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Dieu en famille,

Responsable de la chronique : Raphaël Pinet
Dieu en famille

Conversations avec mon écureuil

Imprimer Par Raphaël Pinet

 

J’ai la chance d’habiter une maison à flanc de coteau. Devant moi s’étend une petite vallée plantée de nombreuses vignes. Le soleil couchant derrière les modestes hauteurs laissent la pénombre s’épandre, seulement percée ça et là par les lumières des maisons d’en face.

La nature comme d’habitude est généreuse même si les hommes s’arrangent pour qu’elle vive à crédit. Les animaux se fraient un lieu pour survivre, les plantes abondent dans les espaces que nous n’avons pas encore colonisés.

Au milieu des nombreuses vignes, il n’est pas rare de voir apparaître un lièvre, une biche ou un faisan. Je contemple le spectacle en m’installant sous un noyer noir. J’aime y lire à portée d’une tasse de café.

Je fus, il y a peu, interrompu dans ma lecture par l’observation d’un couple d’écureuils qui sautillaient de branche en branche. Le mâle, un peu farouche se tenait sur les hauteurs tandis que la femelle s’enhardit sur les branches les plus basses. Je ne bougeai pas de peur de perdre cet instant précieux où la barrière des espèces tombe. Elle se tenait là, cette femelle écureuil avec sa queue en panache, à moins d’un mètre. J’aurai pu allonger la main. Cela a duré quelques secondes mais le temps avait l’air suspendu.

Soudain, elle m’a demandé :

–      Vous habitez chez vos parents ?

Non, non, ce n’est pas cela ! A dire vrai, je n’ai pas bien compris ses premiers mots. J’étais tellement abasourdi d’entendre un écureuil parler. Et puis, elle avait un accent et une voix haut perchée.

–      Je vous vois souvent récolter des noix dans ma cour.

Je m’en voulus tout de suite de répondre une telle banalité mais j’aurais voulu vous y voir entamer une conversation intelligente avec un écureuil qui parle. Elle me dit qu’elle s’appelait Roussette (le prénom a été changé) et qu’elle s’était installée avec son mari et ses trois enfants dans la région depuis peu. J’ignorais que les écureuils aussi pouvaient être mutés pour des raisons professionnelles. En fait, j’étais totalement ignorant du monde des écureuils.

Ils cherchaient pour l’hiver un logis plus chaud.

–      Pourrions-nous nous installer dans votre grenier jusqu’au printemps ?

Je compris instantanément que la préoccupation maternelle l’avait poussée, davantage que son mâle un peu pusillanime, à affronter le danger pour le bien-être de sa famille.

–      Ma foi, lui dis-je, je n’y vois pas d’inconvénient. La maison est chauffée et les combles vous seront plus confortables.

Ils s’installèrent le soir même pour mon plus grand plaisir, mais moins pour celui de mes filles qui dorment juste en dessous de cette partie du grenier. Vous n’avez pas idée du raffut qu’une modeste famille d’écureuils peut mener de nuit dans un grenier quand le silence envahit la maison !

La conversation s’anima. Une amitié s’installa.

Je me faisais rapidement à sa petite voix et à son accent charmant. Elle venait de Provence, me précisa-t-elle. Je lui lisais quelques passages de mes livres en sirotant mon café, elle grignotait quelques noisettes apportées en collation tout en donnant des nouvelles de sa famille. Elle me parlait des chasseurs qui envahissaient la forêt de leurs détonations. Une de ses amies, chargée d’enfants était devenue veuve à la dernière saison.

Je m’inquiétais naïvement pour sa famille avec tous les dangers que la nature lui tendait.

–      La nature ? me demanda-t-elle d’un ton narquois.

–      Oui, par exemple, les serpents, répliquai-je.

–      Oh, mais les serpents ne sont pas les plus dangereux !

Tant de candeur me confondait :

–      Comment, Roussette ? Ignores-tu que les serpents tuent chaque année cinq mille personnes ? Je pensais bien égoïstement aux humains.

Elle me répondit d’une phrase que je n’ai jamais oubliée depuis, surtout après ce qui s’est passé quelques semaines plus tard :

–      Et toi ? Ignores-tu que les hommes tuent chaque année soixante-dix milliards d’animaux ? Pour les manger, pour les gaspiller, en colonisant tous les espaces restés sauvages, par pur plaisir ou par simple ignorance, parce que les hommes ne voient en nous que ce qu’ils peuvent en tirer.

Je n’écoutai plus tellement j’avais honte. Soixante-dix milliards, c’était quand même beaucoup. Si cinq mille ans représentaient un jour, les animaux que nous tuions chaque année représentaient quarante mille ans ! Non seulement Roussette était bien renseignée, mais pour ma plus grande honte, elle avait aussi lu la Bible !

–      Quand Dieu vous a dit de vous reproduire et de dominer toute la terre et les animaux et les plantes (Gn 1,28) et tout ce qui est vivant, vous a-t-il demandé de détruire sa Création ? Quand Jésus vous montre les oiseaux du ciel qu’il nourrit sans souci du lendemain ou la beauté des lys qui surpasse les plus riches dans toute leur splendeur (Mt 6, 24-34), vous demande-t-il de nier la beauté du monde pour l’opulence d’un banquet dont tous les Lazare sont exclus ?

Roussette me cita même Laudato si du Pape François avec sa dénonciation de la culture du déchet:

–      La montée des inégalités chez nos frères les hommes va de pair avec la destruction de notre environnement. Il n’y a pas de respect de la Création sans combat pour un partage plus équitable des ressources.

Sur le coup, j’étais bien étonné que les écureuils même lisent les encycliques du Pape bien assis dans leur canopée; mais après tout, François d’Assise parlait bien aux animaux, le Pape pouvait bien leur écrire une encyclique.

Le réquisitoire continua pour ma plus grande confusion mais je dois dire que les arguments de Roussette portaient. Elle avait plus le souci de la Nature comme d’un bien commun et j’appréciai au fond qu’elle parle des Hommes dont elle souffrait tant comme de ses frères. Il y avait plus de sagesse dans un si petit animal que chez beaucoup d’Homo prétendus sapiens.

Au cours des jours suivants, Roussette me fit découvrir les merveilles de la nature telles que les voyaient les animaux et les plantes (car elle avait aussi quelques amis du côté des chênes, des frênes et des bouleaux).

Puis plus rien.

Je restai inquiet sous mon arbre à l’attendre. Longtemps. En vain.

J’arpentai les sentiers et les vignes à sa recherche. Je l’ai trouvée au bout d’une semaine, étranglée par le collet d’un chasseur qui aimait bien manger du lapin (mais pas de l’écureuil). Fou de douleur, je vis à travers mes larmes ses petits yeux mi-clos, couleur noisette qui semblaient me dire d’un air narquois :

–      Tu vois cette année, je fais partie des soixante-dix milliards… Si tu m’as bien aimée, aime la Nature, chéris la Création, fais-la aimer à tes enfants car il n’y aura pas de planète de rechange. Et elle en vaut bien la peine !

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