissage des relations humaines. Il est le foyer aussi de tensions et de frustrations qui naissent de notre humaine condition. Elle est le premier lieu où apprendre à se relier les uns aux autres. Peu à peu, nous devons nous dégager de l’obsession de l’exclusion (moi seul, moi contre) et accéder à la relation (moi avec).
Finalement, la foi chrétienne n’est pas la foi en l’existence de Dieu mais bien davantage, la foi en la relation avec Dieu et donc la foi en la relation avec le reste de l’humanité. Vaste programme, comme disait le général de Gaulle !