Le cinéma donne une large place à la musique et au chant. Toutefois, il arrive souvent que les performances artistiques s’exercent dans un contexte perturbé par des conflits politiques, sociaux ou personnels.C’est le cas pour deux films magnifiques à l’affiche depuis quelque temps. Dans LA GUERRE FROIDE, le brillant réalisateur polonais Pawel Pawlikowski raconte l’étrange histoire sentimentale d’une chanteuse et d’un musicien au temps du rideau de fer. Pour sa part, c’est dans une Amérique ségrégationniste que le versatile réalisateur Peter Farrelly situe le périple semé d’embûches d’un célèbre pianiste afro-américain et de son chauffeur dans LE LIVRE DE GREEN.
LA GUERRE FROIDE
Tout aussi poignant que son film IDA, Pawlikoswki raconte avec un égal dépouillement – noir et blanc épuré, image carrée enfermant les personnages, direction artistique sobrement recherchée – un amour impossible corrompu par les jeux politiques et les compromissions. S’inspirant librement de l’histoire de ses parents, le réalisateur rend un hommage émouvant aux trésors musicaux de sa Pologne natale.
En 1949, en pleine guerre froide, Wiktor bat la campagne à la recherche de chants traditionnels, en prévision d’un spectacle-hommage à la culture et de l’histoire de son pays. Aux auditions, le musicien remarque Zula, une blonde frondeuse mais talentueuse, qui devient sa maîtresse. Après deux ans de rodage, le spectacle est présenté devant des foules enthousiastes.
Mais quand les autorités du parti insistent pour y insérer des messages à la gloire de Staline et de la réforme agraire, Wiktor planifie de passer à l’Ouest avec Zula. Cette dernière, obligée de jouer les informatrices pour éviter de purger une peine de prison pour meurtre, renonce au dernier moment. Exilé en France, Wiktor joue du piano dans des clubs de jazz et compose des musiques de film. Zula vient le rejoindre, après avoir contracté un mariage blanc avec un Italien, mais elle s’adapte mal à la vie parisienne…
C’est par son sens de l’ellipse remarquable que Pawlikoswki se signale ici. L’auteur est en effet parvenu à raconter en quatre-vingt minutes un récit s’étendant sur plus de quinze ans. Pour mettre en scène ce triste va-et-vient amoureux, il a fait appel au peu connu mais très intense Tomasz Kot et à Joanna Kulig, qui avait un petit rôle dans… IDA. Dotée d’une grande beauté et d’un charme magnétique, celle-ci se révèle aussi crédible en adolescence effrontée qu’en trentenaire prématurément flétrie.
LA GUERRE FROIDE a reçu trois nominations aux Oscars 2019, dont celle du meilleur film en langue étrangère.
LE LIVRE DE GREEN
Inspiré d’une histoire vraie, le scénario de cette relecture inversée de DRIVING MISS DAISY demeure assez convenu, mais sonne vrai d’un bout à l’autre, grâce à l’abondance de détails significatifs. Le fait qu’un des trois scénaristes soit le fils d’un des protagonistes y est sans doute pour quelque chose.
En 1962, Tony Lip, gardien de bar italo-américain du Bronx, sert de chauffeur à Don Shirley, pianiste noir de renommée internationale, au cours d’une tournée de huit semaines dans le sud des États-Unis.
Comme les Noirs n’étaient pas particulièrement les bienvenus dans plusieurs états du pays à cette époque, les deux voyageurs doivent s’en remettre au « Negro Motorist Green Book », un guide qui identifie les établissements qui acceptent la clientèle de race noire. Confrontés au racisme, ils devront se serrer les coudes et apprendre l’un de l’autre, au-delà de l’apparence et des préjugés.
La réalisation soignée de Peter Farrely parvient à trouver l’équilibre approprié entre message social et humour, le tout dans un emballage visuel des plus élégants. Dans le rôle de la brute au grand cœur, Viggo Mortensen (CAPTAIN FANTASTIC) s’avère particulièrement doué pour la comédie, tandis que Mahershala Ali (MOONLIGHT) compose un pianiste à la fois royal et émouvant. La chimie qui opère entre les deux vedettes fournit son supplément d’âme à ce road-movie aigre-doux.
Déjà gagnant de trois Golden Globes, LE LIVRE DE GREEN est en liste dans cinq catégories (dont celle du meilleur film) aux Oscars qui sont attribués le 24 février 2019.
Gilles Leblanc