Je reviens sur l’émission Temps Présent diffusée récemment par la télévision suisse au titre provocateur : « Les évangéliques à la conquête du pouvoir ».
Si les évangéliques suisses s’en sortent relativement bien, il n’en va pas de même de leurs coreligionnaires étatsuniens et brésiliens. Leurs communautés forment là-bas le fond de commerce des présidents Trump et Bolsonaro et leurs dignitaires occupent le haut du pavé du pouvoir politique : ministères importants, influence directe ou indirecte sur les dirigeants. Le but est évident : faire passer la nation brésilienne et américaine sous le diktat de leurs principes moraux et religieux et imposer le fondamentalisme biblique à l’enseignement public. Bref, retour au programme de l’Eglise constantinienne ou théodosienne, mais cette fois-ci à la sauce évangélique.
Il va sans dire que pour parvenir à leur fin les évangéliques du nouveau monde sont prêts à y mettre le prix. Même s’ils doivent se boucher le nez. En devenant les agents électoraux de Trump ou Bolsonaro, leurs prédicateurs épousent aussi leur programme : domination de la race blanche, expulsion ou extermination des peuples indigènes, fermeture des frontières aux immigrants, libéralisme économique effréné…Autant de prises de position fort éloignées de la « bonne nouvelle » de Jésus de Nazareth.
Le plus scandaleux, à mon avis, est l’exaltation d’une théologie de la prospérité. Le bon chrétien serait celui dont les affaires économiques et financières sont réjouissantes. Preuve que Dieu l’a béni. Et les pasteurs, reluisant de santé, portant costume et cravates, arborant très ostensiblement à leur poignet une montre Rolex, n’ont aucune gêne à le démontrer aux habitants des favelas de Rio. Là encore ils y mettent le prix ! Ils disposent d’un réseau social puissant : aides matérielles, écoles, soins médicaux, lutte contre la drogue, accueil de femmes enceintes tentées d’avorter. Sans ne rien dire de leurs lieux de culte, vastes et luxueuses halles de concert et de prédication équipées de sonos du dernier cri. En comparaison, les églises catholiques vétustes héritées de l’âge colonial font piètre et anachronique figure. En un mot, l’argent coule à flot. Mais d’où vient-il ? Et quel est le but de cette bienfaisance que j’ai peine à croire désintéressée ?
Piètre figure que celle de l’Eglise catholique ? Sans aucun doute. Celle des Etats-Unis est discréditée et empêtrée par des scandales sexuels à répétition et celle du Brésil est minée par des conflits internes entre conservateurs et partisans de la théologie de la libération. Ces débats – souvent théoriques et en vase clos – ont aveuglé les responsables catholiques, laissant le champ libre aux évangéliques qui ont occupé les zones où vivent les populations déshéritées des banlieues et favelas abandonnées par la pastorale de l’Eglise jusque là majoritaire. Désormais, le catholicisme brésilien s’effrite comme une peau de chagrin et va vers son déclin. Ce qui le remplace est loin de me réjouir. Le véritable évangile est trahi, mis au service d’une force politique brutale et violente.
Temps Présent a toutefois présenté un ou deux évangéliques américains lucides (mais aucun brésilien) se demandant s’ils n’avaient pas fait fausse route. Mais une seule hirondelle ne fait pas à elle seule tout un printemps.
Fr.Guy Musy op