On dit parfois du Canada qu’il est habité de deux solitudes qui s’ignorent pour parler des populations anglophones et francophones, s’inscrivant chacune dans une communauté de destin basée sur la seule cohabitation. Au lieu de se chercher, l’ignorance de l’autre permet de taire les divergences et de réduire les tensions.
L’être, dans sa condition humaine, tait parfois sa quête d’absolu et ignore la transcendance à portée de main. L’ignorance de Dieu fait moins mal que la recherche parfois éperdue d’absolu. Le divin, cependant, ne saurait ignorer sa créature. Le grand horloger de Voltaire est aussi commode que fade. Et l’Homme dans sa fatuité croit que Dieu l’ignore parce que lui ignore Dieu. Comme l’amant ne peut ignorer l’aimée, Dieu cherche l’homme.
Va-t-il finir par le trouver ? Encore faudrait-il que l’Homme trouve en lui l’humanité qui est la sienne. Dans Les racines du ciel de Romain Gary, le héros Morel, optimiste invétéré, déclare : « Il faudra inventer une piqûre spéciale … On trouvera bien ça un jour. J’ai toujours été un gars confiant, moi. Je crois au progrès. On mettra sûrement en vente des comprimés d’humanité. On en prendra un à jeun le matin dans un verre d’eau avant de fréquenter les autres. Alors là, du coup, ça deviendra intéressant et on pourra même faire de la politique… »
Au fond, dans le couple Homme-Dieu, les deux sont peut-être à la recherche de la même personne. Jésus, en prenant notre condition, s’est affirmé le Fils de l’Homme. Ne nous disait-il pas qu’il venait montrer le chemin de l’accomplissement, de notre achèvement sous la conduite de l’Amour ? Mais l’Homme existe-t-il ? Dieu croit-il à l’existence de l’Homme ?
Peut-être que les nominalistes avaient raison. L’Homme n’existe pas mais il existe des hommes. Ainsi l’amour de Dieu n’est pas l’amour d’un concept abstrait mais l’amour d’une réalité concrète. Et cette réalité concrète, la Bonne Nouvelle, c’est que c’est chacun d’entre nous !
La famille est justement un des lieux de la société où se rend possible la rencontre de l’Autre à travers la rencontre quotidienne de l’autre, le conjoint, les enfants, les amis, les parents éloignés, la maisonnée-monde.
Finalement, Dieu ne croit pas à l’homme et sans doute qu’Il n’y a jamais cru. C’est trop compliqué ce machin et ça ne marche pas. Il croit plutôt en chacun de nous.
Et nous, croyons suffisamment en Dieu pour croire en notre humanité ?