En 1866, après avoir beaucoup prêché a des détenues, le Père Lataste réalise son intuition : fonder une congrégation qui accueillerait des femmes « sans passé » et d’autres blessées par la vie. Ce sont, encore aujourd’hui, les Dominicaines de Béthanie.
« Vous que les hommes méprisent, vous étés les bien-aimées de Dieu… »
En 1864, un jeune dominicain a été envoyé prêcher 1’espérance et la miséricorde a des femmes condamnées aux travaux forcés, et il les a appelées « mes chères sœurs ». II leur a parlé simplement, et il s’est senti en famille avec elles, malgré le fossé social, pénal et intellectuel qui le séparait de son auditoire.
« Mon cœur s’emplissait de larmes encore en songeant a la rude et sanglante vie, au poids écrasant de honte et d’humiliation qui pesait encore et qui allait continuer de peser encore sur ces âmes qui m’étaient devenues si chères, et qui étaient mes sœurs après tout, mes sœurs en Adam, mes sœurs en Jésus-Christ. »
UNE CAPACITÉ SURPRENANTE À PARDONNER
Dans un système de fer, ou aucune initiative, aucune fantaisie, n’était possible, ou le silence perpétuel et le travail forcé maintenaient la population carcérale dans une passivité complète, il a apporté la fraîcheur d’une parole directe et fraternelle, sans compromission avec le péché et le crime. II a été émerveillé par ce qu’il a vu en prison, par la qualité de la conversion de celles que tout le monde considérait comme des « filles perdues ». II a pu constater que le crime dont elles sont coupables n’obscurcit plus leur vie : « elles étaient coupables, elles sont innocentes ». Leur capacité surprenante a pardonner a ceux qui les ont poussées au crime est un signe de la lumière qui éclaire a nouveau leur vie.
FAIRE CONFIANCE
Par ses dialogues avec les détenues, par leurs confidences, il a été convaincu que le seul moyen de leur redonner une place dans la société est de leur faire confiance, de mettre un terme au processus de punition et de honte qui pèse sur elles, bien longtemps après leur sortie de prison. On se méfie d’elles, et on croit avoir raison en constatant la proportion effrayante de récidive, mais on ne comprend pas que la récidive est souvent déclenchée par cette méfiance même. Toutes les portes et toutes les mains se ferment lorsqu’on apprend d’où elles viennent.
LE MÊME HABIT DOMINICAIN
Deux ans plus tard, il en a fait des sœurs, des sœurs dominicaines, en fondant la maison de Béthanie, où se rassemblent, aujourd’hui encore, sous le même habit dominicain et dans une même prière contemplative des femmes qui n’ont pas connu de grosses épreuves et celles dont le passé est perturbé par le crime, la prostitution, l’alcool ou d’autres souffrances. Les réactions ont été vives, surtout au sein de l’Ordre : comment oser « donner la blanche livrée de saint Dominique à des personnes réputées infâmes comme le sont les réhabilitées de Béthanie » ?
CE QUE NOUS SOMMES
Le Père Lataste a réagi aux contradictions en saint religieux, ne s’élevant jamais contre la volonté de ses supérieurs, défendant ses chères sœurs avec droiture et humilité. Il est mort trop vite, à 36 ans, pour pouvoir goûter l’entrée officielle des sœurs de Béthanie dans l’Ordre des frères prêcheurs, trop vite pour pouvoir constater à quel point son intuition était juste : « les plus grands pécheurs ont en eux ce qui fait les plus grands saints ».
Le Père Lataste a voulu proclamer au monde, suivi par les sœurs de Béthanie, que « Dieu ne regarde pas ce que nous avons été, il n’est touché que de ce que nous sommes. » Récemment, une détenue a été bouleversée en entendant cette phrase à la radio, au cours d’une émission sur le Père Lataste : aujourd’hui encore, sa parole fait renaître l’espérance, sa miséricorde touche des cœurs qu’on pouvait croire définitivement fermés.
« Ces femmes qui étaient mes soeurs… »
Vie du Père Lataste apôtre des prisons (1832-1869)
Par Fr. Jean-Marie Gueullette o.p.
333 pages. Ed du Cerf 2008