Je viens d’achever la lecture d’une biographie du pape Pie V écrite par un frère dominicain que j’apprécie. Sans cette référence, je ne me serais jamais intéressé à la vie de ce pape, fut-il dominicain, tant sa réputation de Grand Inquisiteur me révulsait. Ce Pontife piémontais, né en 1504, enferma les Juifs de Rome dans un ghetto et condamna au bûcher – pour l’exemple ! – un ou deux couples coupables de sodomie. Etait-ce la meilleure façon de faire triompher les bonnes mœurs et prêcher la saine doctrine ?
Mais Philippe Verdin aime provoquer notre bonne conscience usée et même abusée par tant de poncifs à la mode. Il prend donc le parti de nous faire estimer – je ne dis pas admirer – ce qui à priori ne l’est guère. En effet, ce pape « intempestif » parait décalé de son siècle. En particulier d’une romanité encore empreinte des fastes d’une renaissance à l’italienne à la fois humaniste et libertine. Petit moine de province, Pie V garde la foi et les moeurs de son enfance. Têtu comme sa mule, il veut les faire triompher coûte que coûte, alors que Luthériens, Calvinistes et Ottomans s’emploient à les détruire. Austère comme un ermite du désert, jamais un sourire sur son visage décharné, éternel silencieux sauf quand il égrène son rosaire, pas diplomate pour un sou, il allait son chemin, tête baissée, ne faisant confiance qu’au Dieu de ses pères. Loin d’être inculte ou benêt cependant, il sut s’entourer et se faire conseiller pour mettre en œuvre les décrets du Concile de Trente. Charles Borromée et Philippe Neri, en dépit de leur style de vie si différent du sien, furent à ses côtés pour réaliser ce grand dessein. Malicieusement, son biographe relève aussi l’incompétence crasse de Pie V quand il s’agissait pour lui de traiter affaire avec les dames. En particulier avec l’ogresse (Catherine de Médicis) et la sorcière (Elisabeth Tudor). Echec cuisant sur les deux rives de la Manche. A vrai dire, Pie V ne s’entendait qu’avec une seule femme, la Vierge Marie, l’amirale céleste qui sema la terreur dans le rang des galères infidèles lors de la bataille navale de Lépante, le 7 octobre 1571. Fort de la victoire de sa championne, le pieux vieillard ne pouvait que fermer ses yeux de chair pour en ouvrir de nouveaux face à celle qu’il avait toujours aimée. Cette rencontre eut lieu le 1er mai de l’an de grâce 1572.
Quel intérêt de rappeler en notre temps cette histoire si anachronique ? C’est que la biographie de Pie V révèle en filigrane celle du biographe lui-même. Philippe Verdin ne peut s’empêcher de ramer tous azimuts et donner libre cours à ses avis et commentaires. De toutes ces parenthèses ou digressions, je ne retiens que celle qui se réfère aux intégristes modernes qui se réclament du patronat de saint Pie V et de sa messe tridentine. Non, Pie V ne fut pas traditionnaliste au point de ne pas « réformer » ce que les Lefèbvristes appellent « la messe de toujours ». Ce pape si peu accommodant et conciliant ouvrait ainsi la voie à une autre réforme liturgique survenue quatre siècles après lui. Sous l’apparence rugueuse de ce pontife intransigeant se cachaient un esprit novateur et une âme de feu. Selon Philippe Verdin, il pourrait manquer à notre temps.
Fr. Guy Musy OP
Philippe Vardin : Saint Pie V. Le pape intempestif, Ed du Cerf, 2018, 215 p.