1 Du maître de chant. De David.
L’insensé a dit en son cœur :
« Non, plus de Dieu ! »
Corrompues, abominables leurs actions ;
personne n’agit bien.
2 Des cieux Yahvé se penche
vers les fils d’Adam,
pour voir s’il en est un de sensé,
un qui cherche Dieu.
3 Tous ils sont dévoyés,
ensemble pervertis.
Non, personne n’agit bien,
non, pas un seul.
4 Ne le savent-ils pas, tous les malfaisants ?
Ils mangent mon peuple,
voilà le pain qu’ils mangent,
ils n’invoquent pas Yahvé.
5 Là, ils se sont mis à trembler,
car Dieu est pour la race du juste :
6 vous bafouez la révolte du pauvre,
mais Yahvé est son abri.
7 Qui donnera de Sion le salut à Israël ?
Lorsque Yahvé ramènera les captifs de son peuple,
allégresse en Jacob et joie pour Israël !
(Bible de Jérusalem)
Le psaume 14 rappelle un peu le psaume d’ouverture du Psautier qu’est le psaume 1. Ce psaume ressemble peu à une prière s’élevant vers Dieu, mais prend plutôt l’allure d’un enseignement en nous indiquant qu’il existe deux voies : celle de l’insensé et celle du sensé. Ce psaume 14 réapparaîtra dans le Psautier sous une forme légèrement différente comme psaume 53.
D’une façon générale, on peut noter que lorsque l’on parle de l’insensé le rythme est court et la phrase bien ciselée : « Non, plus de Dieu ! » ; « ensemble pervertis ». Lorsque l’on parle de l’homme sensé ou du salut pour Israël, aux vv. 5-7, la phraséologie est plus développée.
On peut se demander si le psaume ne s’adresse pas aux insensés dans la mesure où, au v. 6, on s’adresse directement à eux : « vous bafouez la révolte du pauvre ». De fait, le psaume ne s’adresse pas ouvertement à Dieu. Le psalmiste n’est pas en train de faire monter une plainte vers Dieu.
Les vv. 1-3 nous parlent de la méchanceté universelle, et non pas d’un insensé particulier ou du cas singulier d’Israël. Par contre, les vv. 4-6 indiquent clairement que l’on va s’intéresser de manière précise au peuple d’Israël (cf. v. 4 : « mon peuple »). Les ennemis ne sont pas à chercher à l’extérieur du peuple, mais se trouvent bien à l’intérieur d’Israël.
Le plan du psaume est un peu complexe. D’une part, on distingue une ligne qui traite des insensés, peut-être faut-il comprendre les insensibles à Dieu, qui se précise de plus en plus. Au v. 1, le psalmiste expose les paroles et les actions des insensés, considérées d’une façon très générale. Puis, aux vv. 3-4, on se focalise sur un petit groupe qui se trouve au sein du peuple d’Israël. Enfin, au v. 6, on apostrophe un groupe encore plus restreint que l’on peut montrer du doigt en leur disant droit dans les yeux « vous bafouez la révolte du pauvre ».
D’autre part, on peut repérer une autre ligne. Chacune de ces étapes est entrecoupée par des versets (vv. 2.5.7) où le regard n’est plus posé sur l’insensé, mais sur Yahvé. Au v. 2, on insiste sur le regard que Yahvé porte sur les hommes ; au v. 5, on rappelle que Yahvé est présent auprès du juste ; au v. 7, on attend avec espérance la restauration promise par Yahvé.
vv. 1-2 : Pour l’homme de l’Ancien Testament, il est difficile de croire que des hommes, qu’ils appartiennent au peuple d’Israël ou qu’ils viennent des nations païennes, posent comme a priori la non-existence de Dieu ou de leurs dieux. Par contre, l’insensé a la conviction que Dieu ne s’intéresse pas à la vie des hommes, et donc qu’il n’agira pas, d’une façon ou d’une autre, dans celle-ci. Cette conviction a une conséquence immédiate. Il est possible de mal agir devant le regard de Dieu, car celui-ci ne bronchera pas.
Le psaume commence par dénoncer l’outrage que l’insensé peut commettre envers Dieu. Souvent, des individus peuvent avoir dans leur cœur ce blasphème envers Dieu, mais continueront, pour faire bonne mesure, par pression sociale, à professer que Dieu est vivant et continue d’agir dans nos vies. L’insensé, fait remarquer le psaume, ne dit pas à haute voix ce blasphème. Il dit en son cœur : « Non, plus de Dieu ! ».
Mais celui qui tient de tels propos dans son cœur fera des actions mauvaises. Il ne s’agit pas de mettre simplement Dieu entre parenthèses, il s’agit de déclarer que Dieu n’a aucune importance dans sa vie. Finalement, il est peut-être préférable de laisser sortir de telles paroles de ses lèvres, car elles ne sont peut-être pas encore entrées profondément dans le cœur. Nous savons tous que nous disons des choses que nous ne pensons pas réellement, au plus profond de notre cœur.
On peut établir un lien entre les expressions « non plus de Dieu » et « personne n’agit bien ». C’est précisément parce qu’il n’y a plus de Dieu, qu’il n’y a plus personne capable d’agir bien. On voit qu’il y a un lien entre ce qu’on peut appeler l’ontique et l’éthique. Si Dieu n’existe plus, alors tout est permis.
Le v. 2 contredit totalement le point de vue de l’insensé. Yahvé existe, il n’y a pas besoin de démontrer cette existence, son nom est rappelé en premier dans le verset du texte hébreu, et il s’intéresse à la vie des hommes.
Le verbe employé n’est pas celui habituellement utilisé pour décrire Dieu regardant vers le bas. Il suggère que l’on se penche à travers une fenêtre comme en Jg 5,28 : « Par la fenêtre elle se penche, elle guette, la mère de Sisera, à travers le grillage ». Si Dieu est à la recherche de l’homme sensé, l’homme sensé est celui qui cherche Dieu.
vv. 3-5 : Le v. 3 répète le v. 1 et fait le constat que toute la société est dévoyée et que la corruption et la méchanceté sont généralisées. Le verbe « se dévoyer » revient à dire d’une autre façon qu’il n’y a pas de Dieu. Cela rappelle aussi le Ps 1 où l’on peut choisir dans sa vie soit la voie des justes ; soit la voie des impies. Ce fut le cas du peuple d’Israël, en Dt 9,12, lorsque Yahvé dit à Moïse « Ils n’ont pas tardé à s’écarter de la voie que je leur avais prescrite : ils se sont fait une idole de métal fondu. » Il s’agit bien, non pas d’un païen étranger qui ne croirait pas au Dieu unique, mais bien de membres du peuple d’Israël qui rejettent la révélation reçue. On retrouve l’expression « personne n’agit bien » au v. 3 qui est une reprise du v. 1, mais on va insister sur ce point en ajoutant « non, pas un seul ».
Au v. 4, les insensés sont clairement identifiés comme des malfaisants, c’est-à-dire des personnes qui cherchent à nuire et n’hésitent pas à faire de fausses accusations. En Mi 3,3, le prophète critique les chefs d’Israël qui oppriment le peuple, et il les décrit ainsi : « ils mangent la chair de mon peuple, ils arrachent la peau de dessus eux ». Nous avons là une preuve supplémentaire que nous sommes bien ici à l’intérieur du peuple, que les ennemis ne sont pas des ennemis extérieurs au peuple.
Les insensés ont mangé du pain sans invoquer Yahvé, c’est-à-dire sans lui rendre grâce. Ils ne reconnaissent pas Dieu comme étant celui qui est à l’origine de ce pain. Au lieu de prier Dieu pour qu’il leur donne ce dont ils ont besoin, ils oppriment les autres afin de s’assurer que leurs besoins seront satisfaits.
Nous avons entre les versets 4 et 5, ce même mouvement que nous avions entre les versets 1 et 2. On aborde de nouveau les choses depuis le point de vue de Dieu. Les insensés, qui pensaient pouvoir mal agir parce que Dieu se désintéresserait du sort des êtres humains, se rendent compte que Dieu est proche des justes. Ils ont été pris de terreur « là », dit le v. 5, c’est-à-dire au beau milieu de leurs actes d’oppression du pauvre. Yahvé est présent au milieu de tous ces justes et s’attaquer à l’un d’entre eux, c’est finalement s’en prendre à Dieu lui-même.
vv. 6-7 : Jusqu’ici le psaume n’a eu aucun destinataire explicite. On a parlé de Dieu à la troisième personne du singulier et on a l’impression que l’on s’adressait implicitement à l’ensemble du peuple d’Israël. Au v. 6, les choses changent radicalement. On a l’impression que le psaume s’adresse maintenant formellement à ces insensés que décrivaient les vv. 1.3-4. Ce n’est pas seulement une réflexion théorique sur le péché des hommes, mais bien un constat qui s’appuie sur l’expérience. Le psalmiste connaît des insensés et des malfaisants qui s’en prennent aux plus pauvres dont il est solidaire. Mais il sait aussi, car il en a fait l’expérience, que ces pauvres trouvent en Dieu leur refuge. Quand on est pauvre, quand on a plus rien, on ne peut compter que sur Dieu. Un refuge est un abri où les animaux vulnérables peuvent se cacher lorsqu’ils sont attaqués, ou lorsqu’il y a un très gros orage ou une forte chaleur (cf. le Ps 104,18 qui décrit les damans, petits mammifères ressemblant à des marmottes, qui se cachent à l’abri des rochers d’Ein Gueddi). Il s’agit donc de deux voies diamétralement opposées. D’une part, les insensés qui vivent comme si Dieu n’existait pas, et d’autre part, les justes qui n’ont de refuge qu’en Dieu seul, c’est-à-dire que toute leur vie se raccroche à Dieu. Les insensés n’ont aucun remords à s’en prendre à des personnes qui n’ont de refuge qu’en Dieu, car pour eux Dieu n’intervient pas dans la vie des hommes.
Avec le v. 7, on retrouve une nouvelle fois Yahvé. L’emploi du futur montre que nous ne sommes plus dans des considérations générales, mais bien en référence à une situation particulière. Aussi vrai que reviendront les exilés du peuple, Dieu sera pour toujours le refuge et l’abri des pauvres.
De Sion vient le salut à Israël nous dit le v. 7. Pour Is 2,3, la Tora sort également de Sion. Cette Tora que la « race des justes », c’est-à-dire la communauté des hassidîm (les « pieux »), des anawîm (les « pauvres de Yahvé»), devra lire, méditer, observer pour connaître le Seigneur. Alors viendront, dit le livre d’Isaïe, des peuples nombreux qui diront : « Venez, montons à la montagne de Yahvé, à la maison du Dieu de Jacob, qu’il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers ». La voie des sensés et des justes n’est donc pas réservée au seul Israël.
Saint Paul cite les versets 1-3 du psaume 14 en Rm 3,10-12 (et en contrepartie la Septante, la traduction grecque de l’Ancien Testament, ajoute Rm 3,13-18 à ce psaume. Glose, d’origine chrétienne, composée de Ps 5,10 ; 140,4 ; 10,7 ; Is 59,7-8 ; Ps 36,2). Il veut dire que toute l’humanité, à cause du péché originel, peut être décrite à partir de ces versets. Saint Paul nous invite à avoir une vision réaliste de l’humanité, qui est corrompue, pervertie, dévoyée, marquée par le péché. Mais il nous invite aussi à rendre grâce à Dieu pour ce qu’il a fait en Jésus-Christ. Cette restauration annoncée au v. 7 du psaume 14, ce salut qui vient de Sion s’est réellement manifesté par la mort et la résurrection de Jésus à Jérusalem.