J’ai suivi, de loin hélas, les célébrations qui ont marqué à Oran la béatification de notre frère dominicain Pierre Claverie et de ses compagnes et compagnons assassinés au cours de « la décennie noire » qui ensanglanta l’Algérie à la fin du siècle dernier. Je ne reviens pas sur l’émotion que ces célébrations ont suscitée sur les deux rives de la Méditerranée, mais sur les mutations de l’Eglise d’Algérie.
Le sacrifice de ces nouveaux martyrs aurait pu être compris comme le sursaut final d’une Eglise à l’agonie. Grâce à Dieu, il n’en fut rien. Pierre Claverie aimait répéter que le grain de blé devait d’abord mourir pour donner son fruit. Bien avant lui, Tertullien, un autre chrétien d’Afrique, avait écrit : le sang des martyrs est une semence. En fait, la relève se profilait.
Je l’avais pressenti il y a quelques années au cours d’un voyage en Afrique du Nord. Ce que j’ai visionné et lu ces jours derniers me le confirme: les catholiques d’origine subsaharienne constituent désormais la nouvelle Eglise d’Algérie et même celle de l’ensemble du Maghreb. Formées d’étudiants des deux sexes, mais aussi de cadres, de commerçants, de collaborateurs d’entreprises ou de services et même de réfugiés, ces communautés de jeunes catholiques remplissent désormais les lieux de culte laissés vides par les Européens. Ils y chantent des messes de leur répertoire, animées par leurs chorales. Ils y font baptiser et catéchiser leurs enfants ou s’inscrivent dans le catéchuménat des adultes. Ce renouveau est désormais conforté par l’arrivée de jeunes religieux et religieuses en provenance du Tchad, du Mali et même d’Ouganda, venus prendre la relève de leurs frères et sœurs européens. Pour la plus grande joie de leurs coreligionnaires africains, mais aussi à l’aise dans le milieu algérien, ne serait-ce que pour avoir côtoyé et fréquenté dans leur terre natale des compatriotes musulmans.
Mais il y a plus. Colonisés eux aussi, les nouveaux chrétiens d’Algérie n’ont pas le complexe de l’ancien colonisateur qui tente de faire oublier ce « péché originel ». Bien au contraire, ces catholiques à la peau basanée se fondent dans la kasbah ou la médina avec autant d’aisance que dans les faubourgs de leurs métropoles subsahariennes.
Quels seront les fruits de cette mutation ? Davantage qu’un banal flux migratoire, c’est certain. Sans doute un métissage social qui pourrait à l’avenir faciliter le droit de chacun à pratiquer la religion de son choix, comme cela est déjà le cas dans la plupart des pays d’Afrique noire où musulmans et chrétiens vivent en bonne harmonie. Il y aura sans doute des précipices à combler. Notamment le regard teinté de mépris porté par les Africains blancs sur leurs frères noirs. Mais ceci est un préjugé racial, non religieux. L’islam pourrait même contribuer à le surmonter. Bilal, muezzin du Prophète à La Mecque, n’avait-il pas une ascendance africaine ?
Fr. Guy Musy OP