« Quand on achète quelque chose, on ne le paie pas avec de l’argent, on le paie avec du temps de vie que l’on a travaillé pour gagner cet argent. A cette différence près que la vie ne s’achète pas. La vie ne fait que s’écouler. Et il est lamentable de gaspiller sa vie à perdre sa liberté. » Pepe Mujica
Il est de rigueur de dire aux enfants de bien travailler à l’école pour bien gagner leur vie. Et, bien gagner sa vie, c’est pouvoir faire suffisamment d’argent. Les parents adressent ce conseil à leurs enfants non par esprit cupide… Ce qui les préoccupe, bien souvent, c’est de savoir qu’ils seront à l’abri du besoin. L’idée de voir ses enfants souffrir de faim, de mal logement est insupportable pour un parent. Mais, ce qui se glisse aussi, trop souvent, à côté de cette inquiétude légitime, est un désir de les voir réussir socialement. Voilà qui pourrait apporter un peu de prestige sur la famille. Pourtant, n’est-il pas singulier de penser que réussir sa vie a quelque chose à voir avec la quantité d’argent que l’on gagne ?
L’argent, c’est le nerf de la guerre ; amour vainc tout et argent fait tout ; abondance de biens ne nuit pas ; le temps c’est de l’argent ; bonheur passe richesse ; l’argent n’a pas d’odeur… Combien de proverbes entretiennent la pensée que la quête en ce bas monde est l’argent ? Ne devient-on pas plus respectable, important, quand on en possède beaucoup ?
Les chrétiens n’échappent pas à cette course infernale. Certains réseaux permettent une ascension sociale quand on est bien né catholiquement parlant. Il est de bon aloi depuis quelques années d’être un chrétien décomplexé avec l’argent. Il faut bien gagner sa vie, dit-on. Et certains vont même jusqu’à citer Jésus dans le domaine des transactions financières: « … que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6:3). Il ne parlait pourtant pas des transactions occultes avec lesquelles la conscience doit s’arranger. Avec le temps, on a fini par tronquer le début de la citation : « quand tu fais l’aumône… ».
Jésus est très clair au sujet de l’argent : « « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Mt 6,24). La dynamique de l’Évangile est un appel au don, au partage et à la gratuité alors que la logique de l’argent est celle de l’accumulation, de l’achat et de la vente au meilleur prix. Entre les deux démarches la contradiction est irréductible. En inscrivant l’argent dans le registre du démoniaque, Jésus insiste sur le pouvoir de fascination de l’argent. (1)
Jésus se montre sévère au sujet de l’argent parce que l’argent divise. S’il prend le registre du démoniaque pour en parler ce n’est certes pas par hasard. L’étymologie même de Diable signifie « celui qui divise ». L’argent diviserait donc ? Nul n’est besoin de regarder les familles au moment de l’héritage pour voir combien elles peuvent alors se déchirer.
Mais plus grave encore est le pouvoir de la division par l’argent de notre vivant. L’argent serait le premier sujet de dispute dans les couples. Les dépenses en trop de l’un, le manque d’argent qui crée des tensions, ou l’absence de celui ou celle qui travaille sans cesse et n’est jamais là. Le temps, c’est de l’argent. Mais ce temps passé à gagner cet argent est un temps perdu qui ne reviendra pas. Le temps, nous dit Pepe Mujica, ne s’achète pas. Il est précieux et il passe vite. Si nous ne remplissons pas le temps de l’essentiel dans nos vies, cet essentiel s’échappera.
Jésus ne dit-il pas : « Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et la rouille les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous un trésor dans les cieux, là où les mites et la rouille ne dévorent pas, où les voleurs ne percent pas les murs pour voler. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » (Mt 6,19). Qu’est-il de plus important que le temps de vivre ensemble et partager avec l’autre des moments de vie ? L’aveuglement de la quête d’argent, qui promet pour plus tard une vie meilleure, dérobe en fait la vie actuelle bien réelle et présente. Demain n’existera peut-être pas. Lou tems passo, passo lou bien (2), dit le proverbe provençal. Le temps, c’est de la vie. Et la vie, c’est une occasion de faire exister l’amour.
- https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Argent/Jesus-se-mefiait-il-de-l-argent
- Le temps passe, passe-le bien.